Jared nous avait laissé en 2017, avec l'un des meilleurs disques de Hard-blues de l'année. Voire tout simplement un des meilleurs depuis longtemps. Sans faux-col, sans gluten, sans bidouillage de studio. Du handmade. Terme on ne peut plus approprié car le loustic maltraite ses Epiphones sans jamais utiliser le moindre plectre. Tout aux doigts. Ce qui est loin d'être une habitude chez les gratteux qui sont voués aux puissantes sonorités de la grande famille du Hard-rock.
Mais, depuis 2017, cet homme à la longue tignasse bouclée - à faire pâlir de jalousie Robert Plant et Nugent - s'est contenté de sortir quelques singles et un Ep. De bien bons trucs, cependant rien de particulièrement renversant, à l'exception de l'excellent "Skin 'N Bone". Un accident de la route a aussi pas mal ralenti ses projets. Son bras droit cassé, a nécessité une plaque métallique et pas moins de seize vis.
Et puis voilà qu'apparaît en ce début d'année un album éponyme. Généralement, lorsqu'un groupe ou un artiste sort un disque éponyme qui ne soit pas le premier, c'est soit pour marquer un nouveau départ, soit parce qu'on estime qu'il s'agit d'un zénith, le sommet que l'on s'était promis d'atteindre.
Malheureusement, ce n'est pas le cas ici. Attention, il ne s'agit pas d'un mauvais album, toutefois, en tournant le dos (pas totalement non plus) au (hard-)blues, Nichols pourrait bien avoir perdu sa (black) "Magic". Disons plutôt que certains morceaux semblent négliger le groove, perdus par l'écrasante puissance fangeuse flirtant avec un heavy-metal des origines. Le basique "Saint or Fool" et surtout "Hallelujah" franchissant le pas. Impression renforcée par une production touffue et pour le moins "garage" d'Eddie Spear (Delta Saints, Slash, Rival Sons), qui n'est peut-être pas ce qui pourrait convenir le mieux. Si les Epiphone Signature - les dépouillées "Old Glory" et "Gold Glory", des corps de Les Paul équipées d'un seul et puissant P90 Bare Kunckle ou Seymour Duncan (1) - sont évidemment mises à l'honneur, mixées bien en avant, parfois, un poil trop, c'est au détriment de la batterie du fidèle Dennis Holm.
Bien que pourtant bon en la matière, ses cymbales sont écrêtées, la grosse caisse étouffée et au contraire la caisse claire avantagée. Un apparent déséquilibre qui donne la sensation d'un captage dans une grange. Un meilleur traitement aurait pu sauver "Bad Roots" du naufrage, car Holm y fait une prestation à l'image d'un Appice des meilleurs jours. La basse a eu plus de faveur, cependant, généralement copieusement engraissée par une fuzz tellurique, elle se fond souvent dans le mix.
🎸 Pour revenir aux grattes de Jared, son arsenal s'est enrichi d'une authentique Gibson Les Paul Gold Top (avec ses Soap bars) de 1953 qui a été de longue date revernie en rouge - un coup de foudre dès qu'il a joué dessus (le courant est passé) -, surnommée "Ole Red" et "Dorothy", une autre Gibson Les Paul Gold Top, mais de 1952. Celle-ci avait été retrouvée dans les décombres de la petite bourgade de Washington (Illinois), après le passage d'une tornade le 17 novembre 2013. Le manche brisé, elle a été donnée par un fan à Jared qui s'est empressé de la requinquer - avec notamment l'aide de Bonamassa qui lui a déniché des pièces de rechange millésimées (2). "Dorothy" est bien sûr un clin d'œil à la tornade dans le Magicien d'Oz qui emporte l'innocente Dorothy.
Enfin, cette nouvelle cuvée a bien moins la saveur d'une production pro qu'une "auto-production à la maison". Avec comme une aversion pour les fréquences aigües, créant ainsi une zone d'accueil pour le mat et le gras, propice au Stoner, ou à quelques furieux des 70's tels que Buffalo, Leaf Hound, Sir Lord Baltimore. Probablement une volonté du principal intéressé, un choix de sonner le plus authentique possible, sans retouches, en condition "live". Une orientation privilégiant l'instant présent et l'énergie. Pour le meilleur et le pire.
La guitare sur le boueux "My Delusion" - qui ouvre l'album - est si grasse que c'est à croire que Jared joue sur le micro manche (grave) d'une guitare profilée pour le Jazz, avec en sus une Big-Muff. Cependant, aussi étonnant que cela puisse paraître à l'écoute de ce gaillard, c'est qu'à l'exception d'une Klon Centaur branchée en quasi permanence (célèbre et fort couteuse pédale d'overdrive légère et transparente), son utilisation des pédales d'effets, tout comme son équipement, sont des plus restreints. Il garde à disposition sur son pedal-board, en plus de la Klon, une Octavia, une vieille Tube Screamer TS9, une Univibe (Funky-Vibe) et une wah-wah. Il préfère tout travailler aux potentiomètres (très bonne maîtrise du violoning) et aux doigts. N'utilisant pas de médiators, il peut varier sa technique suivant le rendu des guitares qu'il empoigne. Finalement, Jared James Nichols est parvenu à se créer une véritable personnalité guitaristique. Ce qui est plutôt rare.
Cet album éponyme peut un peu décevoir, surtout en comparaison du formidable "Black Magic". Cette déferlante de sonorités grasses, boueuses et radicales pouvant rebuter. D'autant que le premier morceau est loin d'être parmi les meilleurs ou les plus catchy. Toutefois ce digne héritier des Leslie West, Nugent et Billy Gibbons n'étant pas un bras cassé, ce copieux album renferme quelques bijoux de Hard-rock, fat, raw et punchy.
La médaille revenant à "Skin 'N Bone", qui a déjà fait l'objet d'un single en 2021, empreint d'une relative tonalité dramatique, induite en autre par une série de stridents bends descendant en bas du manche. Où Jared exhorte avec l'innocence d'un doux rêveur, à se tolérer, à s'aimer. "... Si nous nous reprenons, nous dépouillons, nous verrons qu'il y a tellement plus ... ".
Derrière, une bonne poignée de pièces quasiment aussi méritantes se bousculent et se disputent la place sur le podium. Dont "Easy Come, Easy Go" à la guitare fiévreuse s'ébrouant dans un tumulte entre Nugent (avec un larsen pendant le soli digne du Gonzo Live) et ZZ-Top, L'étonnant et lourd "Hard Wired" fait aussi son effet, un peu Sabbathien, avec une basse quasiment "sludge", contrastant avec ce chant noyé d'un effet de Leslie débridé, qui sur le refrain évoque... Ozzy (effet identique à certaines parties de chant de "Sabbra Cadabra"). Et le carré Hard-blues "Good Time Girl", à l'approche assez classique.
Et lorsqu'il lève le pied, il dévoile une sensibilité qu'on ne soupçonnerait pas. Ce qu'atteste "Down the Drain", en chantant moins avec la rage collée au corps. Tout comme "Long Way Home", bien que tous deux alternent avec de robustes refrains où Jared vocifère sa frustration. Ou le final "Out of Time", teinté de psychédélisme, qui tente une percée dans l'onirisme. Un psychédélisme qui fait déjà une précédente apparition avec "Shadow Dancer", qui, dans une alternative sombre, spongieuse et moite, miné par de sombres pensées, dégage des effluves d'un Black Sabbath d'antan, voire même d'un Soundgarden.
Du bon, du très bon et du moins bon donc, dans cet opus, mais rien de rédhibitoire. Et suffisamment de bonnes munitions pour qu'on y prête attention. Ce gaillard au charisme naturel de "guitar-hero" né, n'a pas fini de faire parler de lui et promet de sérieuses prestations, pérennisant l'héritage des Mountain, Nugent, Grand Funk Railroad (période power-trio).
(1) Instruments qui restent, à la demande de Nichols, très abordables. La raison pour laquelle les modèles sont conçus et commercialisés par Epiphone et non par Gibson. Alors que cette dernière a promu Jared ambassadeur de la marque depuis 2021.
(2) Avant de s'atteler à sa restauration, Jared s'est tout de même empressé de retrouver le propriétaire d'origine. Au cas où il aurait voulu récupéré ce qu'il restait de son antiquité. Si ce n'est un indispensable décrassage, la caisse a été laissée telle quelle, avec ses cicatrices. On estime qu'elle se situerait dans les cents premiers modèles fabriqués.
Photo 1 : Epiphone Signature "Old Glory" et "Gold Glory".
Photo 2 : Gibson Les Paul Gold Top 1953 "Ole Red"
Photo 3 : Gibson Les Paul Gold Top 1953 "Dorothy"
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