jeudi 27 août 2020

KING CRIMSON "In The Court Of The Crimson King" (1969) par Benjamin

 

 

Après avoir suivi des cours de guitare auprès d’un musicien de Jazz, Robert Fripp n’est toujours pas attiré par un style en particulier. Certes, il aurait pu poursuivre dans la voie académique qui lui aurait offert la sécurité d’un travail rémunéré, mais l’époque ne se prêtait pas à ce genre de pantouflages. Il ne suivra pas non plus le chemin du Blues Rock qui fascine toute une génération à travers le doigté inimitable de Mick Bloomfield. Du coup l’homme tâtonne, passant dans plusieurs groupes éphémères, développant des harmonies vocales dans la lignée des Beatles.

A l’époque, Fripp ne joue de la musique que pour arrondir ses fins de mois et payer des études qu’il effectue sous la pression de ses parents. Les choses sérieuses commencent lorsqu’il atteint l’âge de la majorité et répond à une annonce des frères Michael et Peter Giles. Le groupe ne décollera jamais mais il permet à Fripp d’apparaitre sur deux albums. Le premier, sorte de Pop excentrique, ne satisfera que les collectionneurs les plus maniaques. Sorti en 1968, The Cheerfull Insanity Of Giles, Giles and Fripp commence à témoigner d’une ouverture musicale intéressante, même si le groupe semble jouer avec ses différentes influences, sans réussir à les maitriser. Bien sûr, à une époque où des groupes comme les Kinks ou les Beatles font preuve d’une inventivité aussi grandiose que débordante, le groupe est vite largué par sa maison de disque.
 
Qu’importe, Robert Fripp commence à avoir une idée de la musique qu’il souhaite produire, et il retrouve rapidement Greg Lake pour former la première monture de KING CRIMSON. Rencontré lors de ses études, Lake remplace un Peter Giles dégouté par la déconfiture précoce du précédent groupe. Déjà présent lors des séances d’enregistrement de Giles , Giles and Fripp, Ian McDonald intègre le groupe lorsqu’il a la bonne idée de s’équiper d’un Mellotron.

Permettant de concevoir des arrangements symphoniques sans recourir à un orchestre, ce bijou de technologie est un outil essentiel pour concevoir la musique hybride imaginée par le groupe. Bien aidé par le soutien financier d’un mécène déniché par McDonald, KING CRIMSON passe des heures à répéter afin de trouver son identité dans ses longs instrumentaux. Une fois parvenu à une symbiose parfaite, le groupe invite ses amis à assister à ses répétitions. Les premiers spectateurs, subjugués par ce qu’ils entendent, répandent rapidement la nouvelle aux quatre coins de la ville et la rumeur parvient aux oreilles du producteurs des Moody Blues.

Celui-ci cherche un groupe pour assurer la première partie de ses poulains qui refuseront finalement de les engager de peur de ce faire voler la vedette. Peu importe, le bouche à oreille permet au groupe de faire partie des coqueluches de l’Underground Anglais, et les Stones, eux n'hésitent pas à les engager pour assurer la première partie de leur concert à Hyde Park (photo ci-contre, Fripp à Hyde Park).

Organisé en hommage à Brian Jones, mort noyé dans sa piscine, l’événement accueille un demi million de personnes. Loin d’être intimidé par cette foule, KING CRIMSON livre un set d’une intensité remarquable qui s’achève sur une ovation générale. Ce soir-là, le groupe a aussi joué une première version de "In The Court Of The Crimson King", le titre contenant la formule qui mènera à l’enregistrement d’un premier disque historique.

Avec le recul, Fripp admet ne pas être totalement responsable de la grandeur de ses premières heures. Selon lui, la musique jouée à cette époque était le résultat inexplicable de l’union de cinq musiciens touchés par la grâce. Pire, "In The Court Of The Crimson King" représenterait la fin d’un cycle ayant déjà atteint son apogée lors des concerts précédents. De même, Fripp refusera toujours l’étiquette Rock Progressif qui lui sera collé après que sa musique ait donné naissance à une série de formations élitistes.

On lui accordera que les textes de "In The Court Of The Crimson King", dépeignant une société paranoïaque, aliénée par ses dirigeants et angoissée par la menace d’une nouvelle guerre mondiale, tranche avec l’optimisme ambiant. On est bien loin des hymnes à l’amour du Flower Power et contrairement à ses descendants KING CRIMSON base son œuvre sur une lucidité sombre. Cette cour du roi cramoisi, c’est le monde dans lequel les vietnamiens sont brulés au Napalm par des jeunes embarqués dans une guerre inutile, un monde occidental décadent, dont le destin est confié à des fous.

Dans ce contexte, la mélodie cotonneuse de "Epitaph" ne peut que retranscrire la tristesse angoissée d’une génération qui sent que ce jeu sinistre va mal se terminer. Et, musicalement, le groupe célèbre ce déclin en grande pompe, ouvrant le bal sur le riff rageur de "21st Century Schizoid Man", un Free Jazz destructeurs et psychotique balancé comme un cri d’alerte.                                                            

"I Talk To The Wind" exprime le sentiment d’aliénation d’une partie de la jeunesse, soumise à une hiérarchie qu’elle considère comme illégitime. Le patron n’est pas un sur-homme mais un individu placé là après avoir montré la ferveur de sa soumission et légitimé par une routine qui ne peut être considérée comme glorieuse que par un individu façonné dans un moule sordide, auquel s’oppose une jeunesse représentée par un "Late man". Entre le conformisme des premiers et la révolte hystérique des seconds, la confrontation ne peut que mener à un dialogue de sourds. Voila le constat réjouissant que pose le titre sur fond de Jazz Symphonique déchirant.

Dans ce contexte, "Moonchild" pourrait apparaitre comme une berceuse apaisante, un appel à la rêverie pour fuir ce monde de fous. Mais, entre cette voie vaporeuse et la mélodie symphonique larmoyante, le titre fait plutôt penser à la plainte d’un homme qui a perdu le dernier don in-confiscable par ce monde d’oppression : la raison. "Epitaph" clôt le récital sur un constat sans appel : « j’ai bien peur de devoir encore pleurer demain...».  

La symphonie se referme dans les oreilles du premier auditeur et, dans les jours suivants, le rêve hippie est massacré par la sauvagerie de la Manson Family et définitivement enterré à Altamont. Alors cette jeunesse se remit à écouter cet album prophétique et Pete Townshend salua l’album par ces mots : « Un troublant chef d’œuvre ».

 

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On reste dans les schizoïdes, demain, avec un roman de Philip K. Dick...
 
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On écoute deux versions de "21st Century Schizoid Man", en 69 à Hyde Park (historique !) et en 2015 au Japon (oui vous ne rêvez pas, trois batteurs à l'avant scène !).

 
 

14 commentaires:

  1. Album mythique. Un des premiers albums du rock-prog. Rien à jeter même 51 ans plus tard !

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  2. J'ai cauchemardé sur cette pochette quand j'étais gamin, posée parmi les 33 tours des frangines, je n'osais même pas l'écouter !

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  3. Pauvre petit bonhomme ! Il avait peur du méchant roi ......Fallait pas , il est gentil comme tout! Blague à part , bien que peu fan du prog , je considère ce disque comme un véritable monument et comme le dit Pat Slade rien à jeter!

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  4. La pochette de Queen "News of the world" avec le robot qui massacre le groupe, m'avait aussi marquée. J'suis une p'tite nature !

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  5. J'espère pour toi que tes frangines n'avaient pas de disques du Grateful Dead ! avec toutes ces têtes de mort qu'ils foutaient partout , t'aurais pissé dans ton froc!!!!!

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  6. Nan ! Mais tout de même, on ne dira jamais assez l'impact d'une pochette sur le public ! Celle de "Machine head" avec ces têtes comme coulées dans le métal m'avait épatée. Et la musique qui allait avec encore plus ! OU celle de "Recorded live" de Ten Years After, une photo d'un magnéto, je trouvais ça bizarre, cheap, pas sexy, cela attisait la curiosité, où la pochette du 45 tours de "Angie" des Stones ! Là je cause de quand j'avais 6 ou 7 ans, on est impressionnable !

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  7. La pochette intérieure de "News of the World" avait quelque chose d'inquiétant.

    Quant à celle de ce "In the Court of King Crimson", elle a aussi eu un fort impact sur le jeune Stephen King, qui en un lieu et un personnage énigmatique de son roman fleuve "La Tour Sombre".

    (par ailleurs, complètement massacré par Hollywood qui en a fait un film ridicule, sans queue ni tête - dire qu'il y a eu des procès pour moins que ça -)

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  8. Prochainement, en exclusivité sur Le Deblocnot', chaîne de culture générale préconisée par toutes les facs de France et de Navarre, "Les pochettes qui filent les j'tons !!".

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  9. Ah ouais, bonne idée ! Mais au premier degré, car au second, il y en a pléthore ! La production heavy-glam des 80's a eu son lot de pochettes à vomir ! Dans un autre registre, celles de Iron Maiden avec leur personnage fétiche (il a un nom ?) étaient censées heurter la ménagère de moins de 50 ans, mais c'était plus rigolo qu'effrayant.

    Et les pochettes sexy ? Y'aurait pas une suite de prévue ?

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  10. Eddy, pour la mascotte de Steve Harris et ses potos.
    Une réussite qui engendra une série de navrants ersatz.

    Effectivement, les années 80 ont fait fort dans le genre pochettes rebutantes ou ridicules. De véritables refouloirs.
    (dire qu'il y a eu des procès pour moins que ça)

    On y pense ...

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  11. Du prog? Pour moi le prog c'est fait par des ziquos de jazz frustrés mais malins, incapables de pondre une mélodie car trop occupés par se pignoler sur leur dissonance. Que celui qui trouve pas mélodieux I Talk To Thé Wind aille se faire un twist...

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  12. "se pignoler sur leur dissonance"... Ca résume assez bien les choses !

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  13. ça dépend de ce que tu appel le prog .
    Je reste très attaché au yes des début à vdgg et genesis , pour ne citer que les plus fameux.
    Sans oublier la scène de Canterbury et , plus récemment , les flower kings et Steven Wilson (même si il part un peu en couille en ce moment).
    Ce prog là représentait , d'une certaine façon , l'âge d'or d'un rock qui absorbait tout.

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    1. Génésis peut se vanter au début des années 90 m'avoir dégoûté des concerts (Stade de l'ouest, Nice, 19 juillet 92) pendant 5 mois. Heureusement, Faith No More (avec L7 en guest) passait en décembre et j'en ai profité pour me nettoyer les oreilles...

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