vendredi 27 août 2021

LA LOI DE TEHERAN de Saeed Roustayi (2019) par Luc B.

On voit peu de films iraniens, difficiles à tourner et exporter, la pellicule est souvent voilée. Mais des polars iraniens, c’est carrément une denrée rare. LA LOI DE TÉHÉRAN a d’ailleurs mis trois ans avant d’atterrir chez nous. Autrement dit, suivez mon regard, faites-lui bon accueil. Vous aurez peut-être lu qu’il s’agit du FRENCH CONNECTION iranien, argument de vente un peu facile et galvaudé dès qu’il s’agit de flics et de dealers. Mais la première poursuite et l’aspect ultra-réaliste, presque documentaire, rappellent effectivement la méthode de William Friedkin.

Ça commence pieds au plancher, donc, avec une course poursuite entre un flic, Hamid, et un petit dealer, dans les petites ruelles de Téhéran, qui forment un labyrinthe inextricable. Première séquence haletante. Hamid récupérera effectivement un sachet de dope jeté au sol, mais pas le mec qui l’a lâché. Le suspect qui pensait se planquer dans un chantier en se jetant dans un trou - trop profond pour en ressortir - sera enseveli par des tonnes de gravats poussées par un bulldozer…

Cette scène aura son importance pour la suite. Car qui à part Hamid a vu le fugitif ? Personne. Même pas son chef, le commissaire Samad Majidi, qui doute de l'intervention et refuse de contre-signer son rapport. La confiance règne... Ce film qui décrit une situation sanitaire et sociale terrifiante, montre aussi les rouages d'une justice basée sur la suspicion, le doute, les petits arrangements.

Les coups de filets se poursuivent, Samad Majidi n’a qu’un but, faire tomber Nasser, le truand qui règne sur le trafic. Autre séquence terrifiante, des centaines de junkies entassés à l’intérieur de tuyaux de canalisation en béton, disposés comme des alvéoles. L’Iran, nous apprend le générique de fin, a près de 6,5 millions d’addicts à l’héro ou au crack (d'où le titre en VO : 6,5). Là-bas, 5 grammes ou 500 kilos vous conduisent direct l’échafaud.

Dans sa première partie, le film s’attache à la traque de Nasser, les petits poissons mènent en gros. Scène géniale de l’intervention chez un intermédiaire, avec le chien policier, et les fliquettes toutes voilées de noir, seules autorisées à appréhender les femmes, ou encore l'arrestation des mules à l'aéroport. La caméra quitte les bas-fonds de Téhéran pour les penthouse luxueux de la bonne société. Samad Majidi est un pur, un dur, qui fait fi des tentatives de corruption.

La seconde partie est étouffante à souhait, presque entièrement filmée dans les geôles du palais de justice où s’entassent des centaines de suspects (figurants pris dans la rue) sur lesquels Nasser, grâce à sa réputation, son fric, règne en maître. Le Tony Montana persan. A partir de là, le réalisateur redistribue les cartes, on quitte l'action de terrain pour suivre l'instruction du dossier. 

Chaque protagoniste défend son steak devant le juge. Truands et flics sont relégués au même niveau. Tout le monde est suspect. Nasser tente un coup de poker : « les flics ont trouvé 18 paquets de dope chez moi mais n’en ont déclaré que 12 ». Suspicion de vol qui suffit au juge pour mettre Samad en garde à vue ! Hamid, son collègue, ne se précipitera pour l'innocenter, lui même suspect aux yeux de son chef (scène d'ouverture). Le film montre cette ambiance de suspicion et de corruption généralisée dans la justice iranienne. 

On pourrait reprocher au film d’être dans ces moments-là plus statique, plus bavard, mais on perçoit les personnages différemment. La frontière entre bons et méchants éclate en morceaux. Nasser se révèle plus humain et sensible au fur et à mesure de son incarcération, justifie le trafic et l'argent généré comme seul ascenseur social pour ses proches. Là encore, c'est tout le système qui en prend un coup. Et Samad le flic, qui représente la morale, l'ordre, la droiture, affiche une intransigeance tyrannique, un manque d'empathie et de solidarité envers ses collègues.

La mise en scène est directe et sans chichi, une caméra souvent tenue à épaule qui illustre le chaos, le montage est sec. Les séquences chez le juge sont sans doute plus formelles, mais on pardonnera au jeune réalisateur Saeed  Roustayi dont c’est le deuxième film. La fin est magnifique, avec ce gamin tout frêle qui exécute devant son oncle Nasser des figures de gymnastique apprises à l’école, un moment d’une incroyable beauté, contrepoint de la scène de pendaison tragique et froide.

LA LOI DE TÉHÉRAN est un polar d'abord redoutablement efficace qui se double d'un regard amère sur des institutions gangrenées par la corruption, la misère et l’injustice. Le dernier plan est saisissant, glaçant : un long travelling qui part d’une voiture pour s’élever le long d’une rocade embouteillée, d’où décampent des milliers de junkies délogés par une énième descente des stups, traduisant ce sentiment d’impuissance à enrayer un phénomène incontrôlable. 

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L'acteur qui joue Samid, Peyman Maadi, avait joué dans les deux premiers films d'Asghar Farhadi (c'est le mari de UNE SÉPARATION) il tourne aussi aux US et même chez nous.


couleur  -  2h10  -  format 1:1.85 

 

1 commentaire:

  1. Alléchant ton commentaire. J'adore comment tu affleures certaines scènes. J'ai vu ensuite la bande-annonce, et tout ça, non seulement me met l'eau à la bouche, mais me fait penser que je n'ai toujours pas vu Le Caire Confidentiel, un polar sorti il y a quelques années déjà... Bon, ben, si ce film iranien passe près de chez moi, je fonce ! Je sais que je peux te faire confiance.
    Cinématiquement vôtre, ;)
    Freddie

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