jeudi 3 février 2022

Musiques de scène françaises du XIXème Siècle – Neeme JÄRVI (2018-19) – par Claude Toon


Musiques de scène françaises

- Bizarre Claude, tu ne cesses de brocarder l'opéra français du XIXème, livrets mièvres, musiques indigentes, et là… 28 extraits !!!!
- Houlà Sonia, houlà, d'abord excluons Berlioz, Bizet, Gounod… de cette affirmation qui serait péremptoire et, comme je l'écris toujours, tout n'est pas à jeter dans les opéras-comiques et opérettes de cette période disons… bourgeoise et frivole, la preuve…
- Que nous propose ce disque ? C'est quoi exactement musique de scène et puis cinq compositeurs plus ou moins connus, enfin de moi…
- Musique de scène est un genre générique réunissant ballet, musiques jouées pendant une pièce de théâtre, extraits symphoniques d'opéras…
- Ah je vois, le songe d'une nuit d'été de Mendelssohn ou Peer Gynt de Grieg, suite de Carmen par exemples ; Paavo Järvi, on en a parlé, mais Neeme, je ne sais plus ? Un parent ?
- Oui, son papa, un maestro letton infatigable âgé de 84 ans, un élève de Mravinski, un boulimique des disques avec 350 gravures… Si Sonia : déjà deux chroniques à son actif : Rimski-Korsakov et Prokofiev…


Neeme Järvi

Ah la mémoire… Donc je confirme, le chef d'orchestre Neeme Järvi a déjà rendu visite au Deblocnot par deux fois : pour son interprétation de la symphonie N°2 Antar de Rimski-Korsakov (Clic) et comme accompagnateur du pianiste Horacio Gutiérrez dans le Concerto N° 2 de Prokofiev (Clic). L'orchestre suédois de Göteborg pour la symphonie, ensemble qu'il a conduit au sommet de 1982 à 2004 (22 ans !) et celui du Concertgebouw d'Amsterdam pour le concerto.

Dans l'article consacré à Rimski-Korsakov, j'avais dressé un portrait de cet artiste et ses soixante ans de carrière, son allure bonhomme et son éternel et discret sourire espiègle… Et un article pour le moins minimaliste de 600 mots sur Wikipédia… Alors que le jeune Kylian Mbappé, sympathique footballeur de 23 ans dont 5 ans de carrière, bénéficie déjà d'un article de 13 000 mots 😊 (Nema est fan). Non je ne fais pas dans l'élitisme culturel, là n'est pas la question. Il m'arrive de regarder un match. Mais je reste dubitatif en voyant les brutes avinées et braillardes qui se répandent sur le terrain pour s'entretuer et vociférer des insultes racistes, ils m'inquiètent… Ils devraient lire nos papiers musicaux. La musique adoucit les mœurs parait-il ! Espérons que le quasi mafieux monde du foot ne corrompra pas ce jeune homme dont les prouesses sur le terrain me bluffent… J'avoue ! Bref revenons au sujet.

Neeme Järvi se distingue par son intérêt pour les musiciens de toutes les époques, passés à la trappe de l'histoire, des petits maîtres qui méritent une résurrection discographique si je puis dire. Souvent, ces redécouvertes sont l'apanages d'artistes qui ne dirigent pas les meilleurs orchestres de la planète, de Berlin à Vienne en passant par Chicago et publiant une énième intégrale des symphonies de Beethoven pour un label bien ancré sur le marché du disque. Ce n'est pas le cas de Neeme Järvi.

Je pense à des labels comme CPO, Ondine, Naxos, etc. et à des orchestres de villes moyennes allemandes comme Bergen ou scandinaves voire finlandaises ou même islandaise… (L'Index montre que le Blog offre une place non négligeable à ce répertoire original).

Chandos est un label anglais plus prestigieux qui sait prendre des risques en proposant des programmes insolites, et dans ce domaine Neeme Järvi occupe une place de choix, tout en servant avec brio des firmes leaders comme DG dans des symphonies de Chostakovitch, de Sibelius, dans l'œuvre orchestrale peu jouée de Grieg… en un mot, les grandes vedettes du catalogue symphonique.


La collaboration Chandos - Neeme Järvi se traduit par la publication de musiques françaises peu connues. Des albums consacrés à Chabrier et Jacques Ibert, des inédits de Saint-Saëns, les ballets de Delibes, un album réunissant d'autres ballets de Ibert, Massenet et Sauguet (le trop rare Les forains).

Merci à Neeme Järvi pour ces réalisations insolites, pour cet attrait envers la musique de l'Hexagone du XIXème siècle (car oui, j'insiste, tout n'est pas à jeter) avec point d'orgue l'album du jour réunissant cinq compositeurs d'opéras aux ouvrages très majoritairement tombés en désuétudes, je n'y reviens pas. Une musique vivifiante, une série généreuse d'extraits symphoniques d'opéras parmi ceux qui font encore le bonheur de certaines scènes lyriques sans compter une suite de ballet de Massenet. Pour ce dernier, un album de musiques orchestrales avait été enregistré avec l'orchestre de la Suisse Romande. En résumé un patrimoine sans équivalent et inestimable par sa qualité.

Un récital guilleret qui s'écoute sans prise de tête, une direction empreinte d'alacrité bénéficiant d'une prise de son dynamique et colorée… Aucun des compositeurs de cet album n'a donné lieu à une chronique à ce jour ! Quelques lignes en guise de mini biographie et une présentation succincte des pièces interprétées. Neeme Järvi dirige l'orchestre national d'Estonie, son pays natal.

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- Oh là là Claude… En français j'espérais ne pas avoir à taper des noms comme Skrowaczewski, mais c'est quoi ces prénoms loufoques comme celui d'Auber, pourquoi pas Daniel-François-Esprit Auber-Mutualité, Clément Philibert Léo et, ah ah : Ambroise !!??
- On ne râle pas Sonia, don't worry, et on évite les calambours sur ces prénoms rigolos d'un autre âge ; les stations Auber c'est RER A et MAUBERT- Mutualité c'est métro ligne 10… Allez mon petit, on tape… on tape le beau texte de papi Toon…


Ambroise Thomas

François-Adrien Boieldieu

Daniel-François-Esprit Auber

La Dame blanche me regarde...
XXXXXX

xx
Clément Philibert Léo Delibes

xx
Jules Massenet

xx
Affiche pour Fra Diavolo

xx
Affiche pour la reprise
de "Le Roi s'amuse" en 1882

A - Ambroise Thomas (1811-1896) Pour notre premier candidat né pendant l'Empire, la photo de 1895 (83 ans) ne rend pas hommage au jeune compositeur formé au conservatoire et à la Villa Médicis, parcours hyper académique. Grand, séduisant, bon pianiste, c'est vers l'opéra léger que se tournera le futur compositeur d'une vingtaine d'ouvrages lyriques qui tous seront joués… La plupart sont absents des scènes de nos jours. Une demi-douzaine a connu l'honneur du disque dont Mignon inspiré de Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe (quand même…) et Hamlet d'après ShakespeareBerlioz appréciera son style et Chabrier amateur de boutade dira "Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas" 😊. Bon résumé pour tous les compositeurs cités dans ce billet…

Nous écoutons la virevoltante ouverture colorée et charmeuse de Raymond ou le secret de la reine de 1851. (L'histoire du masque de fer). Le final réveille (la cymbale chauffe). Bon cela dit, une seule autre gravure par Paul Paray en 1960 archi épuisée… [Playlist 1]

- Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871). Drôle de personnage né à Caen, un original surgi d'un roman de Balzac (ils seront amis). La famille Auber s'installe à Paris. Son père tente de faire fortune et traverse vivant la Révolution. DFE n'a d'intérêt que pour la musique et se forme en dilettante en se passionnant pour Rossini. Papa l'envoie apprendre le management en Angleterre en 1802. Retour dès 1803 uniquement initié au "flegme britannique" 😊. Avec l'argent et les relations de papa, il se pavane dans les salons, pianote, séduit, une vie de dilettante et les premières compositions entre deux jupons. (Lire dans Wiki, c'est poilant). Hélas, en 1819, son père ruiné meurt ; DFE doit bosser assidument pour nourrir sa mère et son frère, mince ! Cherubini avait remarqué son talent intuitif lors de la création d'un concerto pour violon en 1808, tout en confiant en aparté au papa : "Votre fils ne manque pas d’imagination mais il lui faudrait commencer par oublier ce qu’il sait, en supposant qu’il sache quelque chose" 😉. Il composera alors avec acharnement opéras et opéras-comiques ; 48 entre 1823 et 1829. Lucide, il affirme : "Si j’assistais à un de mes ouvrages, je n'écrirais de ma vie une note de musique.". Il est bien sévère, car il attire des éloges de Balzac (je le disais bien), Berlioz, des potes de son acabit et même de Wagner ! Et incroyable, il dirigera le Conservatoire de Paris de 1842 à 1871. (Ambroise Thomas lui succédera.) Seules deux œuvres ne sont pas surannées : Manon Lescaut d'après l'abbé Prévost, et Fra diavolo inspiré par le célèbre bandit napolitain (1771-1806), sujet audacieux pour l'époque. Deux partitions ayant une belle discographie, tout comme certaines ouvertures un peu creuses mais guillerettes.

Nous écoutons l'ouverture à la fois épique et survoltée de cet opéra-comique de 1830, l'année de la création de la Symphonie fantastique de Berlioz. [Playlist 2]

C - François-Adrien Boieldieu (1775-1834) Quasi contemporain de Beethoven, formé à la fin de l'époque classique, Boieldieu sera le fondateur de l'opéra romantique français. Il traversera les turbulences politiques sans souci, de la fin de monarchie à la Restauration en passant par la Terreur et l'Empire. On le connaît mieux grâce à son ravissant concerto pour harpe souvent couplé au disque avec ceux de Mozart ou de Rodrigo. Sur une quarantaine d'opéras-comiques dans un style apprécié par Berlioz ou même le jeune Wagner, deux œuvres sont restées aux programmes des scènes lyriques : Le Calife de Bagdad (1800), un marivaudage orientalisant et La Dame Blanche d'après des œuvres de Walter Scott (1825). Boieldieu introduit une dimension fantastique inédite dans le livret, la dame blanche étant ici un gentil fantôme. L'écriture de La Dame Blanche, la richesse de sa thématique et de son orchestration a influencé Donizetti, Bizet et Bellini

Nous écoutons les belles ouvertures de ces deux ouvrages [Playlist 3 & 4]

D – [Clément Philibert] Léo Delibes par simplicité (1836-1891). Une vie et une carrière courte avec une petite notoriété enviable par les précédents. Une formation classique au conservatoire sous la coupe d'Alfred Adam. Auteur de deux ballets toujours au répertoire du Palais Garnier : Coppélia et Sylvia ; sans oublier l'incontournable opéra Lakmé de 1883 inspiré par Pierre Loti, un mélodrame en Inde et son inusable "duo des fleurs". Autre opéra notable, "Le roi l'a dit" sans rapport avec la pièce anti monarchique "Le roi s'amuse" de Victor Hugo, interdite en 1832 et qui inspira Rigoletto de Verdi… 

Pour la reprise de "Le roi s'amuseà la Comédie-Française en 1882, Léo Delibes composera une musique de scène, sept danses et un final que nous écoutons [Playlist 5 à 12].

E - Jules Massenet (1842-1912) ferme la marche du XIXème siècle. Un compositeur à mi-chemin entre les grands maîtres et les petits maîtres présentés avant. Il bénéficie d'une solide formation au conservatoire : le piano, l'orgue, le solfège et le contrepoint, l'harmonie et la composition (classe d'Ambroise Thomas). Comme ses confrères, il sera un compositeur lyrique prolixe : 41 opéras ! Grands crus : Manon, Werther et Thaïs qui n'en finit pas de méditer 😊. Mais Massenet produira dans tous les genres : religieux, musique de chambre, suites symphoniques, piano, mélodies, etc. 450 ouvrages ! Et pour la scène, des ballets comme Espada en un acte mettant en scène l'univers des corridas que nous écoutons en conclusion de ce CD dans une direction jubilatoire de Neeme Järvi.

On l'aura compris, Massenet, un compositeur qui devra avoir SA chronique personnelle… [Playlist 13 à 23].

 

Le cinéma a produit ses nanars, en SF ou dans les westerns "spaghetti", moyens métrages sans queue ni tête mais poilants (voir index cinoche : les Django(s) de Rockin ou les monstrueuses cervelles anthropophages du Toon). Des divertissements fauchés pour cinéphiles ouverts à tous les délires, le musée de la toile. La plupart des opéras comiques du début du XXème siècle reposait sur le même principe, l'horreur et les flingues en moins : amuser, tirer des larmes de crocodiles, faire frissonner en s'inspirant de mélos cuculs, parfois mieux, en faisant  appel à de grands écrivains. 

Nota : livret trilingue avec plein de petits détails ciblés sur les différentes pièces. 


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