- Tiens Georges Bizet ce matin, Claude ? Je pensais que c'était la chasse gardée de M'sieur Pat qui nous a commenté Carmen et l'Arlésienne, du moins les suites orchestrales car ce compositeur est mort jeune sans finir son opéra, enfin je crois…
- Oui tiens c'est vrai Sonia… Aucun compositeur ne nous appartient ma belle, à Pat, moi ou quiconque, mais écoutons sa jolie symphonie en UT composée pour ses 17 ans… Ah oui, Bizet est mort à 36 ans et franchement… un peu bêtement… Tragique pour celui qui aurait pu devenir un génie de la musique française, si tant est qu'il ne l'était pas déjà…
- 17 ans ! Waouh… Mais du coup son catalogue est mince…
- Pas tant que ça, mais sa méthode pour percer et s'enrichir un peu trop vite et sa mort prématurée ont nui à l'écriture de ses meilleures œuvres, comme souvent sont celles de la maturité…
- Dommage… Autre nouveauté : le chef Jesús López-Cobos, espagnol je pense… vivant ou mort ?
- Hélas décédé en 2018 à seulement 78 ans… Un très grand chef espagnol mais ses enregistrements ont été réalisés chez des labels mal distribués… Et puis son tempérament ibérique convient merveilleusement à la musique du futur compositeur de Carmen…
Bizet à 25 ans |
1838 : Ah les riches heures de la France somnolente
Louis-Philipparde, tout pour le bourgeois et le bâton pour les prolos.
Louis Philippe a remplacé
Charles X chassé par la
révolution de 1830… Au moins
L.P. est un vrai prince de sang
(descendant de Louis XIII) ; sang de navet dirait Sonia. La valse des ministres et enfin la
révolution de 1848 le délogera au bénéfice, si l'on peut dire, de
Louis‑Napoléon Bonaparte qui,
frustré de n'être que président de la 2ème république,
s'autoproclamera Empereur en 1852 sous le titre pompeux de
Napoléon III.
Presque plus important : le 20 janvier on reprend
Hernani, pièce de Victor Hugo célèbre pour le
chahut lors de la création et les rixes intellectuelles qu'elle déclencha en
1830 ; 8 janvier :
Balzac,
George Sand,
Victor Hugo et
Alexandre Dumas créent la "Société des gens de lettres"
destinée à défendre les droits et la liberté d'expression des auteurs… ;
30 juin : loi sur la prise en charge des malade mentaux (mal rédigée,
elle sera source de polémique jusqu'en 1990) ;
8 novembre : première de
Ruy Blas de
Hugo, pièce éreintée par la critique
dont Balzac, mais pas de blessé ;
17 décembre : transfert des cendres du général
Kléber à Colombes, non à
Strasbourg (on s'en f**t complètement mais cette ligne permet de résoudre un
problème de mise en page 😊.) Mon dieu, j'oubliais l'essentiel !!
Le 25 octobre,
Alexandre-César-Léopold
(dit
Georges)
Bizet
ouvre les yeux sur ce monde étrange et conflictuel et HURLE pour exiger… le
téton de sa mère😭. Il ne connaît pas encore son fabuleux mais bref destin
musical.
L'époque est musicalement en plein essor du romantisme haut de gamme outre-Rhin, mais plus difficilement en France, malgré la fougue d'Hector Berlioz et entre autres sa symphonie fantastique créée en 1830 (encore un chouette scandale). Mais c'est surtout l'opérette et l'opéra-comique qui remplissent les salles avec au choix, les petits chefs-d'œuvre de Rossini et de Donizetti immigrés de la péninsule, ou alors les partitions souvent niaises pour un public friand de facilité et de la main de compositeurs franchouillards oubliés (une quarantaine). Ne subsistent guère de cette production quantitative mais peu qualitative que des partitions isolées. Pour Mireille ou un Faust de Gounod de 1859, combien de nanars lyriques ont disparu, ne laissant qu'une sélection d'ouvertures dont je vous avais fait écouter un florilège l'an passé (Clic) ?
Jesús López-Cobos |
Chez les Bizet, maman est pianiste et papa, de coiffeur perruquier,
s'est reconverti en professeur de chant (d'où l'expression "changer de casquette"). Le couple prend en main l'éducation du petit Georges qui se révèle
surdoué. Entré gamin (9 ans) au conservatoire de Paris, il obtient son prix
de piano en 1851 à treize ans. En parallèle, il étudie l'orgue. En
1853 il entre dans la classe de
Fromental Halévy, pédagogue reconnu mais compositeur mineur qui n'a laissé que deux
empreintes : son nom sur la façade du palais Garnier et un opéra
original qui fera scandale,
La juive
en 1835. Même ce must n'est plus joué tout comme la trentaine
d'opéras d'Halévy
(voir paragraphe précédent).
Toujours précoce, en 1857, soit à seulement 19 ans, il remporte le
prix de Rome avec l'incontournable cantate, titrée en ce qui le concerne
Clovis et Clotilde
(comme la plupart de ces épreuves initiatiques, l'œuvre avait disparu des
programmes jusqu'en 1988, date à laquelle
Jean-Claude Casadesus
l'a ressuscitée en concert avec la participation de
Montserrat Caballé).
Bizet
partira ainsi pour trois ans se perfectionner à la Villa Médicis.
Bien avant, le jeune homme avait déjà commencé à composer. La virevoltante
symphonie en Ut
est écrite à l'automne 1855. Il a 17 ans. Cette jolie réussite nous
rappelle d'autres adolescents compositeurs :
Mendelssohn
et
Schubert… toute proportion gardée.
En 1860, de retour de Rome, sa carrière se disperse. Pour subsister, il donne des cours, transcrit des œuvres lyriques pour le piano et compose ses premiers opéras à "la mode du temps". Hélas, la plupart des livrets de l'époque sont médiocres, axés sur des thèmes répétitifs… Ainsi La jeune fille de Perth où Les pêcheurs de perles, malgré une musique bien plus originale que celles de maints confrères, ne rencontrent que des succès certes encourageants mais le nombre de représentations reste minimaliste.
Geneviève Halévy-Bizet/Strauss Photo de Nadar (1887) |
Étrange caractère que celui de
Bizet
qui rêvait d'un succès à la
Rossini
et de la fortune qui allait avec, tout en bénéficiant de temps libre. Mais
là où le pittoresque et épicurien italien pouvait composer cinq opéras par
an portés par une musique entraînante, le bonhomme replet bénéficiant d'un
sens de la mélodie inconnu avant lui et sans doute après, de livrets légers
et drôles, un style farceur qui plaît au public,
Bizet
n'a peut-être pas le génie de composer l'équivalent d'un
Barbier de Séville en trois semaines… puis se pencher sur des expériences
gastronomiques à loisir. Une pointe de jalousie ? peut-être car
Rossini
mettra fin à sa carrière lyrique en 1830 soit à 38 ans en ayant
devant lui encore 40 ans de dilettantisme… De la bonne chère, des conquêtes
féminines, le plaisir érigé en mode vie tandis que déçu, Bizet écrit "Je travaille à me crever…" ou encore "je mène une existence insensée…".
Côté cœur, il épouse en 1869 Geneviève, la fille de Halévy, son ancien professeur décédé. La jeune femme souffre de dépression déçue par Georges qui fréquente une cantatrice et engrosse la bonne ! Geneviève le quittera en emportant leurs fils Jacques né en 1872. Elle ira se consoler dans les bras de Émile Straus, avocat des Rothschild. Finies les vaches maigres ; Madame tiendra salon pour la haute bourgeoisie israélite de Paris et les artistes et écrivains très en vue de Edgar Degas à Marcel Proust en passant par Maupassant ; une personnalité haute en couleurs… (1849-1926). Hélas Jacques se suicidera en 1922, drogué et alcoolique, sa mère sombrant dans la neurasthénie. Un beau sujet d'opéra mélodramatique… 😓
Bizet est devenu un compositeur reconnu. Il complète un catalogue qui
comptera 120 opus, dont des mélodies et de belles pièces pour piano comme
les
Chants du Rhin. Et puis surtout il achève
Carmen, tragédie sensuelle et moderne d'après une nouvelle de
Prosper Mérimée et un livret de grande classe.
L'arlésienne achevé aurait pu aussi révolutionner enfin le répertoire français et lui
offrir une suite de carrière enviable et des revenus confortables… Très
provoquant,
Carmen
créé en mars 1875 est sujet à controverse mais va s'imposer
rapidement comme un opéra éternel…
Bizet
n'en aura hélas jamais connaissance…
Épuisé par les répétitions de
Carmen
qui comme toute œuvre novatrice déconcerte les chanteurs, les musiciens et
bien sûr les critiques, le compositeur contracte une angine qu'il soigne en
allant se baigner dans l'eau encore frisquette de la Seine à Bougival.
Soigner le bien par le mal n'est pas toujours une riche idée comme le lui
rappelle la faculté et ses amis. Il meurt d'un infarctus début mai
1875.
~~~~~~~~~~~~~~~
Revenons à la
symphonie en Ut, une tonalité guillerette par nature.
Bizet
la compose en 1855, juste après l'obtention de ses diplômes à l'âge
de 17 ans. On ne peut qu'admettre qu'il l'a composée pour le plaisir car
elle ne sera ni jouée ni publiée de son vivant. Le XIXème siècle français
n'est guère une période favorable pour la
symphonie
par rapport à l'art lyrique, alors le manuscrit du môme… Enfin bref… Tout
est réuni pour que cette perle finisse moisie au fond d'un placard…
Saint-Symphonie devait veiller car en
1933, dans un fouillis de partitions autographes légué par le
mi-compositeur mi-chanteur
Reynaldo Hahn, le musicologue Jean Chantavoine redécouvre la partition oubliée.
Bizet
n'en parle pas dans sa correspondance et le trésor avait été remis par
Geneviève (pour faire du vide dans les placards ?) à
Reynaldo Hahn. Chantavoine bluffé par la qualité de cette musique chez un
apprenti compositeur, si surdoué soit-il, la transmet à
Douglas Charles Parker, un anglais biographe de
Bizet
qui la montre au célèbre maestro et compositeur allemand
Felix Weingartner (Clic). La machine s'emballe,
Weingartner
la fait publier et la crée en 1935 à Bâle.
Je vais oser faire référence au grand
Beethoven
qui affirmait, en substance, "Entre plusieurs thèmes, je ne choisis pas le meilleur, mais celui qui
frappe le plus l'auditeur", d'où le fameux Pam Pam Pam Paaaam.
Le succès jamais démenti de ses symphonies vient du fait que la plupart pour
ne pas dire la totalité de la thématique de son cycle symphonique frappe
d'emblée et se mémorise très facilement… On pourrait dire de même à propos
de
Brahms
et de Schumann, moins pour les délicieuses symphonies de
Theodore Gouvy
(Clic). Les motifs imaginés par
Bizet
réagissent à merveille à cette facilité mémorielle !
L'élégance joyeuse de cette œuvre, d'une demi-heure, coule tellement de
source que le public en raffole dès sa découverte, sans compter une
discographie surabondante dès 1937 ; première gravure à Londres.
Et très franchement, pour une fois, je vous épargnerai une longuette analyse
à vocation pédagogique… Le contexte de la composition est plus amusant à mon
sens…
L'orchestration est similaire à celle des symphonies de
Beethoven
hormis les cors doublés : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, timbales et cordes
(pas de trombone).
(Partition)
Felix Weingnarter (1863-1942) |
Jesús López-Cobos voit le jour en 1940 en Espagne, à Toro dans la région de Castille-et-León. À six ans, sa famille déménage à Malaga en Andalousie où l'enfant intègre un chœur, sa famille aime la musique comme le futur maestro en témoignera. Jesús pratique le chant grégorien, une passion sans doute alimentée par son goût pour la théologie. Plus tard, il s'intéresse plus à la philosophie et à la musique et fréquente l'université de Madrid. Dans l'attente de l'obtention de ses diplômes, il dirige le chœur de l'université madrilène puis se forme à la direction d'orchestre à Vienne. En 1966, lauréat du concours très sélectif de direction de Besançon, il est invité à débuter sa carrière à l'opéra de la Fenice de Venise.
Hormis l'orchestre de Cincinnati qu'il dirigera 14 ans de 1986 à 2000,
López-Cobos
préféra à des postes permanents un parcours itinérant en conduisant les
meilleurs orchestres de la planète. Petite exception, il prendra en mains
l'Orchestre national d'Espagne entre 1984 et 1988. Plus âgé, il accepte le poste de
directeur de l'Orchestre symphonique de Madrid, à partir de 2002 jusqu'en 2010. Il décède prématurément
d'un cancer, en 2018 à Berlin.
Il enregistra pour la plupart des grands labels un répertoire large,
citons Georges Bizet,
Manuel de Falla,
Maurice Ravel
ou
Gustav Mahler. Sa discographie à
Cincinnati reste son meilleur témoignage mais le label Telarc US est mal
distribué. Le triptyque de 1991 des cycles de lieder de
Mahler
avec
Andreas Schmidt
est un incontournable, une gravure que seul
Dietrich Fischer-Dieskau qui fut le maître du jeune baryton allemand aurait pu concurrencer, et
encore…
~~~~~~~~~~~~~~~
J'avais promis de vous éviter une analyse didactique. Je tiens parole,
Georges Bizet
ayant anticipé en donnant comme
Beethoven
dans sa "pastorale" des sous-titres tout à fait explicites sur une interprétation possible
des ambiances et détails à décrypter dans cette jolie symphonie.
Jesús López-Cobos
nous entraîne dans cette œuvre trépidante de jeunesse. Sa première place
dans une comparaison dans Classica était méritée : articulation,
légèreté, diablerie et poésie…
1 - Allegro vivo (en do
majeur), {Playlist 1} mouvement "alerte et rêveur".
2 - Adagio (en la mineur),
{Playlist 2} avec "son solo orientalisant de hautbois"
3 - Allegro vivace (en sol
majeur-do majeur-sol majeur), {Playlist 3} scherzo à la "rusticité bonhomme"
;
4 - Allegro vivace (en do majeur), {Playlist 4} finale à la "verve juvénile"
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
|
Vidéos : l'enregistrement par Jesús López-Cobos puis celui de Jean Martinon avec l'Orchestre de l'ORTF en 1972 avec en prime les Jeux d'enfants.
~~~~~~~~~~~~~~~
Les enregistrements de la
symphonie en Ut
sont légion : dans les grands crus :
Charles Munch,
Thomas Beecham,
Bernard Haitink, les grands anciens avec des orchestres de compétition. On ne les compte
plus !
Le disque de
Jesús López-Cobos
sonne de manière idéale, la direction est précise et facétieuse. Je ne
raffole pas tellement des interprétations "gros orchestres" aux effectifs
pléthoriques qui même chez les meilleurs apportent une épaisseur par trop
romantique dans une œuvre qui aurait ravi
Mozart
ou
Haydn…
De fait, je ne recommande que deux disques dont le style pétulant me
séduit. En 1953,
André Cluytens
cravache avec goumandise l'Orchestre de la RTF dans une course folle. Je la recommande dans la publication récente d'une
anthologie de la revue Diapason, "Les indispensables", CD réunissant les
deux
suites de Carmen
dirigées par
Igor Markevitch
et les merveilleux
Chants du Rhin
sous les doigts de la pianiste
Maria Grinberg. Certes une pochette en carton pour simple présentation et pas de livret.
Les prises de son sont tout à fait correctes malgré leurs âges.
Encore plus raffinée, Jean Martinon dirige la symphonie avec sa distinction habituelle pour DG avec l'Orchestre de l'ORTF en 1972. Le couplage est classique, les suites de l'Arlésienne, et de grand intérêt grâce à Claudio Abbado. Vous avez le droit de pouffer de rire devant des exemplaires d'occasion à plus de 1000 € à la FNAC de ce petit CD paru dans une collection dite "économique" 😄. Il y en a à 7 € en cherchant un peu et quelques LP d'origine pour les fans du vinyle… Jean Martinon avait aussi enregistré cette symphonie pour RCA avec l'Orchestre symphonique de Chicago ; mais c'est hélas indisponible actuellement ; sauf sur YouTube…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire