Nema rêvasse avec un vieil atlas en papier sur les genoux. Elle dit soudain à Sonia :
- Ah oui, quand même, près de 1.000 kilomètres entre Wuhan et
Chongquing. Après, le Yangtsé fait environ 6.300 kilomètres je crois. En
Chine, on n’est pas dans les mêmes dimensions que chez nous…
- Eh, oui Nema ? et ?
- J’avais du mal à me retrouver dans la géographie de la Chine, Sonia, et à comprendre pourquoi il y a de telles différences entre le Sichuan et la région de Wuhan, ne serait-ce qu’en matière de cuisson et d’assaisonnement des nouilles…
- D’accord. Bof, entre les frites du Nord et la bouillabaisse de Marseille, il y a aussi une grande différence et environ 1.000 kilomètres non ?
Fang Fang |
XX |
La Chine, c’est grand, immense même, c’est loin, on ne connaît pas bien sa
géographie et encore moins son histoire, même son histoire récente. Avec le
roman "Funérailles molles", l’immersion est totale. Nous découvrons
un récit de vies secouées par les évènements de la fin de la
République
(1912 – 1949) à nos jours, en passant par la lutte contre les bandits qui
sévissaient dans les campagnes, les débuts du parti communiste et la réforme
agraire de redistribution des terres. Au fil d’un récit habilement
construit, faisant passer du présent au passé et inversement, nous emmenant
de
Wuhan
au
Sichuan, l’autrice nous captive et nous éclaire sur une Histoire sombre mais aussi
touchante en nous faisant découvrir des coutumes qui ne sont pas les nôtres.
Qui est Ding Zitao et pourquoi
donne-t-elle le nom de Xiaocha à
la femme à son service ? Pourquoi parle-t-elle d’un coup de crosse de fusil
reçu dans le dos ? Quinglin, son fils, est très intrigué. Sa vieille mère
Ding Zitao a un comportement
très bizarre depuis qu’il a enfin pu acheter une maison et l’installer
confortablement, elle qui a travaillé si longtemps au service des autres.
C’est étrange car pour fêter leur arrivée dans la nouvelle maison, son fils
lui a proposé de boire un peu d’alcool et de trinquer et tout se passe bien
et on rit des souvenirs d’autrefois avec le
docteur Wu, le père de Quinglin. Mais cela va faire remonter de tels souvenirs pour sa mère, que
malheureusement après la première nuit, elle sombre dans une totale apathie.
Quinglin Wu, la cinquantaine, est un homme sérieux, très travailleur et respectueux de son patron et de la famille de celui-ci. Il a bien réussi et est désormais en position de responsable d’une entreprise à Wuhan. Son père le docteur Wu, est mort alors qu’il était encore enfant. Il n’en a que quelques souvenirs. Il n’a ni frère, ni sœur, ni oncle, ni tante, rien aucune famille. Rien que cette mère, Ding Zitao, qui a beaucoup travaillé pour qu’il puisse étudier et réussir. Il la chérit plus que tout. Alors il aura envie de comprendre d’où il vient, d’où viennent ses parents.
Travaux ruraux à la fin de la révolution culturelle |
Liu
Jinyan a deux fils :
Xiaochuan et
Xiao ‘an. Xiaochuan est le grand patron
de Quinglin, tandis que son frère
Xiao’an se consacre désormais à
leur père le vétéran Liu. Le vieux Liu a la nostalgie
de la région du sud-est du
Sichuan
et prend grand plaisir à aller dans un petit restaurant qui prépare des
nouilles coupées, vinaigrées comme là-bas. Il se trouve que par un concours
de circonstances, il revient à
Quinglin de s’occuper quelques jours d’oncle
Liu (c’est ainsi, avec respect
qu’il appelle le vieux Liu) à la demande de son patron et ce dans la région de
Chongquing, pour un voyage de retour dans une région où le vieux Liu a commandé une armée au
tout début de l’avènement du parti communiste. Visite dans des villages,
témoignages et souvenirs plus ou moins douloureux, remonté du
Yangtsé
jusqu’au barrage des Trois Gorges…
Quinglin se passionne pour
l’histoire de ces campagnes pour lesquelles il semble avoir une attirance
incompréhensible.
Notre héros était déjà venu dans cette région avec
Long Zhongyong, professeur d’architecture et ami (ils ont fait leurs études ensemble), et
un groupe d’étudiants pour admirer et travailler sur la construction et
l’ornementation des grandes maisons des anciens propriétaires terriens.
Grandes bâtisses qui ont des allures de forteresses pour faire face aux
assauts des bandits. La maison du grand puits attire particulièrement leur
attention. Et curieusement elle semble aussi être connue du
vieux Liu.
Yangtsé et barrage des 3 gorges |
Retour en arrière. Retour en enfer. Niveau un. Il y en aura
dix-huit. Que vous découvrirez en alternance avec les aventures de
Quinglin. Dingzi sourit et rit, porté
haut par les bras de son père
Lu Zongwen. Mais que s’est-il passé ? Maintenant où est
Dingzi ?
Daiyun se noie, s’écorche, est
bousculée par le flot tumultueux de ce fleuve, où va-t-elle atterrir ?
Daiyun remontera tout doucement
le temps, sa vie, les horribles évènements de la période de la révolution
agraire, son rôle vis-à-vis de ses parents et de sa belle-famille. Il y a le
récit de scènes épouvantables de cruauté et de bestialité : les "séances de
lutte". Mais nous aussi, en France, nous avons eu nos périodes sanglantes
lors de la Révolution française, quand un peuple affamé et mal traité se
soulève… quand ceux qui gouvernent, perdent la main pour maintenir un
minimum de raison….
Wuhan |
Et puis au détour des recherches de
Quiglin, aux alentours de 2015, on découvre que dans un village de cette région du
Sichuan
il n’y a encore qu’un poste de télévision et qu’un accès limité à
l’électricité (coupée à 21h00 sauf le week-end), mais que cela allait
s’améliorer grâce au
barrage des Trois Gorges. Ce barrage de 600 kilomètres de longueur (pour le lac) est la plus grande
centrale hydroélectrique du monde, immense monument de génie civil qui a
conduit à noyer des villages et à modifier profondément l’environnement mais
pour apporter le confort et le moyen de développer des activités permises
par l’électricité. On comprend également que les routes ne sont pas toutes
goudronnées, mais que la nouvelle classe moyenne supérieure roule avec
plaisir en voiture voire en 4X4. La vie à
Wuhan
est totalement différente de celle de la campagne même qu’à
Wanzhou ou à
Chongquing.
Il y a dans ce cheminement entre ce qui a été oublié ou ce qui a été caché,
comme un air d’enquête pour
Quinglin et aussi d’une certaine
façon pour sa mère. Sauf que la morale de l’histoire est peut-être que des
évènements trop douloureux doivent volontairement être oubliés pour pouvoir
vivre ou survivre.
Quinglin saura d’où il vient et
d’où viennent ses parents, mais à quoi bon
Bonne lecture !
Prix de la littérature asiatique Emile Guimet en 2020
Fang Fang, traduction de Brigitte Duzan et de Zhang Xiaoqiu
375 pages
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