- Heu M'sieur Claude… Antar
? Ce n'était pas une marque d'essence de l'époque où vous étiez gosse ? Je
plaisante, un lieu, un conte ou un personnage ?
- Tiens vous connaissez cela
Sonia, cette marque a dû disparaître il y a au moins 40 ans… Non Antar est un
chevalier arabe du Moyen-âge, un héros…
- Dites-moi, Rimsky-Korsakov
avait déjà composé une musique orientalisante avec le célèbre Shéhérazade,
avant ou après ?
- Shéhérazade, beaucoup
plus ambitieuse comme suite sera écrite 20 ans plus tard. Antar est sa seconde
symphonie rebaptisée, indéniablement influencée par Berlioz…
- Ah bon, notre compositeur frenchy
majeur a connu son collègue russe ?
- Non pas directement je
pense, mais Berlioz a défendu sa propre musique en Russie peu de temps avant sa mort
en 1869, musique qui a envouté Rimsky-Korsakov…
Neeme Järvi |
Vers
1868, Rimsky-Korsakov
s'interroge encore sur l'orientation à donner à sa carrière. Officier de
marine, il ne parcourt plus les océans mais travaille à terre, bénéficiant ainsi
de quelques heures par jour pour s'adonner à la composition. Son cercle d'amis
s'étend, de Borodine à Balakirev puis d'une manière plus distante
Tchaïkovski déjà rompu aux techniques de
composition occidentale. Cette période est déterminante. Rimsky-Korsakov
va choisir la voie définitive de professeur et de compositeur. Une biographie
plus large est à lire dans la chronique consacrée au célèbre Shéhérazade.
(Clic)
Antar
est un œuvre écrite à cette époque décisive. Et oui comme disait Sonia, le
compositeur sera souvent attiré par les mirages de l'orient. Antar
rejoint dans cet esprit Shéhérazade
plus tardif. Le XIXème siècle se passionne pour la littérature du moyen-Âge et
ses héros particulièrement épiques ; en 1868, nous sommes toujours dans l'inspiration
romantique. Par ailleurs, si l'occident a
connu l'apogée des romans chevaleresques au Moyen-Âge avec les légendes
arthuriennes de Chrétien de Troyes ou la saga de Robert le Diable, le monde arabe
voit surgir au XIIème siècle une littérature similaire avec les aventures
de Antar, un chevalier qui semble
avoir réellement existé avant la période de l'expansion musulmane. La tradition orale
de la légende a suscité la rédaction de ces aventures picaresques.
Rimsky-Korsakov va puiser dans ces épopées intrépides et
composer une suite en quatre parties évoquant de manière cohérente la vie du
personnage. Nous rencontrons Antar errant
en plein désert. Il sauve une gazelle
poursuivie par un prédateur. La gazelle est en réalité une créature magique
(l'ancienne reine de Palmyre) qui propose de remercier son bienfaiteur en lui
permettant d'accéder à trois plaisirs de son choix. (Cela rappelle les trois
souhaits d'Aladin et des autres djinns.) Antar
choisira : la vengeance, le pouvoir et l'amour, trois thématiques qui seront au
centre des trois derniers mouvements de l'ouvrage. À l'origine, l'œuvre devait
constituer la seconde
symphonie de Rimsky-Korsakov,
mais le programme très explicite et proche du poème symphonique conduira à
remplacer ce titre banal par Antar. Le mode de composition étant
en outre plus proche de l'évocation du monde des mille et une nuits que de la
forme symphonique pure et dure. Si le compositeur n'a que 24 ans, il va montrer
déjà son sens du climat, la précision du récit musical et surtout son art de
l'orchestration. Il apportera son expérience accrue lors de retouches : dans
les années 1875-1876 pour une
édition en 1880 puis en 1897 pour l'édition définitive de 1903.
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J'ai
déjà invité dans mes pages et par deux fois le chef talentueux Paavo Järvi. Voici aujourd'hui le papa dans la famille des maestros estoniens, Neeme Järvi, sachant qu'il existe un second fils
également chef d'orchestre, Kristjan Järvi.
Neeme Järvi est né en 1937 à Tallinn et cet
octogénaire d'allure bonhomme continue avec brio son activité. À noter qu'il a
complété ses études musicales sous la direction (c'est le cas de le dire) de
l'autocratique et pointilleux chef russe Ievgueni
Mravinski, seul patron après Dieu de
l'orchestre de Leningrad, phalange illustre de l'époque soviétique.
Durant sa longue carrière auprès d'au moins six grands orchestres (symphonique de Détroit, orchestre de la Suisse Romande…), Neeme
Järvi a dirigé pendant plus de vingt ans l'orchestre
de Göteborg, de 1982
à 2004, hissant cet ensemble suédois
au plus haut niveau international. Son très vaste répertoire inclut la musique
romantique, la redécouverte de compositeurs un peu oubliés comme Franz Berwald et aussi la musique
contemporaine. Il est un serviteur zélé de Sibelius et de Chostakovitch.
Comme
Karajan, Bernstein,
Solti ou Dorati,
Neeme Järvi a constitué au fil des ans une
discographie impressionnante, riche de 350 galettes ! Certes, depuis un certain
temps, le chef est en contrat avec la firme anglaise Chandos dont les disques sont distribués avec parcimonie en France,
mais sa période suédoise a donné lieu à de nombreux enregistrements pour le label
allemand DG qui a très opportunément
maintenu ce patrimoine à travers des rééditions comme celle dont est tirée
l'interprétation de ce jour. Neeme Järvi
reste l'un des rares artistes à avoir gravé l'intégrale des symphonies de Rimsky-Korsakov.
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Avant
de rentrer dans les détails, il est important de souligner qu'Hector Berlioz se rendit en 1867 et 1868 en Russie. Nicolaï
pourra ainsi entendre la symphonie Fantastique et Harold en Italie.
Il restera très impressionné par la nature romanesque des deux chefs-d'œuvres du
français mettant en scène des héros tourmentés et par la modernité de
l'orchestration. Berlioz avait publié son traité d'instrumentation complet en 1855. Rimsky-Korsakov
recourt à un orchestre coloré :
2
flûtes + 1 piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors,
2 trompettes, 3 trombones + tuba, 3 timbales, grosse caisse et caisse claire, tamtam, cymbales, harpes, tambourin, triangle, cordes.
Rimsky-Korsakov deviendra le maître incontesté de
l'orchestration et formera à cette discipline plusieurs grands compositeurs : Moussorgski,
Respighi, Prokofiev,
Stravinski… Une liste impressionnante !
1 - Largo - Allegro - Largo - Allegretto - Adagio -
Allegretto – Largo
: Cette succession de tempos divers est caractéristique de l'écriture des
poèmes symphoniques, d'épisodes d’intensité dramatique opposée. Des accords des
bassons et de deux cors pp dans
l'aigu illuminent le désert brûlant entourant la ville mythique de Palmyre. Une
marche syncopée et inquiétante, martelée pp
à la timbale et soutenue par les cordes graves, accompagne notre héros Antar
songeur face à l'immensité du paysage. Rimsky-Korsakov
révèle ainsi un son art consommé de l'orchestration pour nous plonger dans les
mirages diaphanes de l'Arabie. [2:15] L'introduction se termine par quelques
notes de flûte avant de laisser les cordes énoncer le leitmotiv altier qui va parcourir
toute l'œuvre. Peut-on parler du thème de Antar ? Oui dans la mesure où la
noblesse de la mélodie évoque l'esprit chevaleresque du guerrier. Mais par
ailleurs, la musique avec ses accents orientalisants et slaves ne se complait
en rien dans un style péplum comme dans Samson et Dalila
de Saint-Saëns. Rimsky-Korsakov confirme ici
l'influence de Berlioz qui adoptait le même
concept du leitmotiv dans Harold en Italie.
Le compositeur combine avec élégance les deux idées exposées à la manière de la
forme sonate. [3:52] Un nouveau motif bondissant aux flûtes et aux cordes s'insinue,
tragique et ponctué de coup de timbales et de roulement de cymbales, de
mugissements du tuba. Est-ce la gazelle poursuivie par un oiseau agressif. Oui,
et le thème de Antar intervient pour chasser le prédateur. Un magnifique
dialogue guilleret et endiablé témoigne de la reconnaissance de l'animal envers
Antar. La légèreté du discours et de l'orchestration surprend. Tout le reste du
mouvement (un bon tiers de l'ouvrage) repose sur ces variations, fleure bon la féérie. De
nombreux solos de bois, des arpèges de harpes, la répétition du leitmotiv aux
cordes repris par la flûte : un climat enchanteur et délicat. Neeme järvi retient son orchestre, évite toute célérité hors de propos. Les
tempos sont assez lents et cela se justifie par la poésie du propos.
2 – Allegro : [12:39] : le
second mouvement illustre le premier plaisir souhaité par Antar : la vengeance. Drôle de plaisir dirions-nous,
mais Antar reste un guerrier. Rimsky-Korsakov
fait souffler le vent de la colère dans les cordes frémissantes. Cuivres et
percussions se mettent à l'unisson dans cet âpre allegro dont la violence
assure une transition marquée par rapport à la sérénité du premier mouvement. L'énergie
du morceau, pourtant sans pathos, est peu courante à cette époque. L'orchestre
est nettement mieux maîtrisé que certaines pages d'inspiration médiocre d'un Franz Liszt comme La
bataille des Huns… Dans la partie centrale, on entendra ressurgir le leitmotiv de Antar, ainsi que dans la conclusion.
3 - Allegro risoluto : [18:01] : Place au pouvoir. On imagine une fête dans un palais
oriental destinée à célébrer la victoire après une bataille. Il n'existe pas de
programme aussi précis que dans le futur Shéhérazade, mais à mon sens, l'idée
est là. Les mélomanes qui connaissent déjà des ouvrages virulents comme
l'ouverture de la grand Pâques russe ou le Capriccio espagnol retrouveront ici le
trait énergique et coloré cher au compositeur. Bon, c'est moins bluffant que la
fête à Bagdad de Shéhérazade, mais quelle pétulance. Le tambourin et le
triangle s'en donnent à cœur joie pour enjoliver ces agapes et cette ambiance
triomphale qui traverse le mouvement. Dansant et guilleret. Neeme Järvi maintient une grande
régularité dans son tempo, évitant tout débordement fanfaronnant.
4 – Allegretto – Adagio : [24:01] Ah l'amour. Le dernier plaisir voit la réexposition
du motif de la gazelle qui n'était autre que l'esprit de Fay, l'ancienne reine de Palmyre. De longues phrases langoureuses
aux cordes s'élancent avec sensualité. Si Antar, personnage légendaire, était
un guerrier, il n'en était pas moins aussi un poète et un homme de culture. [27:36]
Le hautbois chante le sentiment amoureux sur fond d'arpèges cristallins de
harpes. Cette belle œuvre nous fascine par la diversité des atmosphères. [28:40]
Une nouvelle idée plus pathétique et plus nostalgique rappelle que même pour
les héros le temps de vivre a une fin. Dans la légende, Antar meurt d'une
blessure due à une flèche décochée par un ennemi. Bien entendu, nous
réentendons le leitmotiv, mais dans un registre de sonorités plus élégiaques.
La suite symphonique s'achève de manière attendrissante, doucement. Un rythme
de flûtes introduit la fin apaisée du héros bercée par les cordes…
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Même
si les enregistrements de Antar
sont moins pléthoriques que ceux de Shéhérazade,
on dispose depuis l'époque du microsillon de belles réussites.
En
1954, Ernest Ansermet qui aimait
cette musique a gravé pour Decca les
deux suites "orientales" de Rimsky-Korsakov.
Les tempos sont tendus, les articulations marqués. Une interprétation moins
féérique qu'épique. Un disque culte par son couplage. Belle prise de son en stéréo à ses débuts. (DECCA – 6/6).
La
prise de son feutrée dessert un peu la version intimiste de Neeme Järvi qui joue la carte du tendre
avec talent. David Zinman a enregistré
une version pleine de nerf avec l'orchestre de
Rotterdam. Prise de son superlative. Couplage avec diverses
pièces célèbres du compositeur (Philips
– 5/6)
Le
chef Russe Evgeny Svetlanov a gravé à
plusieurs reprises des symphonies de Rimsky-Korsakov.
Une curiosité consiste dans le disque de 1990 avec son orchestre d’État de Russie
capté par la firme US RCA. Tout le monde sait que les captations russes Melodya n'ont pas toujours un son exemplaire. (RCA – 5/6).
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Berlioz ira deux fois en Russie, à Saint Petersbourg et à Moscou en 1847 et en 1867. Définitivement, j'aime Rimsky-Korsakov (qui bizarrement est écris avec un i sur l'enregistrement !) pour sa puissance et son coté coloré comme tu le dis toi même, mais je suis déçu...Au total, La symphonie "Antar" manque d'elphe...ok ! je sors !
RépondreSupprimerShéhérajade ché Shell que j'aime dirait Giscard d'Estaing…
SupprimerNe poussez pas, je sors aussi...
Pas mieux !!! Impossible de faire un calembour avec Esso, BP et Avia ! Je suis en panne de sens !
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