mercredi 8 février 2023

SILVERHEAD " First - Same " (1972), by Bruno


   Purple Records, comme tout le monde le sait, était un label fondé par la maison Deep-Purple. Par le célébrissime quintet londonien et son duo de managers, Tony Edwards et John Coletta. Une entreprise qui devait offrir plus de liberté artistique au groupe, notamment en ayant toute latitude pour la durée des morceaux et faire fi de la pression de cadres obsédés par les singles au format radio. Egalement donner la possibilité aux membres de réaliser en toute sérénité une petite excursion en solo. Ce dont Jon Lord profita prestement. Sans Purple Records, il n'y aurait peut-être jamais eu de grenouille chantant "Love is All". Grâce à cette entité, l'équipe put donner un sérieux coup de pouce à des formations et des musiciens qu'elle estimait. Les groupes de rock pris sous l'aile de Purple Records se comptent sur les doigts, le label n'ouvrant pas ses portes au premier clampin venu. Pour ainsi dire, un disque portant l'étiquette "Purple Records" est généralement un gage de qualité. Ainsi, parmi les plus notables, on retrouve les américains d'Elf (qui va servir de matériau pour le prochain projet de Blackmore), Tony Ashton (qui sera épaulé par Jon Lord), les très bons Tucky Buzzard (pour le dernier souffle de leur carrière), Hard Stuff, David Coverdale (pour son départ en solo après le split de Purple) et le plus rock'n'roll de tous, Silverhead.


     Silverhead
, carrière éphémère mais au souvenir quasi impérissable, revenant depuis longtemps dans divers articles de la presse spécialisée. Derrière ce groupe, il y a un certain Michael Phillips Des Barres. Un jeune acteur, qui fait ses premiers pas devant une caméra à huit ans et  participe à un premier long métrage à dix-neuf, en 1967 (dans les "Les Anges aux poings serrés" avec Sydney Poitier). Cela avant d'être saisi par les démons du Rock, d'apprendre la guitare, et de s'investir corps et âme dans la musique. En fait, passé la vingtaine, cet enfant de marquis d'origine française (1), cherche à s'encanailler, à épouser une relative décadence émancipatrice des conventions. 

     Aux débuts des années 70, il monte un groupe au sein duquel s'agite le batteur Pete Thompson, qui va connaître une longue carrière en devenant un musicien de studio réputé. Ami de David Byron, il l'accompagnera pour sa triste fin de carrière, après son éviction d'Uriah Heep. Plus tard, il jouera avec Ken Hensley, Pete Haycock, Robin Trower, Robert Plant et même Eric Bibb. A la basse, un frisé du nom de Nigel Harrison, qui partira tenter sa chance aux USA. D'abord pour un projet sans lendemain avec Iggy Pop, puis enfin pour connaître le succès avec Blondie. Il renouera avec Des Barres en 1982, pour Chequered Past avec l'ex-Pistols Steve Jones. Aux guitares, Stevie Forest et Rod Rock Davies, dont cet album sera l'unique éclat de leur cursus musical.

     Silverhead est généralement assimilé au Glam-rock. Surtout en raison d'un accoutrement volontairement provocateur et d'un lourd maquillage les faisant passer pour de négligées poupées de chiffons. Déguisement qui ne sert qu'à attirer l'attention à leurs débuts, et qu'ils ne gardent pas. Des Barres lui-même se défend de l'appellation Glam. Pourtant, ce premier essai, produit par l'homme de confiance de la maison Purple, Martin Birch, est bien plus proche des Rolling Stones des "Sticky Fingers" et "Exile on Main Street", que des "Electric Warrior", "Glitter" ou autres "Ziggy Stardust...". Par contre, effectivement, il y a bien des affinités avec la première galette de la petite teigneuse Suzi Quatro - qui ne sortira que l'année suivante, en 1973. Qui, finalement, est avant tout un simple et bon disque de Rock'n'roll rugueux. Tout comme cet album éponyme. Mais bien plus qu'avec ces illustres groupes susnommés, ce serait avec les Faces que le parallèle serait le plus approprié. On y retrouve cette même aridité, ce son cru et rouillé, près de l'os. Si ce n'est que ce premier Silverhead semble plus crasseux, extirpé de ruelles humides, plongées dans l'obscurité. On peut aussi mentionner les méconnus Heavy Metal Kids, qui, eux aussi, arriveront plus tard, en 1974.

     La fibre de Blues terreux est aussi bien présente, et ce, dès l'entrée en matière, l'âpre et lancinant "Long Legged Lisa" traîné sans ménagement par une slide cuivrée." Sold Me Down the River" suit le même chemin tout en s'aspergeant du plus capiteux des parfums du Stones sulfureux de Nellcôte.

    Tandis que le semi-acoustique "Johnny" s'égaie dans un sombre Country-rock, fusionnant avec le Uriah-Heep en mode acoustique (d'obédience Ken Hensley), contant l'histoire d'un jeune tueur. Les ballades "In Your Eyes" et "Wounded Heart" en portent aussi quelques traces et n'auraient probablement pas déplu à Rod Stewart, qui aurait pu aisément les intégrer à ses premiers disques solo. Sur "In Your Eyes", c'est même Humble Pie et feu-Steve Mariott qui surgissent. On vérifie même les crédits, pensant peut-être y dénicher le nom de Marriott venu prêter main-forte aux chœurs. C'est dire.

   L'exquis rock'n'rollien "Rolling With My Baby" préfigure des groupes tels que The Boyzz, avec son boogie-rock cradingue et ses cuivres sauvages imbibés de bourbon. Comme ces derniers, Silverhead rend aussi hommage aux bikers, avec "Ace Supremes" qui parle de l'amour - immodéré - porté aux bécanes. Un Heavy-rock'n'roll - proto-Georgia Satellites et Dusters - entrecoupé d'enregistrements de départs de machines pétaradantes. "She wiped his kick start clean".

   Pour ce qui est à proprement parler du Glam, il faut patienter jusqu'à "Rock And Roll Band", l'avant dernière pièce. Instant plus léger, qui a tout le potentiel pour charmer tous ces groupes de la décennie suivante qui ont pioché dans le Glam-rock, l'exploitant dans l'espoir de s'assurer un hit. Assurément, s'il avait été déterré à ce moment là, il se serait pointé dans les charts. Sinon, "Underneath The Light" en porte quelques solides fragments, mais cette pièce, influencée par de sombres enfants de la nuit, embrasse les nouvelles tables de la loi du hard-rock.

     Plus que Bolan, Bowie et Jagger réunis, Des Barres ose les effets de voix indécents, ouvertement sexuels, directement puisés au rock'n'roll et au blues les plus salaces. De quoi inquiéter les parents et émoustiller les midinettes. D'autant que la musique, bien loin de la pop proprette, exsude le tempérament de bad boys, de canailles adeptes de bruyantes fêtes tardives, enfumées et alcoolisées, de grasses matinées et certainement pas prêts à s'affubler d'une cravate ou d'une veste pour se présenter à un travail régulier. Les étonnantes similitudes entre lui et David Lee Roth (des années 77-80) au niveau des poses, des fringues et de la chevelure de la "période américaine", donnent à croire que le jeune Roth avait dans sa jeunesse suivit avec attention quelques prestations du groupe.

Maquillage rapidement abandonné

   Si Michael Des Barres fait figure de leader, si la fondation de ce heavy-boogie-rock cradingue repose sur la paire de gratteux, la basse de Nigel Harrison est déterminante. A la fois imperturbable et ne tenant pas en place, à l'image d'un Gregg Ridley, d'un Jim Lea ou d'un John Paul Jones (en fait, comme une grande partie des bassistes de cette période), il arrondit les angles et réduit les aspérités par son groove et sa fluidité. Sans jamais se démarquer du rythme, il semble lutter pour ne pas se laisser aller à quelques épanchements solistes.   

     S'il fallait pinailler et trouver des défauts à cet album, ce serait au niveau de la production du gourou Birch, qui n'est pas du niveau de celle des Deep Purple déjà sur le marché. Ou sinon, de n'avoir pas poussé un peu les Marshall. Peut-être que les rééditions sous le label Purple ressuscité y ont pourvu. Mais cela fait aussi partie du charme (vintage) que l'on essaye à retrouver avec tant de peine

     Silverhead réalise un second album, peut-être encore meilleur, avec nouveau guitariste en remplacement de Forrest. Mais en dépit de bonnes critiques, le succès ne vient pas et le groupe explose alors que les sessions d'un troisième disques sont bien entamées [l'album devait s'appeler "Brutiful"]. Un disque live sort à titre posthume, au Japon. Michael Des Barres se lie d'amitié avec Jimmy Page, partageant un même intérêt pour l'occultisme, et aussi pour la très jeune Pamela Miller. Une des plus célèbres groupies des 70's, que Des Barres finit rejoindre en Californie et épouser en 1977. Pamela Des Barres écrira "I'm with the band", ouvrage connu pour son immersion dans l'arrière-scène et les afters du Rock des 70's. Après un second projet du nom de Detective, avec deux bons albums à la clef, Des Barres préfère jouer la sécurité en revenant à l'écran (petit et grand). Pour les téléphiles, il reste l'éternel méchant de la série "Mc Gyver", Murdock. Après avoir réussi à se débarrasser de ses addictions, il renoue avec la scène dès les années 80, sans abandonner cette fois-ci sa carrière d'acteur ; certainement plus stable et probablement plus rentable. Il apparaît au grand écran pour la dernière en 2012, et en 2019 à la télévision ; dans la nouvelle série de Mc Gyver.


(1) Il y a toujours une rue Des Barres dans le quatrième arrondissement de Paris, dans le quartier Saint-Gervais. 


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6 commentaires:

  1. Pas mal du tout, mais c'est vrai que la production (ou ce qu'il reste du mixage) ne lui rend pas justice, surtout au travail du bassiste qui fait de belles choses. Y'a tout de même un p'tit côté glam assez prononcé je trouve, c'est l'époque qui veut ça (plus que du hard à la Purple) le chant de "in your eyes" est très marqué Bowie, certains riffs de guitares sonnent "Honky Dory" ou T.Rex ("sold me doxn to the river"), comme ces tempo boogie très en vogue dans ce genre musical.

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    1. Bowie pour "In Your Eyes" ? Sinon Humble Pie, j'aurais plutôt penché, pour la première partie, vers Mott the Hoople, et donc Ian Hunter - quand il parvient à chanter juste 😁.

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    2. Moi, ça m'a sauté aux oreilles ! Moins le timbre ou la texture que la manière de, certaines intonations... (Michael Des Barres : de la famille de Pamela Des Barres, la groupie folle dingue des musiciens de rock ?)

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    3. Oui, oui, tout à fait. La petite Pamela Miller qui a pris pour nom d'époux Des Barres en 1977.
      Si Michael Des Barres a quitté son Angleterre natale pour s'installer en Californie, se serait pour être auprès de la Miss Pamela. Toutefois, ce sont les infidélités répétées de Michael qui ont motivé le divorce en 1991.

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  2. Je suis allé voir du côté des live, c'est désastreux, enregistrés sur des cassettes TDK visiblement déjà utilisées 4000 fois ! Dommage, en concert ça dépote bien.

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    1. Effectivement les deux-trois live posthumes (sortis assez récemment) ont un son dégueulasse. Le seul valable, à ma connaissance, c'est le "Live at the Rainbow London", sorti en 1976.
      Là, le son est plus qu'honorable - ça reste du live, bien sûr -, et on y entend un groupe sérieux, bien Rock et énergique. Dommage qu'il soit pratiquement présenté comme un disque de Michael Des Barres.

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