Ce petit trio de l'Allier fait partie de ces fortes têtes qui n'en ont strictement rien à carrer de ce qui est tendance ou pas. Totalement rien à faire de savoir s'ils ont une chance de glaner un article ou une interview dans un quelconque magazine. Non pas que cela ne leur ferait pas plaisir, ne les flatterait pas car ils restent avant tout des hommes - avec les qualités et défauts généralement inhérents à la nature humaine -, mais simplement qu'il n'est pas question de se compromettre. Même si les concessions seraient infimes. Pensez donc, toujours pas l'ombre d'un bassiste (malgré la forte demande à Pôle Emploi). Et pour leur précédent disque, frondeur, ils avaient préféré s'adjoindre les services d'une tierce personne pour secouer méchamment une paire de maracas plutôt que de s'abaisser à se pencher vers les mainstream en enrôlant un bassiste 😁. Était-ce un hommage aux débuts de Bo Diddley ? Quelle sacrée bande de coquins. Même les confinements, pandémies, conflits sociaux et autres discordes n'ont pas eu plus d'effet sur ces lascars qu'un pet sur une toile cirée. The Marshals, c'est de l'authenticité à fleur de peau.
Ainsi, The Marshals demeure ce trio de têtes brûlées, droits dans leurs bottes, qui aurait très bien pu sortir tels quels leurs disques dans les années 60. Vrai, car leur Blues terreux, franchement rustique, n'a pas d'âge. Il suffit de fermer les yeux, d'écouter sans rien savoir de l'équipe officiant, pour se croire en présence de ces trublions chers au label Fat Possum, notamment ceux des familles Burnside et Kimbrough. Sans oublier le talentueux héritier Cedric Burnside. On pense aussi à John Lee Hooker, celui des années 50 et 60, et Slim Harpo dans une approche plus tendue et nerveuse ; presque Punk. Vouaille ! The Marshals, c'est simplement du Swamp-punk-rock-hill-country-bluesy. 👌😉 Pour revenir au Hook', le dernier morceau de l'album, "See the Lightning" laboure un savoureux country-blues aux couleurs automnales - où le vent sec et vivifiant de la montagne paraît avoir été effectivement capté -, où on s'attend à entendre surgir au détour d'un couplet la voix chaleureuse du boogie Chillen.
C'est tel un combo de prolétaires enchaînés à leur vieille terre, aux dos brisés par le labeur et la chaleur des jours, aux cous et aux faciès burinés par un soleil sans merci. Des durs à cuire, des durs à la douleur, puisant dans leur musique de quoi rendre leurs prochaines journées supportables. A croire que le Hill Country Blues ne s'est jamais extirpé des terres défraichies du nord du Mississippi, mais des campagnes embrumées bourbonnaises. C'est cru, rouillé, direct, sans aucun ornement, sans rien de superflu ; ça va droit à l'essentiel. Une hérésie à une époque où la grande majorité de la production diffusée par les gros labels - qui, dans un but purement stratégique, économique, ont fait main basse sur une large plage de la bande FM - est retraitée par ordinateur et tables de mixage high-tech. Même les voix sont plus travaillées que jamais. Et certains groupes de Metal n'y coupent pas. D'où une relative uniformatisation de la musique médiatisée.
Le trio Bourbonnais lui, n'en a cure. Pour lui, il s'agit d'un univers parallèle corrompu, qui a oublié que la musique ne devrait pas autant forniquer avec le commerce. Eux qui ne prennent même pas la peine de prendre la pause pour une séquence photo, encore moins de s'apprêter dans des habits de fête ou un quelconque costume de scène. Tout comme le peigne et le rasoir qui sont optionnels. 😉 Rien à carrer. A croire que toutes les notions de marketing ne sont pour eux que déviance et obscénités. Ce sont des résistants.
L'approche est donc sans filet, franche et dépouillée, sans l'ombre d'une pédale pour adoucir, ou plutôt arrondir les angles d'une increvable Gretsch 6120 crue et primitive (qui semble être pourvue d'un robuste tirant de cordes). Pas l'ombre d'une fuzz ou d'une p'tite overdrive (ou alors quelque chose de discret, de transparent), juste le son d'un ampli (certainement un solide combo plutôt qu'un double corps) qui crunche suivant l'intensité de l'attaque de Julien, et une légère "reverb" d'aspect naturelle ; peut-être offerte par le lieu. Toutefois, il y a bien deci-delà un léger trémolo, difficilement perceptible, d'obédience Fender. Pas de basse encore moins de claviers pour limiter le tranchant, à la place l'harmonica de Laurent (qui a effectué un stage de yoga de trois ans dans un ashram perdu au milieu d'une contrée mystérieuse de Mongolie pour développer ses capacités - c'était ça ou la greffe d'un troisième poumon pour garder le rythme 😜), lui-aussi exempt d'effets, quasiment omniprésent. Soutenant la rythmique, ou soulageant la guitare par quelques chorus ou de rares envolées, cinglant l'espace sonore telle une volée de bois vert. Tandis que la batterie de Thomas se veut tribale, renforçant la direction hypnotique, vaudou, "mud", de Julien. De la même façon que pour les précédentes réalisations, cette approche sans concession peut nécessité pour les esgourdes délicates, - qui aux premières écoutes risquent d'être troublées, perplexes, tourmentées -, un temps d'acclimatation avant de se faire happer, contaminées à jamais, par l'univers (certifié 100 % bio) de The Marshals.
Et quand, exceptionnellement, ils s'adonnent à l'exercice de la reprise, comme précédemment avec le "Run through the Jungle" de Creedence Clearwater Revival, c'est pour en faire une version fusionnant avec leur Blues-rock abrupte et séminal. Ici en l'occurrence, c'est le premier et excellent morceau du second disque ("Continued...") de Tony Joe White, "Elements and Things" qui est l'unique reprise de ce disque de neuf morceaux, dans une version plus dépouillée que l'originale. L'album s'écoute d'une traite, assez fort ou au casque pour en saisir toutes les subtilités, et finit en beauté, par "See the Lightning" donc, précédé d'un reptilien "New Dawn". Un mid-tempo sombre et lancinant, exceptionnellement sans harmonica. Absence comblée par des nappes de guitares, où pour l'occasion, l'une d'elles est habillée d'une fuzz modérée, et une autre d'un effet de "reverse" procurant une atmosphère de heavy-psychédélique bienvenue.
Toujours la même équipe, boulonnée et soudée autour de Thomas Duchézeau à la batterie et aux percussions, de Laurent Siguret à l'harmonica et bien sûr de Julien Robalo, guitariste, chanteur et compositeur. Avant l'aventure The Marshals, ces gaillards jouait déjà ensemble dans un autre groupe.
Pourquoi le "Le Ptit Cham Sessions" ? Simplement parce que, comme pour les précédents opus, c'est le lieu d'enregistrement de l'album. Là, en l'occurrence, un confortable gîte de montagne (l'apostrophe en sus, soit "Le P'tit Cham"), en face du Mont Dore du Puy-de-Dôme, où les lascars ont posé leurs valoches et leur matos et ont enregistré leur album, en prise directe, en quelques jours. A propos d'ailleurs, si la musique du trio vibre aux sons d'une Amérique profonde, l'artwork de leurs disques représentent le terroir de l'hexagone. Avec une prédilection pour le monde rural. Ainsi, la couverture du présent disque est tout simplement une vue sur le Mont Dore, certainement prise du lieu de travail, du "P'tit Cham".
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