Ce vendredi, un empilement de vieux jouets occupe le milieu du séjour quand Nema rentre de son travail. Elle entend couler la douche et Sonia chanter « mon beau sapin… ».
- Sonia ? C’est quoi tout ce bazar ?
- Ah oui, j’ai oublié de te dire, je me suis portée volontaire pour le nettoyage de jouets d’occasion en plastique pour la distribution gratuite pour le Noël des associations du quartier. Tous les enfants ont droit à des jouets, non ?
- C’est très bien, pas de problème, tu as raison. Mais malheureusement dans le monde aujourd’hui il y a des enfants qui voudraient d’abord avoir de quoi manger à leur faim. Je viens de terminer un roman qui se passe en Afrique, l’histoire d’un petit garçon qui n’aura eu que très peu l’occasion de s’amuser… Certains passages font froid dans le dos, mais il y a en même temps beaucoup de poésie et de charme dans ce récit.
Maputo, Mozambique |
Nous voilà partis pour le Mozambique. José Antonio Maria Vaz est à
l’origine boulanger, et ce depuis l’âge de six ans, car il n’y a pas d’âge
pour commencer à travailler quand on est pauvre en Afrique. Mais il devient
« chroniqueur des vents », surnom qu’il aura quand il dédiera sa vie à une
histoire, un seul récit à raconter, celui de cette terrible et poignante
rencontre qui l’aura profondément transformé : le récit des neuf dernières
nuits qu’il aura passées avec Nelio avant sa mort.
Posons le décor. José Antonio Maria Vaz vit à Maputo. Tout comme Dona Esmeralda la propriétaire de la boulangerie et du théâtre attenant. Dona Esmeralda est une vieille femme, fille d’un ancien gouverneur de la ville, Dom Joaquim Leonardo Dos Santos, à l’époque où le Mozambique était colonie portugaise. Bien sûr, c’était il y a déjà longtemps. Depuis, il y a eu la révolution et tout ce qui pouvait rappeler cette période, comme les très nombreuses statues érigées sur les grandes places ou les noms des rues, a été supprimé. Mais la vieille femme reste dans ses rêves et son théâtre lui sert à monter des spectacles nés de son imagination et relativement abscons (avec des costumes comme des têtes d’éléphant à porter en plein cagnard…). En passant par la boulangerie, il est possible pour les employés de monter dans un ancien réduit dédié au matériel de projection au-dessus de la salle du public et de voir les représentations. Pas très compréhensibles ces spectacles pour José Antonio mais c’est quand même plaisant.
Cases du Mozambique |
Une nuit, alors qu’il travaille à la préparation du pain,
José Antonio entend deux coups de feu. Bizarre, cela semble venir du
théâtre, mais il n’y a pas de représentation à cette heure-là, le théâtre
est vide. Sa curiosité le pousse à se faufiler à l’intérieur de la salle car
il connaît toutes les astuces pour y entrer ainsi que pour monter sur le
toit. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il découvre gisant sur la scène un
enfant blessé par balle. Il se penche et l’enfant lui dit de ne pas
l’emmener à l’hôpital. Sans réfléchir, José Antonio porte le petit
corps saignant sur le toit. Dans la nuit africaine étoilée. A l’abris des
regards. Il l’installe sur un vieux matelas et tente de panser ses deux
plaies, deux trous faits par des balles. L’enfant lui dit s’appeler
Nelio. Il va lui raconter pourquoi il est là, comment il en est
arrivé là. Mais à son rythme. Nelio garantit qu’il aura le temps de
tout dire avant de mourir. José Antonio ne veut pas qu’un enfant, de
dix ans environ, meure comme ça.
C’est nuit après nuit que José Antonio écoutera l’enfant lors des
courtes périodes de répit entre accès de fièvre et endormissement. Neuf
nuits.
La première nuit est consacrée au massacre des gens de son village. Des
soi-disant libérateurs déguisés en pseudo soldats, ivres d’alcool et de
drogue, affamés, arrivent dans le village pour le piller, pour tuer, pour
violer et pour enrôler de force des hommes, des jeunes, des enfants dans
leur combat barbare.
Horreur suprême, sous les yeux de sa mère et de tout le village, un bébé est écrasé dans un mortier à maïs sous le poids du pilon manœuvré avec frénésie par l’un de ces soudards. Et on brûle les cases pour finir par partir vers un autre village. Nelio est emmené. Mais il s’échappera.
Mouzinho de Albuquerque "pacificateur" du mozambique |
Nelio rencontre Yabu Bata, un nain qui voyage avec sa valise,
à pied. L’enfant apprendra auprès de cet étrange petit bonhomme qu’il lui
faut suivre le fleuve qui mène à la mer, puis suivre la côte pour arriver en
ville, car il ne peut pas vivre tout seul. Yabu Bata doit de son côté
continuer sa quête.
Enfin arrivé en ville, Nelio tombe sur Senhor Castigo, le
malhonnête, l’exploiteur d’enfants. Nelio mendie quelques temps pour
cet homme pour avoir à manger, mais ce n’est pas du tout ce qu’il veut. Il
s’enfuit, couche dans une vieille carcasse de voiture, change de quartier et
finalement s’approche d’une bande d’enfants des rues.
Les enfants des rues sont nombreux. Parmi les moyens de subsistance, il y a la technique de salir des belles voitures pour ensuite se proposer pour les nettoyer. Avec tout ce qu’il a traversé, Nelio a la maturité d’un homme, il ne juge pas, il comprend. Sa réflexion est grave, mais son écoute des autres enfants de la bande dirigée par Cosmos et son attitude de conciliateur lui permettent d’y être intégré. Contrairement aux autres enfants qui dorment ensemble sur les marches du palais de justice, Nelio se trouve un refuge original dans le corps d’un cheval, une statue équestre oubliée dans le cadre des démolitions des vestiges de la colonisation.
L’attitude de Nelio fait que Cosmos le chef de bande lui confie le groupe. Il y aura quelques aventures bien cocasses pour cette troupe d’enfants aux passés tourmentés et aux seuls désirs d’avoir un toit, une famille et une carte d’identité.
Il y a des passages de pure poésie, de philosophie et des descriptions de
paysage. Il y a des passages durs et tragiques. Et il y a des rires quand
même, car ce sont encore des enfants. La construction du livre nous permet
d’avoir ce récit poignant de Nelio mais aussi ce que cela provoque
chez José Antonio le boulanger. Il ne pourra pas rester indifférent à
la mort de Nelio. Il ne pourra pas ne pas vouloir faire entendre le
cri sourd de ces petits martyres perdus dans la grande ville qu’on ne voit
pratiquement pas.
Henning Mankell est un auteur suédois né en 1948 et mort en 2015 à Goteborg. Vous avez peut-être déjà lu des romans policiers de lui ayant pour héros l’inspecteur Kurt Wallander et dont les enquêtes se déroulent en Scanie, dans le sud de la Suède, vers Malmo. Si ce n’est pas le cas, vous pouvez y aller, ce sont de très bons polars. Mais cet auteur a également vécu à Maputo au Mozambique, où il a dirigé un théâtre. Sa vie se partage entre Suède et Afrique, et ce continent lui a inspiré des romans à la fois réalistes et poétiques. Comédia infantil a reçu plusieurs prix et a été adapté à l’écran.
Bonne lecture !
Seuil - 230 pages
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