Perdu dans la dense jungle de l'industrie musicale où l'on se doit d'être toujours plus performant, plus vendeur, plus sexy, plus killer, larger than life, plus look d'enfer ou mitonné, plus, plus, plus, il y en a encore qui n'en n'ont rien à foutre et font simplement leur propre musique sans se soucier d'autre chose. Perdu au milieu d'innombrables disques qui sont plus le fruit de bidouillages raffinés de studio que le réel travail d'un groupe, et de concerts plus en rapport avec une chorégraphie chiadée qu'avec la spontanéité, il y en a qui visiblement s'en battent le flanc et jouent leur musique comme si tout cela n'existait pas ; ne faisait pas partie de leur monde. Le sympathique trio de Buffalo est de ceux-là.
Handsome Jack, c'est ce trio en dehors du temps, composé de Jamison Passuite, de Joe Verdonselli et de Bernie Hayes. Respectivement guitariste et chanteur, bassiste et chanteur et batteur et chanteur. Passuite fait office de chanteur principal, tandis que les autres sont plutôt confinés au rôle de choristes, travaillant de concert pour des harmonies qu'ils qualifient de "West coast". Poste ici essentiel, indissociable de leur "dirty swamp-blues-soul", ils temporisent la tonalité d'homolupus de Jamison.
Handsome Jack, c'est cette formation réduite qui, autant par sa musique que par son look, pourrait aussi bien débarquer de la fin des sixties. Les impératifs de la mode, tant vestimentaire que musicale, ou même capillaire, ne sont que futilités et perversions de l'esprit. Plutôt que perdre leur temps à se regarder dans une glace, à observer ce que font les autres - notamment ceux que l'on considère comme "bancables" -, ils osent rester eux-mêmes, contre vents et marées (quoi que les marées, à Buffalo...). Ne doutant de rien, comme pour leur disque précédent, pour la photo de couverture, ils s'affichent tels quels. Sans retouches, ni maquillage, ni photo-shop, ni costumes, sans être passés par la case "coiffeur-barbier-costumier". On ne se soucie même pas de prendre la pause. "Vas-y, dépêche-toi de prendre tes fuckin' photos. C'est pas que ça nous ennuie mais... on a d'autres choses à faire" semblent dire les sympathiques trognes de ces lascars. Même les fringues paraissent sans âge - et sans étiquette -. La pilosité a gagné leur visage et le cheveu s'est rallongé. Haynes aborde désormais deux magnifiques tresses descendant sous la poitrine. A croire qu'ils cultivent avec fierté une certaine idée du redneck, du bouseux du Midwest. Le fait d'avoir baptisé leur dernier essai "Get Humble" peut vraisemblablement être un clin d'œil appuyé aux innombrables musiciens - et autres personnes - qui ont du mal à trouver chapeau à leur taille ou/et explosent régulièrement la tige de leurs bottines, tant le melon et les chevilles enflent. Et qui par là on généralement perdu de vue l'essentiel.
Mine de rien, avec leur air de ne pas y toucher, ces loustics s'y entendent pour trousser de sacrées bonnes chansons, saines et pleines de vie. Elles sentent le soleil, le vent dans les feuillages, les petites bourgades où l'on prend encore le temps de vivre, où l'insouciance n'a pas encore été chassée par le tout béton et la frénésie. Du Rock propice à s'épanouir dans les petites villes tranquilles du Midwest ? 😁 Ou plus bas, plus proche des bayous. Car il est indéniable que l'écoute d'Handsome Jack fait rejaillir le souvenir de Creedence Clearwater Revival, - y-compris une bonne partie de la discographie de John Fogerty. Le trio reprend d'ailleurs parfois, juste pour le plaisir, des titres de Creedence. Il paraît être alors le meilleur des tribute-bands - en tout cas le plus crédible. Le style et la tonalité du chant de Jamison contribuant principalement à cette lourde affiliation. Son approche de la guitare y participe aussi quelque peu, bien qu'il affectionne ici les traits de bottleneck grippé et que les lampes de son ampli paraissent à bout de souffle, prêtes à rendre l'âme. Et puis le trio semble se complaire dans un son low-fi. Une production plutôt fruste, encouragée par du matériel vintage et un peu cheap - basse Danelectro, ampli Kustom et guitare Teisco sans âge (une planche autant chargée de gros boutons qu'un adolescent en pleine puberté) [1] - et un enregistrement qui respire la prise live. On est projeté dans la grange réaménagée pour l'occasion en salle de concert. On sentirait presque la poussière de paille soulevée par les vibrations de la rythmique et le souffle des baffles. Les baffles justement, celles de la gratte de Jamison, semblent bien fatiguées, bavant parfois facilement - comme une fuzz naturelle - dès que les accords sont brutalisés. Proche d'un son de carburateur flingué. Et pourtant ça sonne, ça vrombit, ça roucoule, ça jaillit telle une source de jouvence. Et on se demande si une rutilante production chromée n'aurait pas fait perdre ce charme si saisissant.
Si les trois premières pièces confirment bien leur réputation de reprise de flambeau de Creedence, sans jamais pour autant ne serait que frôler le plagiat, dès "Shoulder to Lear On", leur fort sympathique Swamp-rock se retrouve bien arrosé de Soul. Celle des sixties, enfant immaculé des studios Stax et du Muscle Shoals (là où justement, la troupe a débarqué pour y creuser le sillon de leur dernier opus). Orientation renforcée par l'apport bienvenu de cuivres. La participation succincte des cuivres non seulement n'entame en rien la couleur "garage / live", mais donne en plus du corps et renforce une saine et vivifiante tonalité festive. Le morceau représentant le mieux cette orientation doit probablement être le guilleret "Roll It" qui, humblement, offre un grand moment de Soul millésimée.
"Old Familiar Places" s'en démarque, et tente, dans un élan plein de ferveur, d'atteindre des cieux où l'on tutoie les étoiles en élevant une forme de Soul-rock
D'autre part, "Hard Luck Karma" qui débute pourtant dans une bulle typiquement Creedence, s'épanouit dans une Brit-Pop rappelant les bons moments de Supergrass, notamment avec une jovialité innée et contagieuse.
Moins direct, moins catchy que son prédécesseur, ce "Get Humble" n'en est pas moins un très très bon disque de Rock américain. Un album sorti pertinemment au début de l'hiver dernier, afin d'adoucir les rudesses de l'hiver et éviter de grossir les factures de chauffage. Sur onze morceaux, seul "New Home in the Sky" avec son air de Country-rock pataud, presque caricatural, peut s'inscrire en maillon faible. Voire, en étant critique, le funk-rock de bûcheron "Let Me Know". Le reste, naturellement, pourrait prétendre à accéder à l'étiquette de classique - tellement galvaudée par les commerciaux et autres escrocs -. Ce n'est pas sans raison qu'un gars tel que Chris Robinson vante les mérites de ce trio.
[1] Apparemment, Jamison Passuite a récemment succombé à l'attrait du luxe en s'offrant une Gibson LesPaul noire. Toutefois, il n'a pas remisé au placard sa vieille Teisco SS-4L des années soixante.
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