Le rock n’est pas qu’une musique, c’est une aventure et un swing que l’on acquiert en se jetant dans la vie comme dans un gouffre. Pourvu que sa légende ne soit jamais rattrapée par cette « morale des faibles » qu’est la morale, que les délires modernes ne s’avisent jamais de condamner sa grandiose vitalité. Le rock’n’roll était et doit rester une musique faite par des marginaux pour des marginaux, une force nous faisant oublier l’ennui d’un monde trop conformiste. Le rocker a pour mission de vivre tout ce que ses fans, par manque d’audace ou bienséance, ne peuvent pas vivre.
Histoires scabreuses, chambres d’hôtels détruites, bagarres et pieds de nez au show business, les rockers des années 60-70 étaient des fauves indomptables. Ces exploits étaient également les conséquences de tournées incessantes, parcours infernaux soumettant l’homme à toutes les tentations. C’est cette vie que Led Zeppelin découvrit en 1969. Jimmy Page savait déjà à quoi s’en tenir, la courte histoire des Yardbirds lui ayant déjà fait découvrir ce quotidien fait de filles faciles et de substances planantes.
Pour les autres musiciens, cette aventure fut une fête qui ne finit pas toujours bien. Ayant déjà le mal du pays, John Bonham commençait à perdre pied, au point que Peter Grant dut l’empêcher de violer une journaliste venue interviewer le groupe. Les magazines firent leur beurre sur les exploits de ces nouveaux guerriers de la route. Une légende fameuse raconte que, alors qu’elle était venue prendre un peu de bon temps avec ces surhommes, une gourgandine finit attachée avec un requin entre les cuisses. L’anecdote est invérifiable mais entretient un mythe fait de dépravation sexuelle et d’exploits viriles, un mythe qui donnait sa force au chorus pagien, dotait la voix de Plant d’un irrésistible attrait sexuel, décuplait la force des détonations provoquées par John Bonham.
Peu après la sortie de « Led Zeppelin I » le groupe de Jimmy Page fut invité au Fillmore, où il conquit vite le public américain. Après les Stones, Led Zeppelin donnait un nouveau coup de jeune au swing de Robert Johnson. Toujours aussi reconnaissant vis-à-vis de ces groupes anglais lui faisant redécouvrir son héritage, le public américain fit un triomphe à ces jeunes loups vigoureux. Les tournées étaient grandioses, l’argent coulait à flot et l’avenir s’annonçait radieux, pourtant Page n’était pas totalement satisfait de son groupe.
Il avait lu les chroniques des premiers concerts de son groupe, qui pointaient souvent la théâtralité jugée pompeuse de Robert Plant. Page songea alors à remplacer ce hippie inventant un style que tout un courant copiera ensuite. Il fut retenu par l’engouement du public, qui finit par accorder plus d’attention aux hurlements de ce viking blond qu’à son guitariste. La formation fut ainsi définitivement fixée lorsque, pressé par un label désireux de surfer sur le succès du premier album, Led Zeppelin enregistra ce « Led Zeppelin II ».
Beaucoup virent et voient encore dans « Led Zeppelin I » un aboutissement artistique, cette vision ne peut que paraitre excessive pour tout observateur avisé. En réalité, « Led Zeppelin I et II » réussissent un exploit que seul « Revolver » et « Sergent Pepper » avaient accompli, le premier annonce une révolution musicale que le second achève.
L’histoire du heavy blues pouvait déjà s’arrêter à ce « II », toute sa puissance et son lyrisme y trouvaient un aboutissement qu’ils n’égaleraient ensuite que rarement. Jimmy Page fait ici ses premières armes d’alchimiste sonore, son jeu faisant cohabiter luminosité mélodique et noirceur d’un rock enragé, parfois au sein d’un même morceau. A ce titre « Ramble on » est une de ses plus grandes réussites, breaks mélodieux et refrains emportés s’y enchaînant avec une fluidité exemplaire.
Ce que les heavy métalleux ne comprendront jamais, c’est que la force de ce disque ne se situe pas seulement dans la puissance de bombes heavy blues tels que « Heartbreaker » , « Whole lotta love » ou « Lovin livin maid ». Le groupe a su conserver cette grâce qui fit le rock anglais des sixties, grâce qui culmine sur la ballade romantique « Thank you » et se laisse deviner sur le break de « What is and what should never be ». La grandeur de ce « Led Zeppelin II » est entièrement contenue dans ces allers retours incessants entre la grâce et la rudesse, l’ombre et la lumière. Ainsi fut et restera « Led Zeppelin II » le monument indépassable et indépassé du heavy blues.
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