samedi 30 septembre 2017

RIMSKY-KORSAKOV – Antar, suite symphonique – Neeme JARVI (1988) – par Claude Toon



- Heu M'sieur Claude… Antar ? Ce n'était pas une marque d'essence de l'époque où vous étiez gosse ? Je plaisante, un lieu, un conte ou un personnage ?
- Tiens vous connaissez cela Sonia, cette marque a dû disparaître il y a au moins 40 ans… Non Antar est un chevalier arabe du Moyen-âge, un héros…
- Dites-moi, Rimsky-Korsakov avait déjà composé une musique orientalisante avec le célèbre Shéhérazade, avant ou après ?
- Shéhérazade, beaucoup plus ambitieuse comme suite sera écrite 20 ans plus tard. Antar est sa seconde symphonie rebaptisée, indéniablement influencée par Berlioz…
- Ah bon, notre compositeur frenchy majeur a connu son collègue russe ?
- Non pas directement je pense, mais Berlioz a défendu sa propre musique en Russie peu de temps avant sa mort en 1869, musique qui a envouté Rimsky-Korsakov…

Neeme Järvi
Vers 1868, Rimsky-Korsakov s'interroge encore sur l'orientation à donner à sa carrière. Officier de marine, il ne parcourt plus les océans mais travaille à terre, bénéficiant ainsi de quelques heures par jour pour s'adonner à la composition. Son cercle d'amis s'étend, de Borodine à Balakirev puis d'une manière plus distante Tchaïkovski déjà rompu aux techniques de composition occidentale. Cette période est déterminante. Rimsky-Korsakov va choisir la voie définitive de professeur et de compositeur. Une biographie plus large est à lire dans la chronique consacrée au célèbre Shéhérazade. (Clic)
Antar est un œuvre écrite à cette époque décisive. Et oui comme disait Sonia, le compositeur sera souvent attiré par les mirages de l'orient. Antar rejoint dans cet esprit Shéhérazade plus tardif. Le XIXème siècle se passionne pour la littérature du moyen-Âge et ses héros particulièrement épiques ; en 1868, nous sommes toujours dans l'inspiration romantique. Par ailleurs, si l'occident a connu l'apogée des romans chevaleresques au Moyen-Âge avec les légendes arthuriennes de Chrétien de Troyes ou la saga de Robert le Diable, le monde arabe voit surgir au XIIème siècle une littérature similaire avec les aventures de Antar, un chevalier qui semble avoir réellement existé avant la période de l'expansion musulmane. La tradition orale de la légende a suscité la rédaction de ces aventures picaresques.
Rimsky-Korsakov va puiser dans ces épopées intrépides et composer une suite en quatre parties évoquant de manière cohérente la vie du personnage. Nous rencontrons Antar errant en plein désert. Il sauve une gazelle poursuivie par un prédateur. La gazelle est en réalité une créature magique (l'ancienne reine de Palmyre) qui propose de remercier son bienfaiteur en lui permettant d'accéder à trois plaisirs de son choix. (Cela rappelle les trois souhaits d'Aladin et des autres djinns.) Antar choisira : la vengeance, le pouvoir et l'amour, trois thématiques qui seront au centre des trois derniers mouvements de l'ouvrage. À l'origine, l'œuvre devait constituer la seconde symphonie de Rimsky-Korsakov, mais le programme très explicite et proche du poème symphonique conduira à remplacer ce titre banal par Antar. Le mode de composition étant en outre plus proche de l'évocation du monde des mille et une nuits que de la forme symphonique pure et dure. Si le compositeur n'a que 24 ans, il va montrer déjà son sens du climat, la précision du récit musical et surtout son art de l'orchestration. Il apportera son expérience accrue lors de retouches : dans les années 1875-1876 pour une édition en 1880 puis en 1897 pour l'édition définitive de 1903.
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J'ai déjà invité dans mes pages et par deux fois le chef talentueux Paavo Järvi. Voici aujourd'hui le papa dans la famille des maestros estoniens, Neeme Järvi, sachant qu'il existe un second fils également chef d'orchestre, Kristjan Järvi.
Neeme Järvi est né en 1937 à Tallinn et cet octogénaire d'allure bonhomme continue avec brio son activité. À noter qu'il a complété ses études musicales sous la direction (c'est le cas de le dire) de l'autocratique et pointilleux chef russe Ievgueni Mravinski, seul patron après Dieu de l'orchestre de Leningrad, phalange illustre de l'époque soviétique.
Durant sa longue carrière auprès d'au moins six grands orchestres (symphonique de Détroit, orchestre de la Suisse Romande…), Neeme Järvi a dirigé pendant plus de vingt ans l'orchestre de Göteborg, de 1982 à 2004, hissant cet ensemble suédois au plus haut niveau international. Son très vaste répertoire inclut la musique romantique, la redécouverte de compositeurs un peu oubliés comme Franz Berwald et aussi la musique contemporaine. Il est un serviteur zélé de Sibelius et de Chostakovitch.
Comme Karajan, Bernstein, Solti ou Dorati, Neeme Järvi a constitué au fil des ans une discographie impressionnante, riche de 350 galettes ! Certes, depuis un certain temps, le chef est en contrat avec la firme anglaise Chandos dont les disques sont distribués avec parcimonie en France, mais sa période suédoise a donné lieu à de nombreux enregistrements pour le label allemand DG qui a très opportunément maintenu ce patrimoine à travers des rééditions comme celle dont est tirée l'interprétation de ce jour. Neeme Järvi reste l'un des rares artistes à avoir gravé l'intégrale des symphonies de Rimsky-Korsakov.
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Avant de rentrer dans les détails, il est important de souligner qu'Hector Berlioz se rendit en 1867 et 1868 en Russie. Nicolaï pourra ainsi entendre la symphonie Fantastique et Harold en Italie. Il restera très impressionné par la nature romanesque des deux chefs-d'œuvres du français mettant en scène des héros tourmentés et par la modernité de l'orchestration. Berlioz avait publié son traité d'instrumentation complet en 1855. Rimsky-Korsakov recourt à un orchestre coloré :
2 flûtes + 1 piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones + tuba, 3 timbales, grosse caisse et caisse claire, tamtam, cymbales, harpes, tambourin, triangle, cordes.
Rimsky-Korsakov deviendra le maître incontesté de l'orchestration et formera à cette discipline plusieurs grands compositeurs : Moussorgski, Respighi, Prokofiev, Stravinski… Une liste impressionnante !

1 - Largo - Allegro - Largo - Allegretto - Adagio - Allegretto – Largo : Cette succession de tempos divers est caractéristique de l'écriture des poèmes symphoniques, d'épisodes d’intensité dramatique opposée. Des accords des bassons et de deux cors pp dans l'aigu illuminent le désert brûlant entourant la ville mythique de Palmyre. Une marche syncopée et inquiétante, martelée pp à la timbale et soutenue par les cordes graves, accompagne notre héros Antar songeur face à l'immensité du paysage. Rimsky-Korsakov révèle ainsi un son art consommé de l'orchestration pour nous plonger dans les mirages diaphanes de l'Arabie. [2:15] L'introduction se termine par quelques notes de flûte avant de laisser les cordes énoncer le leitmotiv altier qui va parcourir toute l'œuvre. Peut-on parler du thème de Antar ? Oui dans la mesure où la noblesse de la mélodie évoque l'esprit chevaleresque du guerrier. Mais par ailleurs, la musique avec ses accents orientalisants et slaves ne se complait en rien dans un style péplum comme dans Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rimsky-Korsakov confirme ici l'influence de Berlioz qui adoptait le même concept du leitmotiv dans Harold en Italie. Le compositeur combine avec élégance les deux idées exposées à la manière de la forme sonate. [3:52] Un nouveau motif bondissant aux flûtes et aux cordes s'insinue, tragique et ponctué de coup de timbales et de roulement de cymbales, de mugissements du tuba. Est-ce la gazelle poursuivie par un oiseau agressif. Oui, et le thème de Antar intervient pour chasser le prédateur. Un magnifique dialogue guilleret et endiablé témoigne de la reconnaissance de l'animal envers Antar. La légèreté du discours et de l'orchestration surprend. Tout le reste du mouvement (un bon tiers de l'ouvrage) repose sur ces variations, fleure bon la féérie. De nombreux solos de bois, des arpèges de harpes, la répétition du leitmotiv aux cordes repris par la flûte : un climat enchanteur et délicat. Neeme järvi retient son orchestre, évite toute célérité hors de propos. Les tempos sont assez lents et cela se justifie par la poésie du propos.

2 – Allegro : [12:39] : le second mouvement illustre le premier plaisir souhaité par Antar : la vengeance. Drôle de plaisir dirions-nous, mais Antar reste un guerrier. Rimsky-Korsakov fait souffler le vent de la colère dans les cordes frémissantes. Cuivres et percussions se mettent à l'unisson dans cet âpre allegro  dont la violence assure une transition marquée par rapport à la sérénité du premier mouvement. L'énergie du morceau, pourtant sans pathos, est peu courante à cette époque. L'orchestre est nettement mieux maîtrisé que certaines pages d'inspiration médiocre d'un Franz Liszt comme La bataille des Huns Dans la partie centrale, on entendra ressurgir le leitmotiv de Antar, ainsi que dans la conclusion.

3 - Allegro risoluto : [18:01] : Place au pouvoir. On imagine une fête dans un palais oriental destinée à célébrer la victoire après une bataille. Il n'existe pas de programme aussi précis que dans le futur Shéhérazade, mais à mon sens, l'idée est là. Les mélomanes qui connaissent déjà des ouvrages virulents comme l'ouverture de la grand Pâques russe ou le Capriccio espagnol retrouveront ici le trait énergique et coloré cher au compositeur. Bon, c'est moins bluffant que la fête à Bagdad de Shéhérazade, mais quelle pétulance. Le tambourin et le triangle s'en donnent à cœur joie pour enjoliver ces agapes et cette ambiance triomphale qui traverse le mouvement. Dansant et guilleret. Neeme Järvi maintient une grande régularité dans son tempo, évitant tout débordement fanfaronnant.

4 – Allegretto – Adagio : [24:01] Ah l'amour. Le dernier plaisir voit la réexposition du motif de la gazelle qui n'était autre que l'esprit de Fay, l'ancienne reine de Palmyre. De longues phrases langoureuses aux cordes s'élancent avec sensualité. Si Antar, personnage légendaire, était un guerrier, il n'en était pas moins aussi un poète et un homme de culture. [27:36] Le hautbois chante le sentiment amoureux sur fond d'arpèges cristallins de harpes. Cette belle œuvre nous fascine par la diversité des atmosphères. [28:40] Une nouvelle idée plus pathétique et plus nostalgique rappelle que même pour les héros le temps de vivre a une fin. Dans la légende, Antar meurt d'une blessure due à une flèche décochée par un ennemi. Bien entendu, nous réentendons le leitmotiv, mais dans un registre de sonorités plus élégiaques. La suite symphonique s'achève de manière attendrissante, doucement. Un rythme de flûtes introduit la fin apaisée du héros bercée par les cordes…
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Même si les enregistrements de Antar sont moins pléthoriques que ceux de Shéhérazade, on dispose depuis l'époque du microsillon de belles réussites.
En 1954, Ernest Ansermet qui aimait cette musique a gravé pour Decca les deux suites "orientales" de Rimsky-Korsakov. Les tempos sont tendus, les articulations marqués. Une interprétation moins féérique qu'épique. Un disque culte par son couplage. Belle prise de son en stéréo à ses débuts. (DECCA – 6/6).
La prise de son feutrée dessert un peu la version intimiste de Neeme Järvi qui joue la carte du tendre avec talent. David Zinman a enregistré une version pleine de nerf avec l'orchestre de Rotterdam. Prise de son superlative. Couplage avec diverses pièces célèbres du compositeur (Philips – 5/6)
Le chef Russe Evgeny Svetlanov a gravé à plusieurs reprises des symphonies de Rimsky-Korsakov. Une curiosité consiste dans le disque de 1990 avec son orchestre d’État de Russie capté par la firme US RCA. Tout le monde sait que les captations russes Melodya n'ont pas toujours un son exemplaire. (RCA – 5/6).

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3 commentaires:

  1. Berlioz ira deux fois en Russie, à Saint Petersbourg et à Moscou en 1847 et en 1867. Définitivement, j'aime Rimsky-Korsakov (qui bizarrement est écris avec un i sur l'enregistrement !) pour sa puissance et son coté coloré comme tu le dis toi même, mais je suis déçu...Au total, La symphonie "Antar" manque d'elphe...ok ! je sors !

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    1. Shéhérajade ché Shell que j'aime dirait Giscard d'Estaing…
      Ne poussez pas, je sors aussi...

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    2. Pas mieux !!! Impossible de faire un calembour avec Esso, BP et Avia ! Je suis en panne de sens !

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