- Ah ! Un petit nouveau M'sieur Claude. Il a un nom qui sonne allemand ce
compositeur inconnu, enfin de moi. C'est quel genre ? Baroque, romantique,
léger ou tonitruant ?
- Postromantique et oui, assez musclé… Weingartner était avant tout un
chef d'orchestre de renom à l'époque postromantique et au début du XXème
siècle…
- Ah je vois, un novateur ou un héritier de la grande tradition
germanique ?
- Plutôt la seconde option Sonia, ni Stravinski ni Schoenberg, un style
hérité de Wagner et Richard Strauss en passant par Liszt.
- Comme tous les compositeurs que vous réhabilitez M'sieur Claude, la
discographie doit être modeste…
- En effet, Marko Letonja est le seul à avoir enregistré les sept
symphonies pour CPO. Pas de discographie alternative cette semaine… Une
curiosité…
On ne saurait trop remercier pour l'originalité de son catalogue le label
allemand CPO qui, depuis 1986, explore un répertoire délaissé par les grands
labels historiques, labels que vous connaissez aussi bien que moi. De
Kurt
Atterberg
à
Antonio Cartellieri
en passant par
Hans Rott, nombre de gravures consacrées à des compositeurs éclipsés par les grands
noms ont permis à ce blog d'échapper à la routine en ne parlant que de
Beethoven
ou de
Debussy. C'est encore le cas avec cette
symphonie n°3
de
Felix Weingartner
que de nombreux mélomanes connaissent comme maestro historique à l'instar
d'un
Wilhelm Furtwängler
ou d'un
Bruno Walter
mais beaucoup moins comme compositeur. Il faut se souvenir que les deux
professions ne vont pas forcément de pair à quelques exceptions près comme
Mendelssohn,
Richard Strauss
ou
Mahler
pour citer trois figures très emblématiques parmi les musiciens polyvalents.
J'avais consacré un papier à une symphonie de
Furtwängler
jamais jouée ou presque car un chouia longuette et boursouflée. Là, la
surprise est plutôt bonne. Les amateurs de musique symphonique bien
construite, même si roborative, devrait apprécier. Une grande symphonie qui
pourrait en remontrer à
Liszt
et ses poèmes symphoniques dont certains ne font pas dans la dentelle, on en
parlait il y a une semaine…
Felix Weingartner
va ainsi rejoindre dans notre blog
Richard Wetz
(1ère symphonie
chez CPO) son contemporain, ou
encore
Marcel
Tyberg
(3ème symphonie
chez Naxos), comme compositeur
allemand méconnu et influencé par les formes symphoniques généreuses du
XIXème siècle. Un homme peu enclin à rechercher des langages
innovants, mais tenté par l'écriture d'une musique qui se fait l'écho de
celles qu'il dirige au quotidien avec beaucoup de talent. Voir l'index pour
ses deux compères.
Felix Weingartner
voit le jour en 1863 en Croatie
de parents autrichiens. Il est donc le contemporain de trois piliers du
postromantisme :
Mahler,
Strauss
et
Sibelius. En 1868, sa famille
s'installe à Graz en Autriche. Il va suivre une formation solide tant en
philosophie qu'en musique avec les grands pédagogues de l'époque, notamment
à Weimar auprès de
Liszt
en fin de vie. Dès les années
1880, il dirige, compose et
écrit. En 1898, il est
directeur de l'orchestre philharmonique de Munich. Puis à la demande de
Mahler, à partir de 1908 jusqu'en
1911, il dirige l'opéra de Vienne. Il récidivera entre 1935 et
1936. Et en parallèle, de
1908 à
1927, il préside à la destinée
de la
Philharmonie de Vienne, la consécration.
Disques Beethoven de 1923 |
En tant que compositeur, le nombre de partitions n'est pas mince, Weingartner
ayant travaillé à ses projets pendant toute sa carrière et dans tous les
genres : opéras, musique de chambre, lieder et un cycle de sept symphonies
assez ambitieux en terme de durée, de 45 minutes à plus d'une heure pour
cette
3ème, ce qui rappelle le
Bruckner
première manière. Ô toute comparaison s'arrête là, l'inventivité de la
musique de
Weingartner
étant aux antipodes de l'austérité mystique du compositeur autrichien.
L'écriture de ces symphonies couvre la période 1899-1937. Tout cela
n'est guère joué de nos jours, mais heureusement des artistes commencent à
le redécouvrir et à proposer des enregistrements des meilleures pages. (Liste des œuvres).
En tant que musicologue, on lui doit de nombreux écrits, mais aussi une
édition complète des œuvres de Berlioz
qu'il admirait. Il a également composé un final exécutable de la symphonie "Inachevée" de Schubert. Idée amusante, mais mes lecteurs assidus savent ce que je pense de ces
ajouts posthumes…
Derniers détails : Felix Weingartner
se passionnait pour l'occultisme et, pour ne pas oublier Rockin' friand de
ce genre d'infos, il fut marié 5 fois ! La 3ème épouse sera la
mezzo-soprano américaine
Lucille Marcel
(1887-1921) à qui est dédiée la
3ème symphonie. Cette dame fut une grande
Elektra de
Strauss. Felix Weingartner
est mort en Suisse en
1942.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Marko Letonja |
Marko Letonja
est né en 1961 en Slovénie. Il
fait partie de ces chefs que j'aime présenter car peu connus de la vie
musicale officielle qui n'a souvent d'yeux que pour les grandes messes
musicales des capitales du vieux monde : Vienne, Berlin, Paris, Londres, les
mégalopoles US, etc. Pour paraphraser Brassens, il n'y a pas qu'à
Paris que l'on entend de la bonne musique. Ainsi ce chef au visage
volontaire dirige l'Orchestre de Strasbourg
et Opéra du Rhin
depuis 2012 et a été récompensé pour la production du
Crépuscule des Dieux, l'opéra fleuve de
Richard Wagner.
Élève entre autres d'Otmar Suitner
(1922-2010), grand chef
allemand et pédagogue, Marko Letonja, connaît une carrière internationale, tant dans son pays qu'en Europe. On
lui doit cette aventure que personne n'avait tentée : l'enregistrement de
l'intégrale de l'œuvre symphonique de Felix Weingartner
avec l'Orchestre Symphonique de Bâle
dont il a été le directeur de
2003 à
2006.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'orchestration est puissante et rappelle celle du Wagner
dernière manière (Le crépuscule des dieux), voire d'un Mahler :
1 picolo, 4 flûtes, 2 hautbois, hautbois d'amour*, Heckel phone* (hautbois
grave), 3 clarinettes + clarinette basse, 3 bassons + contrebasson, 6 cors,
4 trompettes diverses, 3 trombones, tuba, 3 timbales, cymbales, triangle,
grosse caisse, 2 harpes, orgue (3ème mouvement) et cordes.
* Original, car rarement utilisés depuis l'époque baroque.
1 – Allegro con brio
: La Vienne de 1910 est l'un des centres culturels les plus vivants
et innovants de l'Europe. Difficile de savoir que dans quatre ans, l'un des
plus effroyables conflits mondiaux va embraser le continent… On y croise
Freud,
Jung et son patient
Hermann Hesse, futur prix Nobel
de Littérature,
Gustav Klimt, Mahler
en fin de vie, Richard Strauss, Schoenberg
qui va poser les bases du dodécaphonisme ; n'en jetons plus… Mais surtout
Vienne vit au rythme de la musique, celle du postromantisme, héritier de Beethoven, Schumann, Bruckner, Brahms. On ne sera donc pas surpris de noter ici ou là dans la symphonie des
influences assez nettes des compositeurs que Felix Weingartner
dirige si bien. Je parle bien d'influences, pas de collage ou de plagiat et
encore moins d'emprunts ou de parodies comme à l'époque baroque.
L'allegro débute gaiement sur des motifs de flûtes et de bois, mais aussi
de cors et des arpèges de harpes. On pensera aux
murmures de la forêt
de Wagner. Une thématique plus élégiaque et sinueuse aux cordes accompagne ces feux
follets de l'harmonie à la manière des grands élans d'un Bruckner
mais sans la dimension grave et mystique typique du style du maître de Linz.
Ô rien de moderne et d'aventureux dans l'écriture, mais un flot symphonique
charmeur voire bucolique. Et surtout, même si cela ne sera pas le cas dans
d'autres passages, rien de tonitruant ou de pathétique, comme si l'angoisse
métaphysique qui traverse l'époque romantique n'était plus de mise pour Weingartner. La suite va infléchir cette première impression… Une belle musique qui
peut sembler ingénue au départ.
[3:34] Une marche introduit une nouvelle idée plus épique qui va conduire à
un développement sensiblement plus dramatique et solennel. [5:16] L'ombre
obscurcit l'ambiance et précède une reprise destinée à satisfaire la forme
sonate. Pourtant, tant de transformations complexes animent cette musique
que ladite forme sonate obligée est bien mise à mal. Weingartner
académique ? Non pas vraiment. [6:11] Le solo du premier violon nous
renvoie à ceux entendus fréquemment chez R. Strauss. [6:44] Des accords de cuivres et les accents plaintifs des bois
démontrent que la symphonie n'a rien d'une simple musique pastorale ou
descriptive, mais s'inscrit bien dans l'expression des tourments
psychologiques en vogue depuis
Goethe, dramaturgie qui mène
les compositeurs du XIXème siècle à insérer ces climax dans la
conception de leur musique… Un passage musclé, avec le grondement de la
grosse caisse et l'agitation barbare qui gagne l'orchestre, témoigne de
cette dramatisation dans le développement de ce long allegro de 17' : une
durée comparable à celle de celui de la 9ème de Beethoven, ou encore à ceux de Brahms
ou de Bruckner. [11:02] Tout le final se construira à partir du thème initial réexposé.
L'orchestration joue sur de nombreux contrastes de tonalités qui ne laissent
pas indifférent par la déroutante ambiguïté entre poésie et pathétisme,
ambivalence qui nous conduit aux dernières mesures martiales et héroïques.
2 – Un poco moderato
: [16:46] Les passionnés feront sans difficulté le rapprochement entre ce
scherzo et sa forme très symétrique avec celui de la
9ème symphonie
de Bruckner
et son rugueux staccato. La comparaison se limite à la similitude de forme
et de durée. Weingartner
nous entraîne dans une danse baroque et sarcastique, une caricature du style
viennois. Curieusement, on devrait en rire, mais la ligne mélodique se
déploie avec tant de dislocation volontaire et de goguenardise que l'on ne
peut pas ne pas penser à un certain
Rondo burlesque
de Mahler
(9ème symphonie) dissimulant une danse macabre… Le discours alterne un jeu trépidant des
cordes et des joutes ricanantes des bois. La forme est plus complexe qu'il
n'y parait. L'auditeur se voit entrainer dans une chorégraphie folle et
sauvage. [21:04] Le trio essaye de calmer le jeu avec un tempo plus sage,
une succession des mélodies gentiment capricieuses jouées par les différents
pupitres. Une musique exigeante pour l'orchestre et je dois dire que
l'interprétation de Marko Letonja
répond pleinement à cette problématique. [23:04] Reprise da capo du scherzo
avec une virile coda aux excès volontaires, sauvages mais assumés.
3 – Adagio ma non troppo
: [28:06] Avec presque vingt minutes et son style méditatif, sa forme de
long crescendo, Weingartner
me semble assez proche des profonds adagios brucknériens portés par la
spiritualité. Cependant, une certaine nervosité émerge ici et là au sein
d'un hymne aux accents langoureux, un chant lascif proche de la
Nuit transfigurée
de Schoenberg
(1899). Une grande contemplation qui en fait à mon sens le plus beau
mouvement de la symphonie, un univers sonore de passion à la forme
relativement libre. Difficile de dissocier en thèmes contradictoires cet
adagio. On se laisse bercer, savourant le chant merveilleux des cordes
frémissantes puis des bois à partir de [33:41]. On pourra imaginer une
promenade voire une procession nocturne. Vers [38:11] un lent crescendo va
nous conduire vers un tutti olympien qui ouvre les portes d'un monde moins
tendre, plus effrayé. Fausse alerte, pas de drame faustien, retour d'une
péroraison entre tous les pupitres ; quelle science de l'orchestration de la
part de Weingartner
? [42:03] Un phrasé énergique se déploie pour atteindre le point culminant
et extatique du mouvement. [42:35] Un arpège de harpe invite l'orgue (ad
libitum – facultatif) à faire son entrée. Un effet souvent vulgaire
ailleurs, mais le chef limite la puissance de l'instrument (pas de pédale)
pour éviter cela, juste un peu de couleur divine 😇.
4 – Allegro moderato
: [47:06] Ah qu'il est difficile de conclure une symphonie ! On le savait
depuis
Schubert dont s'était le talon d'Achille. L'allegro va partir un peu dans tous les
sens. Volonté évidente de recycler la thématique des mouvements précédents.
Mais nous approchons de l'heure et les nouvelles idées vont manquer. Cela
dit, Weingartner
sauve la mise en recourant à une énergie fougueuse, des conflits badins
entre instruments et de nombreuses citations ironiques sur les coquetteries
de la musique viennoise qui font toujours les délices un peu surannés mais
sympas des concerts du Nouvel an à Vienne. Un pot-pourri en un mot. Ah ce
n'est pas léger, un tantinet confus mais la conclusion empreinte beaucoup à
la valse si chère à la capitale autrichienne. [59:46] On entendra des échos
de La
Chauve-Souris
de Johann Strauss II
de 1874. Johann le fils qui restera le plus célèbre de la famille. Mais j'y entends aussi un avant-goût de la suite du
Chevalier à la Rose
de l'autre Strauss, Richard
le bavarois qui composera cet opéra un an plus tard.
Bon je me résume : cette symphonie un peu longuette ne fait pas d'ombre au
répertoire symphonique "officiel". Cela dit, "ça change", surtout pour les
mélomanes qui comme moi connaissent quasiment par cœur les corpus des
compositeurs de premier plan cités dans cet article. Une forme de synthèse
attachante et distrayante d'un siècle de musique romantique avec sa poésie,
ses moments de bravoure, etc. À découvrir pour les amateurs
d'insolite…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire