Le mec agace un peu. Asghar Farhadi. Chacun de ses films est sélectionné à Cannes, et boum, il repart avec un prix. Il fait partie des chouchous du sélectionneur (ce qui peut lasser, à force, comme Loach, Audiard ou les Dardennes ont leur carte d’abonnement) sauf que voilà, il se trouve que le gars a du talent ! Et notamment comme scénariste, il parvient à chaque fois à nous tricoter des petites histoires qui prennent sens, parfaitement écrites et construites.
Sur UN HÉROS, re-belote, Asghar Farhadi tisse une intrigue apparemment simple, linéaire, mais dont chaque recoin va être fouillé, ne laissant rien au hasard, avec un angle qui est toujours le même : partir du petit pour arriver au grand. Partir d’une situation simple, quotidienne, pour amener une réflexion générale, un point de vue sur la société iranienne. Un procédé qui lui permet de contourner la censure, on sait que chez les Mollahs, y’a des sujets qui fâchent…
C’est un film qu’on pourrait mettre en parallèle avec LA LOI DE TÉHÉRAN [ clic ici ] les deux prennent pour sujet la justice, le premier sous la forme d’un thriller haletant, le second sur l’étude de ce qui pourrait être qu’un banal fait divers : un gars trouve un sac à main dans la rue, et devient un héros populaire, propulsé par les médias.
Ce héros, c’est Rahim. Il est incarcéré pour non-remboursement de dettes, ça ne rigole pas là-bas. Il profite d’une permission pour aller changer de l’or en billets de banques, et ainsi payer sa dette. C’est sa fiancée Farkhondeh qui lui apporte le butin, trouvé dans un sac à main sous un abris-bus. Mais le cours de l’or n’étant pas en sa faveur, Rahim renonce, et élabore un autre plan : retrouver la propriétaire du sac à main, demander une récompense. Il scotche des affiches en ville, y inscrit non pas son numéro personnel, mais celui de la prison. Quand la propriétaire appelle, tout le monde est donc au courant de son geste héroïque, la médiatisation se met en marche…
Asghar Farhadi nous fait entrer dans l’histoire par bribes, à tel point qu’on n’en comprend pas au départ tous les tenants et aboutissants. C’est fait exprès ! Pendant tout le film, le spectateur se pose la question : Rahim est-il un honnête homme naïf, ou un stratège, un imbécile heureux qui se prend les pieds dans le tapis. Farhadi filme son personnage avec un sourire niais, trop affiché pour être honnête.
Le réalisateur livre les informations au compte-gouttes, des petits détails, sans cesse le spectateur doit se raviser. Le cours de l’or a baissé en une semaine ? Le couple s’était donc renseigné avant, ils étaient déjà en possession de l'or. Donc quand Rahim affirme avoir trouvé le sac, il ment, puisqu'il était en prison. Et si c'est sa fiancée qui a le sac, pourquoi ne pas mettre son numéro sur les affiches ?
Des questions que son entourage finit par poser, soupçonneux, auxquelles Rahim donne des réponses floues. Il ne pouvait pas mettre Farkhondeh dans le coup car ils ne sont pas officiellement mariés, alors vous comprenez, hein, cela n'aurait pas été bien vu. Mais comme cette société est prompte à mettre en avant les comportements moraux, faire des exemples, la machine s'emballe, les réseaux sociaux s'y mettent, une association d’aide aux démunis prend le dossier en main, collecte les fonds, la télévision débarque, Rahim est pris dans une spirale de petits mensonges.
Deux personnages ne sont pas
dupes. Bahram, son créancier et ex-beau-frère. Il ne croit pas à ce conte de
fée, y voit une entourloupe de plus. Et quand tout semble s'arranger, le pointilleux Ministère de Moralité (sic) s’emmêle, demande des preuves pour clore le dossier
de réinsertion de Rahim. Que la propriétaire du sac vienne s'expliquer elle aussi. Sauf que la
femme en question est introuvable, elle même devant justifier la présence de pièces d'or dans son sac à main...
Ce qui est prenant dans ce film, dont l’intérêt ne fait que s’accroître au fil des séquences, c’est comment chaque petit élément va en modifier la trajectoire de l'intrigue, notre réflexion, notre point de vue sur l'affaire, sur ce héros. Farhadi donne une vision kafkaïenne de la justice iranienne, et plus globalement de cette société basée sur des principes moraux, religieux.
La mise en scène est millimétrée, les cadres toujours justes (mention au dernier, long plan fixe qui s’élargit en travelling arrière, le spectateur est amené à regarder chaque recoin de l’écran), entre les amples plans d’ensemble extérieurs sur le chantier, ou les mouvements secs, le montage, qui traduisent l’urgence. Les scènes de tensions sont filmées caméra à l’épaule, la violence éclate d’un coup (bagarre dans le magasin) au contraire des scènes familiales, apaisantes, si justes, dans le petit appartement où s’entasse la smala. Tous les comédiens sont impeccables, notamment les enfants.
Sans doute le film aurait pu se conclure plus rapidement, je ne suis pas certain que les 2h10 soient justifiées… on ressent un petit coup de mou sur la fin. Mais voilà un le film simple, limpide, qui révèle des trésors de nuances, rien n’y est manichéen. L’intelligence d’Asghar Farhadi est de laisser le spectateur juger, avec ce qu’il a vu et entendu à l’écran. Escroc minable, héros malgré lui, ou victime d’un système centré sur la morale d’Etat ?
couleur - 2h10 - format scope 1:2.39
Ce type est doué (Une séparation, Le passé, Everybody knows, pour ceux que j'ai vus)...Il y a depuis des décennies une tradition de cinéma iranien (pas toujours spectaculaire, z'ont pas vraiment les moyens et doivent parfois tourner en catimini, ce qui n'a pas Kiarostami d'être considéré comme un des réalisateurs importants des 50 dernières années), et vu les conditions politiques du pays, à rapporter aux pleureuses du cinéma français qui arrêtent pas de chouiner tellement c'est dur de faire un film en France ...
RépondreSupprimerDonc Un héros, il est prévu que je le voie ... quand j'aurai le temps, c'est-à-dire je sais pas quand ...
Prends ton temps... Je l'ai vu 6 mois après sa sortie (pour être honnête, un peu par hasard, puisque la caissière m'a envoyé dans la mauvaise salle ! Mais aucun regret.)
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