vendredi 8 décembre 2023

NAPOLEON de Ridley Scott (2023) par Luc B. (B comme Bonaparte)

Quelle idée de confier un biopic sur Napoléon à un anglais ! Après ces 2h30 qui ronronnent plutôt bien, on se dit : mais Ridley, si tu le trouves si insignifiant ce type, pourquoi tu lui as consacré un film ?

On a pointé les inexactitudes historiques de ce NAPOLÉON. Ce n'est plus un film mais le jeu des 7 erreurs. Napo faisant tirer au canon sur les pyramides d’Égypte, qui déserte le champ de bataille car il a ouï dire que sa femme le trompe. Imaginez Eisenhower en juin 44 dire à son état-major : je dois rentrer à la maison, ma fille a une otite… Passons sur le soupçon de stérilité (d’où son divorce, décalé ici de quelques années) alors qu’il avait déjà des gosses avant de rencontrer Joséphine, ou cette première scène qui le montre assister à l’exécution de Marie Antoinette (sur fond de « Ah ça ira, ça ira » chantée par Édith Piaf !) alors qu’à la même date il bataillait à Toulon, une séquence par ailleurs assez réussie.

Le réalisateur, passablement contrarié par les critiques, a rétorqué d'un "allez vous faire foutre, vous n'y étiez pas !". Un auteur peut malmener l’Histoire (Dumas ne s’en est pas privé, Tarantino non plus) si cela va dans le sens de son histoire. Le problème ici c’est que : 1) c’est un biopic historique 2) on ne sait pas dans quel sens ça va ! Que nous dit ce prologue avec Marie Antoinette du personnage de Bonaparte, de sa future carrière ? Quel est le point de vue de Ridley Scott à part pointer le passé régicide de ces bloody français ?

Le souci n’est pas tant les erreurs historiques, mais l’absence de contexte historique, politique. Les évènements se bousculent sans lien apparent. Et avec de sacrés raccourcis. En deux minutes, Napoléon passe de premier consul à empereur. C’est Talleyrand (son ministre des affaires étrangères) qui lui conseille de se faire sacrer roi. Étonnement de l’intéressé qui en rit presque (ce qui permet à Joaquin Phoenix d’imprimer une émotion sur son visage) et le plan suivant c’est la cérémonie du couronnement. Là, le peintre Ridley est dans son élément, composition, lumière, c'est superbe. Mais pourquoi Napoléon s’est-il fait couronner ? Pourquoi empereur et pas roi ? Le film ne le dit pas. Dommage, y'avait des trucs à dire.

La campagne de Russie ? Une paille, de Paris c’est la deuxième à droite et hop, vous êtes arrivés à Moscou. On passe d’un champ de bataille à un autre, les dates défilent à l’écran, mais entre deux chevauchées, à quoi Napoléon consacre-t-il son temps ? A son épouse… car ce gars-là, c’est bien connu, ne faisait pas de politique, n’a pas transformé administrativement le pays, ni redessiné l’Europe.

Ridley Scott ne montre à l’écran qu’un général va-t-en-guerre qui a fait tuer trois millions de soldats en quinze ans (c’est ce que dit le générique de fin qui égrène le nombre de morts par bataille, oubliant juste qu'une guerre se fait à plusieurs), doublé d’un éjaculateur précoce. Le film ne montre pas le stratège politique, qui en quelques années est passé de capitaine à général, premier consul à empereur. Il n’est pas question de cirer les bottes du personnage mais au moins de montrer comment et pourquoi cette ascension a été possible.

Les raccourcis sont aussi narratifs. Le révolutionnaire Paul Barras (Tahar Rahim) qu’on voit dès le début, c’est lui qui demande à Bonaparte de reprendre Toulon aux anglais, devient un dirigeant du Directoire, avant d’en être évincé au coup d’état (la scène est réussie, ce travelling avant qui suit Napo montant les marches, les soldats fusil en joue). Et pourtant, le personnage balade sa frimousse dans d’autres scènes ensuite, dont le couronnement. Sans qu’on sache pourquoi. Retour en grâce, ou incruste au buffet pour taper dans le champagne ?

Marie Louise, la deuxième épouse, a droit à deux plans et une réplique, puis disparaît de l’écran ! A un moment, un messager essoufflé s’adresse à un gros type emperruqué et dit : « Sire, Napoléon est revenu » (de l’Ile d’Elbe, c'est moi qui précise). Le sire en question c’était Louis XVIII, le roi, mais inutile d’embêter le spectateur avec des détails…

Le film est très axé sur la vie privée de Napoléon et Joséphine, décrite comme une dévergondée, lui comme un queutard amateur. L’empereur rit peu mais pleure beaucoup. Celui qui a fait massacrer des millions de gens verse une larme à son divorce, il a donc un coeur (voyez comme le portrait est nuancé) ou trépigne en gamin capricieux devant ses maréchaux. Pour tester son hypothétique stérilité, sa mère lui demande de coucher avec une jeune fille prête à concevoir (sic) la scène est ridicule, Napo avance penaud dans le couloir, sa mère surveille de loin, à deux doigts de tenir la chandelle.

Mais on se dit qu’avec Ridley Scott, les scènes de batailles vont être grandioses, le gars sait y faire. Il faut reconnaître que certains plans sont très beaux, la bataille d’Austerlitz, le blizzard, monochrome grisâtre, bleuté, les boulets de canons qui percent le lac gelé précipitant la cavalerie austro-russe dans l’eau glacée. Les lumières blafardes de l’hiver, les ciel lourds, Scott réalise quelques beaux mouvements de caméra. Mais on n’en profite pas assez, les plans sont assez courts, quand on tient une belle image Scott passe à autre chose. Il y a beaucoup de décors numériques (300 figurants sur le terrain multipliés par 100 à l'écran), on aurait pu éviter. Certaines chevauchées ont de la gueule, les affrontements de l’infanterie aussi, mais ce qui nous intéressait, c’était comprendre la tactique militaire, puisque Napo le stratège a bâti sa réputation là-dessus. Rien n'est expliqué. Il suffisait de revisionner le SPARTACUS de Kubrick pour avoir quelques pistes... 

A chaque fois que le nabot (léon) au bicorne peut briller un tantinet, Scott fait tout pour le ternir. Napoléon a fait la guerre, mais il a aussi recherché la paix (scène avec tzar Alexandre I) les alliances, l’équilibre, un versant jamais montré à l’écran. L’exil à Saint Hélène aurait pu être un beau moment en mode fin de règne, désillusion, aigreur, remord ? Rien de ça. Il arrive, il s'assoie, il meurt. 

On sait Ridley Scott admirateur de Stanley Kubrick, qui avait comme projet un film sur Napoléon. Il s’y préparait depuis le début des années 60, le scénario était écrit, quarante tonnes de documentations accumulées, Jack Nicholson et Audrey Hepburn contactés, tournage prévu après la sortie de 2OO1. Et puis la MGM a changé de patron, restrictions budgétaires, les rumeurs infondées sur l’aspect supposé sulfureux du film (les amours de Napo et Joséphine) refroidissent les autres studios, la mode est aux petits films comme EASY RIDER, Kubrick doit abandonner, d’autant que WATERLOO du russe Sergueï Bondartchouk vient de sortir, et concurrence son projet. Spielberg a annoncé reprendre le scénario pour le développer en série télé.

Je ne comprends pas l'intérêt de ce film. Narration chaotique, manque de contexte, de nuance dans les points de vue, interprétation uniforme de Joaquin Phoenix (j’ai vu le film en VF, pour une fois ça vaut sans doute mieux). Ce NAPOLÉON est finalement un film assez conventionnel, on ne s'y endort pas mais c'est pas très intéressant, voire anecdotique par rapport au (vaste) sujet qu’il était censé traiter.

Ça vient sans doute du format cinéma raccourci à 2h30 (ce serait un comble !) par rapport au format streaming (une heure de plus ?). Ou de Ridley Scott, 86 ans aux nougats, qui taclait Martin Scorsese : « pendant qu’il râle contre les plateformes, j’ai eu le temps de réaliser quatre films ». Fais-en un peu moins, Ridley, mais des meilleurs.



Couleur  - 2h30  - Format scope 2:1.39

 






2 commentaires:

  1. Shuffle Master.8/12/23 21:34

    Mmouais... La critique, dans son ensemble, n'a guère été enthousiaste non plus. La question de l'âge mérite aussi d'être posée. Même si ça semble à charge, on est encore très loin d'Henri Guillemin qui a définitivement réglé son compte au nabot corse.

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  2. Baptiser un film "Napoléon", ça renvoie quand même un peu beaucoup beaucoup à celui d'Abel Gance, un des plus grands films des siècles passés, présents et à venir ... Qui dure presque 4 heures dans la version des studios de Coppola, et huit heures lors de sa première il y a presque cent ans ... tout en sachant que ce n'était que la première partie du film (il devait y en avoir deux autres), alors les deux heures et demie de papy Scott, ça fait un peu bande-annonce à côté ...

    Pour quelques trucs exceptionnels qu'il a sortis il y a plutôt longtemps (une bonne demi-douzaine quand même), le Ridley mérite un total respect ... Pas étonnant de trouver dans cette galère napoléonienne Joaquim Phoenix, un des plus grands acteurs de sa génération, qui lui aussi réussit parfois quelques foirages retentissants ...

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