J’avais déjà évoqué l’écrivain Philip K. Dick en vous
parlant de UBIK un des romans les plus célèbres et significatifs du
monsieur. Mais il y en a un autre : LE MAITRE DU HAUT CHÂTEAU, qui est son
premier grand succès, paru en 1962. C’est une uchronie. Non, Sonia, une
uchronie n’est pas une infection urinaire, mais un récit d’anticipation qui
prend pour principe : et si ça n’avait pas existé, et si ça avait été
autrement, bref, changeons le passé pour imaginer l’avenir.
Beaucoup de bouquins ou de films utilisent cette base
narrative, on pourrait citer FATHERLAND de Robert Harris pour rester dans la thématique : et si l’Allemagne nazie avait gagné la
guerre ?
Collégiens collégiennes, lycéennes lycéens, ne lisez pas ce qui va
suivre (dans l'hypothèse où un lycéen sache lire autre chose que la notice de son portable, et vlan, c'est pour fêter la prochaine rentrée des classes...) : le président américain Franklin D. Roosevelt a été assassiné en
1933 ! Les États Unis s’enfoncent
dans la crise économique ; en 1941 les avions japonais déciment la flotte US ; en
Europe l’armée du Reich est vainqueur à Stalingrad et les alliés ne débarquent
pas en Normandie. Puisque je vous l’dis. Les États Unis sont envahis et occupés,
la côte Est sous domination allemande, la côté Ouest sous le joug nippon (et je
rappelle que la Chine se soulève à la vue des nippons).
Voilà le contexte de ce livre. La description de cette
nouvelle organisation mondiale et particulièrement de la société américaine font
froid dans le dos. Philip K. Dick restitue très bien les nouveaux enjeux économiques, les nouvelles classes sociales, les dominants, les dominés, et la
nouvelle philosophie de vie tirée du Yi-King, le Livre des Mutations, un oracle
qui désormais fait office de guide spirituel. Exit la Bible et les dollars !
L’action se déroule à San Francisco, au début
des années 60. On va suivre plusieurs personnages, plusieurs histoires, le point
commun entre elles étant Robert Chidan, qui tient une boutique d’objets de
collection, spécialisée dans l’art américain, comme par exemple les colts de
cowboys ou des montres Mickey, un art ancestral très prisé des occupants japonais,
dont l’entrepreneur Monsieur Tagomi (qui
va rencontrer un émissaire nazi sous couverture de colporteur suédois), ou le
couple Karousa.
Il y a aussi Franck Frink, qui cache sa judéité, ouvrier fraiseur
licencié de son usine, qui va monter une affaire de fabrication de bijoux, objets
d’art qu’il proposera à Robert Chilan de distribuer. Il est divorcé de Juliana
Frink, femme séduisante qui rencontre dans un bar un routier d’origine
italienne : Joe. Qui va se révéler être au service du Reich pour démasquer
un écrivain en vogue, qui a publié « Le Poids de la sauterelle », un
bouquin clandestin qui fait fureur, imaginant un monde où les alliés auraient
gagné face aux Nazis. Une uchronie dans l’uchronie ! Mise en abîme du récit, typique de l’esprit
torturé de Philip K. Dick, esprit surtout sous emprise du LSD, le gars ne
biberonnait pas à la camomille.
Les personnages comme Frink et sa femme, Chidan, sont de petites gens rongées par le système qui souhaitent accéder à meilleure fortune. Tagomi et les Karousa semblent à l'inverse tendre à davantage d'authenticité. Chaque chapitre du livre est le point de vue de ces protagonistes, l'auteur leur donne autant d'importance quelque soit leur statut social. Le roman tourne autour du thème du vrai et du faux. Les antiquités vendues par Chidan sont-elles authentiques ? L'auteur de « Le Poids de la sauterelle » existe-il vraiment ? Qui est vraiment ce Joe et quelle est sa réelle mission ? Quelle est le véritable motif de la visite de l'émissaire nazi à Tagomi ?...
On peut mettre au crédit de l'auteur sa formidable imagination, son sens de l’anticipation, cette manière
de guider le lecteur sur des pistes souvent trompeuses, une construction d'intrigues très intellectuelle. On s’y perd, et c’est
fait exprès. Le roman tient-il ses promesses jusqu’au bout ? Je n’en suis
pas certain. Philip K. Dick réussit de très bonnes séquences, mais indépendamment
les unes des autres. Le parti-pris qui consiste à relier les personnages entre
eux mais sans jamais qu’ils ne se rencontrent, finit par frustrer. Un je ne sais
quoi d’inabouti, comme si K. Dick se refusait à écrire un roman d’action, de suspens, qu'il voulait s'élever au dessus de ces règles.
Le livre souffre aussi de longueurs, comme
ces innombrables références au livre du Yi-King, un concept abscons, ou les atermoiements de Tagomi. La fin
dont on espère beaucoup déroute, laisse une porte ouverte, cette édition propose d'ailleurs les deux
premiers chapitres de la suite imaginée par le romancier, dont il abandonnera
finalement la rédaction.
J'ai trouvé cette nouvelle traduction française assez faiblarde, souvent maladroite, qui n'arrange pas les choses.
Les adeptes de Philip K. Dick mettent parfois en avant ses
nouvelles, davantage que ses romans. Comme
si l’auteur ne tenait pas la distance. C’est un peu le sentiment que j’ai eu en
lisant LE MAITRE DU HAUT CHÂTEAU, un point de départ épatant, des personnages attachants et complexes qu’on aime à voir progresser, mais un manque de lien, et de rythme, pour
que la mayonnaise prenne vraiment.
PS : images extraites de la série TV adaptée, produite par Ridley Scott.
Editions "J'ai lu", 338 pages + annexes.
C'est un peu sévère, non ?
RépondreSupprimerMais il est vrai qu'il y a quelques menues longueurs et que l'on aurait aimé que K. Dick aille plus loin. Ou mette les points sur les "i". Probablement qu'il attend du lecteur qu'il fasse simplement sa propre conclusion. Alors que de nos jours, tout est pré-mâché. En conséquence, on fait moins appel à notre imagination, notre esprit de déduction, notre intellect.
Quoi qu'il en soit, c'est un livre à lire. Du très bon K. Dick.
RépondreSupprimerEt, sans vouloir trop en dévoilé, il est assez amusant de constater la différence de "vision" entre le livre (donc P.K. Dick) et la série télé lorsqu'un des personnages a une vision du futur (soit le présent de K. Dick, au moment où il écrit sa nouvelle).
Chez K. Dick, c'est une vision d'une Amérique sale, souillée, bruyante, qui remplit d'effroi le témoin. Dans la sérié, au contraire, les immenses panneaux publicitaires sont autant de couleurs chatoyantes et ravissantes, et le brouhaha ambiant pareille à des sons célestes. On nage dans le bonheur ... A croire que l'on a glissé une propagande de la société de consommation, avec que c'était plutôt une vision cauchemardesque pour l'auteur.
Ubik, bien que très alambiqué, m'avait épaté. Celui-ci, sas doute un peu trop sur-vendu, m'a un peu laissé sur ma fin, mais comme tu le dis, c'est à lire, un grand livre. pas vu la série.
RépondreSupprimerLa série est à voir, bien qu'elle se soit accordée quelques libertés.
SupprimerDont un changement sournois de la présentation de la société Japonaise. Alors que K. Dick l'a présente comme une société raffinée et assez équilibrée, forgée par des siècles de civilisation, et où la délinquance est rare, - même si le choc des cultures peut se révéler éprouvant -, la série l'a décrie comme une société orwellienne, sombre et terne, flétrie par une autorité aliénant autant la population que les dirigeants.