vendredi 12 mai 2023

HENNING MANKELL "La Muraille invisible" (2002) par Luc B.

Notre chère Nema nous avait déjà parlé de cet écrivain suédois, Henning Mankell, à propos du roman « Comédia infantil », clic ici vers l'article de Nema précisant qu’il était aussi un auteur de polar, le papa des enquêtes de l’inspecteur Kurt Wallander, qui sont (je cite Nema) « de très bons polars ». Comme quoi au Déblocnot rien de se crée, tout se transforme, voici un polar de la série des Wallander. Une série que vous connaissez sans doute parce qu’adaptée à la télévision* avec Kenneth Branagh dans le rôle-titre.

C’est effectivement du très bon polar. Mankell n’était pas manchot avec sa machine à écrire, y manquerait plus que ce soit torché par deux pieds gauches…

L’intrigue est complexe, mais prenante. Parce Mankell nous présente les faits tels que son enquêteur les découvre. Le lecteur n’a pas une longueur d’avance sur l’action. Et puis ces faits paraissent évidents dans un premier temps, avant de s’apercevoir qu’ils ne sont pas si simples que cela. Comme ce type, Tynnes Falk, dont on découvre le corps sur un trottoir, la nuit, près d’un distributeur à billets. Le ticket atteste qu’il n’a pas retiré d’argent (le mobile du vol est exclu) mais exécuté une opération bancaire (en pleine nuit ?) avant de mourir de causes naturelles (aucune plaie ou bosse). Un gars en pleine forme, informaticien sans embrouille, qu’est-ce qu’on va perdre son temps à enquêter...

[Ystad, au sud de la Suède, fief de Wallander]  Et puis c’est comme Eva Persson et Sonja Hökberg, des ados accusées pour avoir tué un chauffeur de taxi pour quelques billets. Les preuves sont évidentes, d’ailleurs elles se laissent arrêtées sans broncher, et avouent sans une once de remord. Mais comme Wallander est un flic scrupuleux, il va remonter les fils, essayer de comprendre ces deux situations absurdes qui se soldent par la mort d’un homme. Comme chez Columbo, y’a des p’tits détails qui fâchent… Avant de monter en taxi commettre leur crime, les deux filles étaient dans un bar, et au moment où un chinois, Fu Cheng, est rentré, elles ont permuté de place. Le patron s’en souvient, ça l'a intrigué. Pourquoi ? Et pour le programmeur informatique, pourquoi aller vérifier l’état de ses comptes à presque minuit ?  

Là où ça va se compliquer, c’est lorsque qu’une immense panne électrique plonge dans le noir la moitié de la Scanie. Un transformateur à haute tension a été vandalisé, on y retrouve un cadavre carbonisé : celui de Sonja Hökberg qui avait échappée à sa garde à vue. Au même moment, c'est le corps de Tynnes Falk qui disparaît de la morgue, remplacé sur son brancard par un bloc électrique issu du transformateur… L’enquête prend un nouveau tour, il va falloir en dénouer tous les fils pour comprendre les liens entre ces deux affaires.

[les trois visages de Kurt Wallander à la télé]   C’est là que Henning Mankell est très fort, il laisse avancer le lecteur dans le flou le plus total mais sans jamais le perdre. Chaque témoignage (l’ex-femme de Tynnes, son entourage professionnel) éclaire les enquêteurs sur la personnalité des uns et des autres. Et comme dans beaucoup de polars, le héros doit aussi faire face à d’autres problèmes, des articles malveillants et photos compromettantes dans la presse à scandale, une enquête interne, les coups tordus de collègues, sa vie personnelle cabossée soudainement illuminée par la rencontre de Elvira Lindfeldt, qui ne tient sans doute pas du hasard…

Chez Mankell, pas de rebondissements tonitruants, pas d’actions spectaculaires, l’auteur déroule son enquête, précise, fouille le passé des protagonistes et révèle des connexions inattendues. Un indice nous conduit à un autre, vers de nos protagonistes, avec cette impression diffuse que quelque part quelqu’un est à la manœuvre, tire les fils, qu’il suffirait de prendre de la hauteur pour comprendre le schéma général qui se trame. Le personnage de Wallander n’est pas forcément sympathique, pas toujours aimable, flirtant avec l’éthique lorsqu’il embauche un jeune hacker en bisbille avec la justice, pour fouiller les ordinateurs de Tynnes, un personnage qui va se révéler plus complexe et ambigu.

On passe vraiment un (très) bon moment, outre sa capacité à construire une intrique retorse, Mankell a le don pour faire participer le lecteur, l’embarquer dans son enquête, le laisser naviguer à vue sans toutefois le perdre, on cherche, on réfléchit, on battit des hypothèses avec Wallander, l’auteur ne nous laisse pas sur la touche.

Un excellent polar.    

* Il y a eu trois séries tv tirées des romans de Mankell entre 1994 et 2010, deux suédoises et une anglaise (avec Branagh) c'est dire le phénomène. "La muraille invisible" est le 9è roman sur les 12 écrits par l'auteur.

 


Edition (Poche) Points  -  520 pages

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