lundi 23 janvier 2023

Georges BIZET – Symphonie n°1 en UT – Jesús LÓPEZ-COBOS (1990) - par Claude Toon


- Tiens Georges Bizet ce matin, Claude ? Je pensais que c'était la chasse gardée de M'sieur Pat qui nous a commenté Carmen et l'Arlésienne, du moins les suites orchestrales car ce compositeur est mort jeune sans finir son opéra, enfin je crois…

- Oui tiens c'est vrai Sonia… Aucun compositeur ne nous appartient ma belle, à Pat, moi ou quiconque, mais écoutons sa jolie symphonie en UT composée pour ses 17 ans… Ah oui, Bizet est mort à 36 ans et franchement… un peu bêtement… Tragique pour celui qui aurait pu devenir un génie de la musique française, si tant est qu'il ne l'était pas déjà…

- 17 ans ! Waouh… Mais du coup son catalogue est mince…

- Pas tant que ça, mais sa méthode pour percer et s'enrichir un peu trop vite et sa mort prématurée ont nui à l'écriture de ses meilleures œuvres, comme souvent sont celles de la maturité…

- Dommage… Autre nouveauté : le chef Jesús López-Cobos, espagnol je pense… vivant ou mort ?

- Hélas décédé en 2018 à seulement 78 ans… Un très grand chef espagnol mais ses enregistrements ont été réalisés chez des labels mal distribués… Et puis son tempérament ibérique convient merveilleusement à la musique du futur compositeur de Carmen…


Bizet à 25 ans

1838 : Ah les riches heures de la France somnolente Louis-Philipparde, tout pour le bourgeois et le bâton pour les prolos. Louis Philippe a remplacé Charles X chassé par la révolution de 1830… Au moins L.P. est un vrai prince de sang (descendant de Louis XIII) ; sang de navet dirait Sonia. La valse des ministres et enfin la révolution de 1848 le délogera au bénéfice, si l'on peut dire, de Louis‑Napoléon Bonaparte qui, frustré de n'être que président de la 2ème république, s'autoproclamera Empereur en 1852 sous le titre pompeux de Napoléon III.

Presque plus important : le 20 janvier on reprend Hernani, pièce de Victor Hugo célèbre pour le chahut lors de la création et les rixes intellectuelles qu'elle déclencha en 1830 ; 8 janvier : Balzac, George Sand, Victor Hugo et Alexandre Dumas créent la "Société des gens de lettres" destinée à défendre les droits et la liberté d'expression des auteurs… ; 30 juin : loi sur la prise en charge des malade mentaux (mal rédigée, elle sera source de polémique jusqu'en 1990) ; 8 novembre : première de Ruy Blas de Hugo, pièce éreintée par la critique dont Balzac, mais pas de blessé ; 17 décembre : transfert des cendres du général Kléber à Colombes, non à Strasbourg (on s'en f**t complètement mais cette ligne permet de résoudre un problème de mise en page 😊.) Mon dieu, j'oubliais l'essentiel !! Le 25 octobre, Alexandre-César-Léopold (dit Georges) Bizet ouvre les yeux sur ce monde étrange et conflictuel et HURLE pour exiger… le téton de sa mère😭. Il ne connaît pas encore son fabuleux mais bref destin musical.

L'époque est musicalement en plein essor du romantisme haut de gamme outre-Rhin, mais plus difficilement en France, malgré la fougue d'Hector Berlioz et entre autres sa symphonie fantastique créée en 1830 (encore un chouette scandale). Mais c'est surtout l'opérette et l'opéra-comique qui remplissent les salles avec au choix, les petits chefs-d'œuvre de Rossini et de Donizetti immigrés de la péninsule, ou alors les partitions souvent niaises pour un public friand de facilité et de la main de compositeurs franchouillards oubliés (une quarantaine). Ne subsistent guère de cette production quantitative mais peu qualitative que des partitions isolées. Pour Mireille ou un Faust de Gounod de 1859, combien de nanars lyriques ont disparu, ne laissant qu'une sélection d'ouvertures dont je vous avais fait écouter un florilège l'an passé (Clic) ?


Jesús López-Cobos

Chez les Bizet, maman est pianiste et papa, de coiffeur perruquier, s'est reconverti en professeur de chant (d'où l'expression "changer de casquette"). Le couple prend en main l'éducation du petit Georges qui se révèle surdoué. Entré gamin (9 ans) au conservatoire de Paris, il obtient son prix de piano en 1851 à treize ans. En parallèle, il étudie l'orgue. En 1853 il entre dans la classe de Fromental Halévy, pédagogue reconnu mais compositeur mineur qui n'a laissé que deux empreintes : son nom sur la façade du palais Garnier et un opéra original qui fera scandale, La juive en 1835. Même ce must n'est plus joué tout comme la trentaine d'opéras d'Halévy (voir paragraphe précédent).

Toujours précoce, en 1857, soit à seulement 19 ans, il remporte le prix de Rome avec l'incontournable cantate, titrée en ce qui le concerne Clovis et Clotilde (comme la plupart de ces épreuves initiatiques, l'œuvre avait disparu des programmes jusqu'en 1988, date à laquelle Jean-Claude Casadesus l'a ressuscitée en concert avec la participation de Montserrat Caballé). Bizet partira ainsi pour trois ans se perfectionner à la Villa Médicis.

Bien avant, le jeune homme avait déjà commencé à composer. La virevoltante symphonie en Ut est écrite à l'automne 1855. Il a 17 ans. Cette jolie réussite nous rappelle d'autres adolescents compositeurs : Mendelssohn et Schubert… toute proportion gardée.

En 1860, de retour de Rome, sa carrière se disperse. Pour subsister, il donne des cours, transcrit des œuvres lyriques pour le piano et compose ses premiers opéras à "la mode du temps". Hélas, la plupart des livrets de l'époque sont médiocres, axés sur des thèmes répétitifs… Ainsi La jeune fille de PerthLes pêcheurs de perles, malgré une musique bien plus originale que celles de maints confrères, ne rencontrent que des succès certes encourageants mais le nombre de représentations reste minimaliste. 


Geneviève Halévy-Bizet/Strauss
Photo de Nadar (1887)

Étrange caractère que celui de Bizet qui rêvait d'un succès à la Rossini et de la fortune qui allait avec, tout en bénéficiant de temps libre. Mais là où le pittoresque et épicurien italien pouvait composer cinq opéras par an portés par une musique entraînante, le bonhomme replet bénéficiant d'un sens de la mélodie inconnu avant lui et sans doute après, de livrets légers et drôles, un style farceur qui plaît au public, Bizet n'a peut-être pas le génie de composer l'équivalent d'un Barbier de Séville en trois semaines… puis se pencher sur des expériences gastronomiques à loisir. Une pointe de jalousie ? peut-être car Rossini mettra fin à sa carrière lyrique en 1830 soit à 38 ans en ayant devant lui encore 40 ans de dilettantisme… De la bonne chère, des conquêtes féminines, le plaisir érigé en mode vie tandis que déçu, Bizet écrit "Je travaille à me crever…" ou encore "je mène une existence insensée…".

Côté cœur, il épouse en 1869 Geneviève, la fille de Halévy, son ancien professeur décédé. La jeune femme souffre de dépression déçue par Georges qui fréquente une cantatrice et engrosse la bonne ! Geneviève le quittera en emportant leurs fils Jacques né en 1872. Elle ira se consoler dans les bras de Émile Straus, avocat des Rothschild. Finies les vaches maigres ; Madame tiendra salon pour la haute bourgeoisie israélite de Paris et les artistes et écrivains très en vue de Edgar Degas à Marcel Proust en passant par Maupassant ; une personnalité haute en couleurs… (1849-1926). Hélas Jacques se suicidera en 1922, drogué et alcoolique, sa mère sombrant dans la neurasthénie. Un beau sujet d'opéra mélodramatique… 😓

Bizet est devenu un compositeur reconnu. Il complète un catalogue qui comptera 120 opus, dont des mélodies et de belles pièces pour piano comme les Chants du Rhin. Et puis surtout il achève Carmen, tragédie sensuelle et moderne d'après une nouvelle de Prosper Mérimée et un livret de grande classe. L'arlésienne achevé aurait pu aussi révolutionner enfin le répertoire français et lui offrir une suite de carrière enviable et des revenus confortables… Très provoquant, Carmen créé en mars 1875 est sujet à controverse mais va s'imposer rapidement comme un opéra éternel… Bizet n'en aura hélas jamais connaissance…

Épuisé par les répétitions de Carmen qui comme toute œuvre novatrice déconcerte les chanteurs, les musiciens et bien sûr les critiques, le compositeur contracte une angine qu'il soigne en allant se baigner dans l'eau encore frisquette de la Seine à Bougival. Soigner le bien par le mal n'est pas toujours une riche idée comme le lui rappelle la faculté et ses amis. Il meurt d'un infarctus début mai 1875.

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Revenons à la symphonie en Ut, une tonalité guillerette par nature. Bizet la compose en 1855, juste après l'obtention de ses diplômes à l'âge de 17 ans. On ne peut qu'admettre qu'il l'a composée pour le plaisir car elle ne sera ni jouée ni publiée de son vivant. Le XIXème siècle français n'est guère une période favorable pour la symphonie par rapport à l'art lyrique, alors le manuscrit du môme… Enfin bref… Tout est réuni pour que cette perle finisse moisie au fond d'un placard… Saint-Symphonie devait veiller car en 1933, dans un fouillis de partitions autographes légué par le mi-compositeur mi-chanteur Reynaldo Hahn, le musicologue Jean Chantavoine redécouvre la partition oubliée. Bizet n'en parle pas dans sa correspondance et le trésor avait été remis par Geneviève (pour faire du vide dans les placards ?) à Reynaldo Hahn. Chantavoine bluffé par la qualité de cette musique chez un apprenti compositeur, si surdoué soit-il, la transmet à Douglas Charles Parker, un anglais biographe de Bizet qui la montre au célèbre maestro et compositeur allemand Felix Weingartner (Clic). La machine s'emballe, Weingartner la fait publier et la crée en 1935 à Bâle.

Je vais oser faire référence au grand Beethoven qui affirmait, en substance, "Entre plusieurs thèmes, je ne choisis pas le meilleur, mais celui qui frappe le plus l'auditeur", d'où le fameux Pam Pam Pam Paaaam. Le succès jamais démenti de ses symphonies vient du fait que la plupart pour ne pas dire la totalité de la thématique de son cycle symphonique frappe d'emblée et se mémorise très facilement… On pourrait dire de même à propos de Brahms et de Schumann, moins pour les délicieuses symphonies de Theodore Gouvy (Clic). Les motifs imaginés par Bizet réagissent à merveille à cette facilité mémorielle !

L'élégance joyeuse de cette œuvre, d'une demi-heure, coule tellement de source que le public en raffole dès sa découverte, sans compter une discographie surabondante dès 1937 ; première gravure à Londres. Et très franchement, pour une fois, je vous épargnerai une longuette analyse à vocation pédagogique… Le contexte de la composition est plus amusant à mon sens…

L'orchestration est similaire à celle des symphonies de Beethoven hormis les cors doublés : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, timbales et cordes (pas de trombone). (Partition)


Felix Weingnarter (1863-1942)

Jesús López-Cobos voit le jour en 1940 en Espagne, à Toro dans la région de Castille-et-León. À six ans, sa famille déménage à Malaga en Andalousie où l'enfant intègre un chœur, sa famille aime la musique comme le futur maestro en témoignera. Jesús pratique le chant grégorien, une passion sans doute alimentée par son goût pour la théologie. Plus tard, il s'intéresse plus à la philosophie et à la musique et fréquente l'université de Madrid. Dans l'attente de l'obtention de ses diplômes, il dirige le chœur de l'université madrilène puis se forme à la direction d'orchestre à Vienne. En 1966, lauréat du concours très sélectif de direction de Besançon, il est invité à débuter sa carrière à l'opéra de la Fenice de Venise.

Hormis l'orchestre de Cincinnati qu'il dirigera 14 ans de 1986 à 2000, López-Cobos préféra à des postes permanents un parcours itinérant en conduisant les meilleurs orchestres de la planète. Petite exception, il prendra en mains l'Orchestre national d'Espagne entre 1984 et 1988. Plus âgé, il accepte le poste de directeur de l'Orchestre symphonique de Madrid, à partir de 2002 jusqu'en 2010. Il décède prématurément d'un cancer, en 2018 à Berlin.

Il enregistra pour la plupart des grands labels un répertoire large, citons Georges Bizet, Manuel de Falla, Maurice Ravel ou Gustav Mahler. Sa discographie à Cincinnati reste son meilleur témoignage mais le label Telarc US est mal distribué. Le triptyque de 1991 des cycles de lieder de Mahler avec Andreas Schmidt est un incontournable, une gravure que seul Dietrich Fischer-Dieskau qui fut le maître du jeune baryton allemand aurait pu concurrencer, et encore…

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J'avais promis de vous éviter une analyse didactique. Je tiens parole, Georges Bizet ayant anticipé en donnant comme Beethoven dans sa "pastorale" des sous-titres tout à fait explicites sur une interprétation possible des ambiances et détails à décrypter dans cette jolie symphonie. Jesús López-Cobos nous entraîne dans cette œuvre trépidante de jeunesse. Sa première place dans une comparaison dans Classica était méritée : articulation, légèreté, diablerie et poésie…


1 - Allegro vivo (en do majeur), {Playlist 1} mouvement "alerte et rêveur". 

2 - Adagio (en la mineur), {Playlist 2} avec "son solo orientalisant de hautbois"

3 - Allegro vivace (en sol majeur-do majeur-sol majeur), {Playlist 3} scherzo à la "rusticité bonhomme" ;

4 - Allegro vivace (en do majeur), {Playlist 4} finale à la "verve juvénile"

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


Vidéos : l'enregistrement par Jesús López-Cobos puis celui de Jean Martinon avec l'Orchestre de l'ORTF en 1972 avec en prime les Jeux d'enfants.


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Les enregistrements de la symphonie en Ut sont légion : dans les grands crus : Charles Munch, Thomas Beecham, Bernard Haitink, les grands anciens avec des orchestres de compétition. On ne les compte plus !

Le disque de Jesús López-Cobos sonne de manière idéale, la direction est précise et facétieuse. Je ne raffole pas tellement des interprétations "gros orchestres" aux effectifs pléthoriques qui même chez les meilleurs apportent une épaisseur par trop romantique dans une œuvre qui aurait ravi Mozart ou Haydn

De fait, je ne recommande que deux disques dont le style pétulant me séduit. En 1953, André Cluytens cravache avec goumandise l'Orchestre de la RTF dans une course folle. Je la recommande dans la publication récente d'une anthologie de la revue Diapason, "Les indispensables", CD réunissant les deux suites de Carmen dirigées par Igor Markevitch et les merveilleux Chants du Rhin sous les doigts de la pianiste Maria Grinberg. Certes une pochette en carton pour simple présentation et pas de livret. Les prises de son sont tout à fait correctes malgré leurs âges.

Encore plus raffinée, Jean Martinon dirige la symphonie avec sa distinction habituelle pour DG avec l'Orchestre de l'ORTF en 1972. Le couplage est classique, les suites de l'Arlésienne, et de grand intérêt grâce à Claudio Abbado. Vous avez le droit de pouffer de rire devant des exemplaires d'occasion à plus de 1000 € à la FNAC de ce petit CD paru dans une collection dite "économique" 😄. Il y en a à 7 € en cherchant un peu et quelques LP d'origine pour les fans du vinyle… Jean Martinon avait aussi enregistré cette symphonie pour RCA avec l'Orchestre symphonique de Chicago ; mais c'est hélas indisponible actuellement ; sauf sur YouTube… 





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