jeudi 26 octobre 2023

FUNERAILLES MOLLES de Fang Fang (2016 traduction de 2021) - par Nema M.


Nema rêvasse avec un vieil atlas en papier sur les genoux. Elle dit soudain à Sonia :

- Ah oui, quand même, près de 1.000 kilomètres entre Wuhan et Chongquing. Après, le Yangtsé fait environ 6.300 kilomètres je crois. En Chine, on n’est pas dans les mêmes dimensions que chez nous…

- Eh, oui Nema ? et ?

- J’avais du mal à me retrouver dans la géographie de la Chine, Sonia, et à comprendre pourquoi il y a de telles différences entre le Sichuan et la région de Wuhan, ne serait-ce qu’en matière de cuisson et d’assaisonnement des nouilles…

- D’accord. Bof, entre les frites du Nord et la bouillabaisse de Marseille, il y a aussi une grande différence et environ 1.000 kilomètres non ?


Fang Fang
XX

La Chine, c’est grand, immense même, c’est loin, on ne connaît pas bien sa géographie et encore moins son histoire, même son histoire récente. Avec le roman "Funérailles molles", l’immersion est totale. Nous découvrons un récit de vies secouées par les évènements de la fin de la République (1912 – 1949) à nos jours, en passant par la lutte contre les bandits qui sévissaient dans les campagnes, les débuts du parti communiste et la réforme agraire de redistribution des terres. Au fil d’un récit habilement construit, faisant passer du présent au passé et inversement, nous emmenant de Wuhan au Sichuan, l’autrice nous captive et nous éclaire sur une Histoire sombre mais aussi touchante en nous faisant découvrir des coutumes qui ne sont pas les nôtres.

Qui est Ding Zitao et pourquoi donne-t-elle le nom de Xiaocha à la femme à son service ? Pourquoi parle-t-elle d’un coup de crosse de fusil reçu dans le dos ? Quinglin, son fils, est très intrigué. Sa vieille mère Ding Zitao a un comportement très bizarre depuis qu’il a enfin pu acheter une maison et l’installer confortablement, elle qui a travaillé si longtemps au service des autres. C’est étrange car pour fêter leur arrivée dans la nouvelle maison, son fils lui a proposé de boire un peu d’alcool et de trinquer et tout se passe bien et on rit des souvenirs d’autrefois avec le docteur Wu, le père de Quinglin. Mais cela va faire remonter de tels souvenirs pour sa mère, que malheureusement après la première nuit, elle sombre dans une totale apathie.

Quinglin Wu, la cinquantaine, est un homme sérieux, très travailleur et respectueux de son patron et de la famille de celui-ci. Il a bien réussi et est désormais en position de responsable d’une entreprise à Wuhan. Son père le docteur Wu, est mort alors qu’il était encore enfant. Il n’en a que quelques souvenirs. Il n’a ni frère, ni sœur, ni oncle, ni tante, rien aucune famille. Rien que cette mère, Ding Zitao, qui a beaucoup travaillé pour qu’il puisse étudier et réussir. Il la chérit plus que tout. Alors il aura envie de comprendre d’où il vient, d’où viennent ses parents.


Travaux ruraux à la fin de la révolution culturelle

Liu Jinyan a deux fils : Xiaochuan et Xiao ‘an. Xiaochuan est le grand patron de Quinglin, tandis que son frère Xiao’an se consacre désormais à leur père le vétéran Liu. Le vieux Liu a la nostalgie de la région du sud-est du Sichuan et prend grand plaisir à aller dans un petit restaurant qui prépare des nouilles coupées, vinaigrées comme là-bas. Il se trouve que par un concours de circonstances, il revient à Quinglin de s’occuper quelques jours d’oncle Liu (c’est ainsi, avec respect qu’il appelle le vieux Liu) à la demande de son patron et ce dans la région de Chongquing, pour un voyage de retour dans une région où le vieux Liu a commandé une armée au tout début de l’avènement du parti communiste. Visite dans des villages, témoignages et souvenirs plus ou moins douloureux, remonté du Yangtsé jusqu’au barrage des Trois Gorges… Quinglin se passionne pour l’histoire de ces campagnes pour lesquelles il semble avoir une attirance incompréhensible.

Notre héros était déjà venu dans cette région avec Long Zhongyong, professeur d’architecture et ami (ils ont fait leurs études ensemble), et un groupe d’étudiants pour admirer et travailler sur la construction et l’ornementation des grandes maisons des anciens propriétaires terriens. Grandes bâtisses qui ont des allures de forteresses pour faire face aux assauts des bandits. La maison du grand puits attire particulièrement leur attention. Et curieusement elle semble aussi être connue du vieux Liu.


Yangtsé et barrage des 3 gorges

Retour en arrière. Retour en enfer. Niveau un. Il y en aura dix-huit. Que vous découvrirez en alternance avec les aventures de Quinglin. Dingzi sourit et rit, porté haut par les bras de son père Lu Zongwen. Mais que s’est-il passé ? Maintenant où est Dingzi ? Daiyun se noie, s’écorche, est bousculée par le flot tumultueux de ce fleuve, où va-t-elle atterrir ?

Daiyun remontera tout doucement le temps, sa vie, les horribles évènements de la période de la révolution agraire, son rôle vis-à-vis de ses parents et de sa belle-famille. Il y a le récit de scènes épouvantables de cruauté et de bestialité : les "séances de lutte". Mais nous aussi, en France, nous avons eu nos périodes sanglantes lors de la Révolution française, quand un peuple affamé et mal traité se soulève… quand ceux qui gouvernent, perdent la main pour maintenir un minimum de raison….  

Wuhan

Et puis au détour des recherches de Quiglin, aux alentours de 2015, on découvre que dans un village de cette région du Sichuan il n’y a encore qu’un poste de télévision et qu’un accès limité à l’électricité (coupée à 21h00 sauf le week-end), mais que cela allait s’améliorer grâce au barrage des Trois Gorges. Ce barrage de 600 kilomètres de longueur (pour le lac) est la plus grande centrale hydroélectrique du monde, immense monument de génie civil qui a conduit à noyer des villages et à modifier profondément l’environnement mais pour apporter le confort et le moyen de développer des activités permises par l’électricité. On comprend également que les routes ne sont pas toutes goudronnées, mais que la nouvelle classe moyenne supérieure roule avec plaisir en voiture voire en 4X4. La vie à Wuhan est totalement différente de celle de la campagne même qu’à Wanzhou ou à Chongquing

Il y a dans ce cheminement entre ce qui a été oublié ou ce qui a été caché, comme un air d’enquête pour Quinglin et aussi d’une certaine façon pour sa mère. Sauf que la morale de l’histoire est peut-être que des évènements trop douloureux doivent volontairement être oubliés pour pouvoir vivre ou survivre. Quinglin saura d’où il vient et d’où viennent ses parents, mais à quoi bon

 

Bonne lecture !

 

Prix de la littérature asiatique Emile Guimet en 2020

Fang Fang, traduction de Brigitte Duzan et de Zhang Xiaoqiu

375 pages 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire