"Strikes" ! Voilà bien une galette qui n'usurpe pas son nom de baptême : Strikes ! En français "la frappe". Et c'est de cela qu'il s'agit. Un album coup de poing. Ou plutôt un album dangereux, mortel dès le premier coup porté. La morsure létale du serpent à sonnettes (1).
Le groupe, éreinté par des années sur la route sans récolter un succès escompté, alors que de vieux camarades jouent désormais dans des stades, joue son va-tout avec cet album
R. Medlocke 1974 |
C'est avec le charismatique leader Rickey Medlocke, né le 17 février 1950 à Jacksonville, que la première graine est plantée. Cet olibrius au port altier et fier, qui porte en lui du sang Cherokee et Sioux, baigne très tôt dans la musique, grâce à certains de sa famille qui pratiquent un instrument. Notamment le grand-père, Paul Robert "Shorty" Medlock, figure locale, joueur de Bluesgrass et de Delta Blues, maîtrisant le banjo, la guitare et l'harmonica. Grâce à son grand-père, il apprend dès ses trois ans quelques rudiments du banjo dont le manche fin permet l'accessibilité à des mains de bambin.
A la découverte du Rock, via Elvis Presley, puis par l'invasion Anglaise (dont Clapton qui a marqué de son empreinte nombre de guitaristes sudistes de sa génération), il monte ou intègre divers combos de reprises, de Blues de Rock'n'Roll et de Rhythm'n'blues. Alternant les instruments suivant les places à pourvoir. Batteur, guitariste, bassiste et chanteur. Un bon parcours qui participe à son tempérament de leader.
Un premier embryon apparaît en 1969, lorsque Medlocke convainc un ami d'enfance, le bassiste Greg T. Walker, un Creek Muskogee (l'un des cinq peuples civilisés pour les Amérindiens), de fonder avec lui un groupe. Ils dénichent le Yonkers Charlie Hargrett, un guitariste d'origine 100 % colon, et le batteur Jakson Spires, un métis, mi-Cherookee mi-Cheyenne. Puis un pianiste du nom de Dewitt Gibbs. Après deux changement de patronyme, le quatuor opte pour le nom d'une tribu d'Amérindiens : Blackfoot.
Un choix assez étonnant sachant qu'aucun des musiciens n'est issu de ce peuple. De plus, cette nation, qui occupait un vaste territoire couvrant une partie du Montana pour s'étendre jusqu'aux Grandes Plaines et l'Alberta du (K)Canada, n'a jamais mis un pied en Floride. Mais peut-être qu'il faudrait y voir une allusion à la Blackfoot Confederacy qui alliait trois nations d'amérindiens (2) ; ou alors, indirectement, à Niitsitapi, nom amérindien sous lequel cette confédération se désignait, signifiant "le peuple originel", pour se différencier de ces nouveaux peuples colonisateurs.
La troupe s'expatrie à New-York, puis dans le New-Jersey, à l'assaut des bars et des clubs des deux états, jusqu'à ce que le découragement la gagne. Dépité, tout le monde rentre au bercail.
Par l'intermédiaire de son ami Allen Collins, Medlocke rejoint Lynyrd Skynyrd avec Greg Walker. On les retrouve tous deux sur les premières sessions du Muscle Shoals, exhumées plus tard, une fois le succès de la bande à Van Zant assis, sur "Lynyrd Skynyrd's First ... And Last". Medlocke à la batterie et aux chœurs, à la mandoline sur une chanson, et au chant sur quatre qu'il a composées et écrites. Il en co-signe aussi deux autres.
Cependant, préférant occuper le devant de la scène - et s'estimant aussi un batteur plutôt moyen - en 1972 (ou courant 1973 suivant les versions) il quitte son poste et reforme Blackfoot. Walker reste encore quelques mois avec Lynyrd avant de retrouver Blackfoot.
Mais les temps sont durs. Bien qu'ils n'aient pas de mal à enregistrer suffisamment de chansons pour un album, grâce à Jimmy Johnson (le producteur du Muscle Shoals) qui apprécie les deux anciens de Lynyrd, ils leur faut patienter jusqu'en 1975 pour que ces bandes soient commercialisées. C'est la boîte Antille (une division d'Island) qui a daigné répondre favorablement à leur requête. Cependant, ce label, bien plus concerné par le Jazz, lâche la galette sans s'embarrasser d'une quelconque promotion ni d'une distribution sérieuse. Du gâchis car, sans casser la baraque et sans rivaliser avec les potes de Lynyrd, "No Reservations" présente un lot de très bonnes chansons. La première face est même plutôt savoureuse. Il n'aurait en fait manqué qu'une production un poil plus claquante ou mordante. Il en est à peu près de même avec le suivant "Flyin' High" (sur Epic).
Pour avoir de quoi remplir son assiette, la troupe doit se résoudre à faire le backing band pour Ruby Starr. La rousse extravertie - aux shorts et tee-shirts moulants, réduits au strict minimum - qui s'est fait connaître en dialoguant avec Jim Dandy Mangrum au sein de Black Oak Arkansas.
Le salut vient d'Al Nalli, le manager de Bronwsville Station, qui s'est entiché du groupe et revient plusieurs fois à la charge jusqu'à ce que le groupe, méfiant, accepte ses services. Nalli parvient à obtenir un contrat intéressant avec Atco (division d'Atlantic) et embarque la formation pour enregistrer dans son fief, à Ann Arbor (proche de Detroit), dans son propre studio. Le Subterranean Studio. Il se fait seconder par Henry "H-Bomb" Wreck, le batteur de Brownsville Station (groupe phare d'Ann Arbor, qui vient de prendre sa retraite).
Dorénavant, le son de ces Pieds-noirs a pris du poids ; il est aussi brut et épais sur scène que sur disque. Ce qui l'amène à être désormais plus en accord avec les hordes de fans de Heavy-rock charnu, qu'avec ceux du Charlie Daniels Band ou de l'Atlanta Rhythm Section. Medlocke a pris aussi de l'assurance, se lâchant et chantant avec une rafraîchissante sauvagerie, une vivacité e conquérant. Ainsi, Blackfoot ouvre grand une porte dans laquelle une nouvelle frange du Southern-rock va s'engouffrer. Au grand dam des esthètes du genre qui considèrent cette horde de sauvages comme des opportunistes cherchant les faveurs d'un nouveau public (plus facile à satisfaire du moment que c'est assourdissant).
Pourtant, d'autres avaient déjà franchi le pas - ou succombé à la tentation - ; notamment Point Blank (4) qui semble avoir eu une certaine influence sur la tribu. Et puis, depuis quelques temps, certains groupes du genre n'hésitaient pas en concert à fouler du pied des terres façonnées par des hordes d'adeptes de son lourd et saturé. Certains enregistrements pouvant d'ailleurs en témoigner.
Il est probable aussi que le son brut de décoffrage des premiers ZZ-Top ait eu un impact notable.
G à D : Medlocke, Spires, Hargrett & Walker |
Finalement donc, rien de particulièrement innovant à l'exception peut-être d'une relative lourdeur héritée de formations Anglaises. Car Medlocke est un grand fan de Free- il estime que Paul Rodgers est l'un des plus grands chanteurs (5) -. Tandis que Charlie Hargrett, lui, vénère Paul Kossof. D'où la reprise de "Wishing Well". Alors que la formation est plutôt avare en matière de reprise, cet album en recèle trois sur dix pièces. La seconde, "I Got a Line on You", est un autre hommage. En l'occurrence à Spirit - et en particulier à Randy California - qui avait déjà marqué de son sceau la formation qui avait choisi comme premier patronyme "Fresh Garbage", autre chanson du groupe d'Ed Cassidy. Cette version est affublée d'un alliage coriace et d'un soupçon de résonances tribales qui ont eu raison du lustrage pop original.
Et pour finir, le solide "Pay My Dues" de The Blues Image (6). D'après Medlocke, le groupe l'avait joué en studio afin de donner de la matière à Henry Wreck afin qu'il peaufine des réglages. Ce dernier, enthousiasmé par cette chanson qu'il ne connaissait pas, insiste pour l'intégrer à l'album. On remarquera que l'album et le simple (la face B) contenant cette chanson, étaient sur le label Atco. Curieusement, bien que datant de 1970, cette chanson préfigure en bien des points la personnalité de Blackfoot.
Des reprises bien probablement intégrées dans l'espoir de recueillir un minimum d'intérêt (et ils ne vont pas être déçus). Sinon - ces trois reprises y-compris, s'insérant d'ailleurs quasi-parfaitement au répertoire - l'album ne recèle que du bon, de l'épatant et/ou du remarquable.
En s'ouvrant sur un vindicatif "Road Fever", ode aux nouveaux guerriers de la route, ces musiciens accrocs à la scène et aux tournées, Blackfoot annonce la couleur : ça va saigner. Non pas dans le sens des amplis à donf (quoique) mais, terriblement déçue par les ventes du précédent essai, la troupe revient avec la rage au ventre, et met toute son énergie dans cet album, comme une dernière charge héroïque.
Une rage largement dispensée à travers le fantastique "Train Train", piqué à Grand Pa' Medlocke qui l'avait enregistré vers la fin des années 30 (dans un version nettement plus Delta blues, évidemment). Ce Grand Pa' invité à faire la passation avec son harmonica en prélude. Cub Koda (7) prend la relève au ruine-babine et le morceau s'envole, partant dans une course sauvage et incoercible, générant à sa suite des images de westerns (entre Sergio Leone et Arthur Penn) du temps où la locomotive était pour les uns un refuge mobile préservant des mondes sauvages qu'elle traversait, et pour les autres la souillure violente d'un monde vierge par l'industrie.
Une rage plus contenue sur "Baby Blue", qui n'aurait pu être qu'un simple et efficient Heavy-rock - trademark Nugent - arrosé de Southern (inflammable), si des chœurs de damoiselles en pâmoison n'en tempéraient les (h)ardeurs. Par contre, elle est plus sournoise sur le morceau le plus modéré, "Run and Hide", un tantinet radiophonique et accablé, qui est un exutoire au divorce pénible et minant de Medlocke. Plus en phase avec la tradition sudiste, "Left Turn on a Red Light" est une sorte de ballade moderato Country-rock passée par les fonderies Doe Run Resources d'Herculaneum, pour en ressortir parée d'une croûte de plomb. Un des préférés de Medlocke, qui ne comprit et ne digéra jamais, le refus de la compagnie de le sortir en simple.
Pour finir, le classique "Highway Song", généralement considéré comme le "Free Bird" du groupe, en raison évidente de sa structure en deux parties ; la première, ballade désabusée et crépusculaire - à la mode sudiste -, et la seconde éperonnée par des guitares enthousiastes et fiévreuses qui l'amènent progressivement vers un paroxysme de joutes guitaristiques.
Une chanson écrite en pensant aux amis disparus le 20 octobre 1977, dans un tristement célèbre crash d'avion.
"Strikes" est généralement reconnu comme le meilleur disque de Blackfoot. Il inaugure aussi la "trilogie animalière" - nommée ainsi parce qu'un animal orne chacune des pochettes - considérée comme l'âge d'or de cette tribu de guerriers électriques. Un âge clôturé avec maestria trois ans plus tard, par un live incandescent : "Higway Song Live".
Par la suite, de même que pour la majorité des groupes de Southern-rock, la maison de disque va faire pression pour que le groupe mette de l'eau dans son vin (ou son bourbon) et épouse la cause d'un Rock FM, radiophonique. Une alliance contre-nature qui va en ruiner plus d'un.
(2) Avec la création de la frontière entre les Etats-Unis et le Canada, ces nations durent se scinder en plusieurs tribus. Le terme Blackfoot, ou "pieds-noirs", vient de la nation Siksikas qui occupait les territoires les plus au Nord.
(3) Avant ou après que sa sœur, Reen Nalli, ne soit promulguée vice-présidente de la compagnie ?
(4) Ces Texans, profitant de l'intégration d'un clavier, iront jusqu'à reprendre magistralement "Highway Star" que l'on retrouve sur la face live - bien meilleure que celle en studio - de "The Hard Way".
(5) Tous deux se lieront d'amitié.
(6) Groupe intéressant mais oublié, également originaire de Floride (Tampa). Un groupe assez éclectique naviguant en Hard-blues et Latin-rock, avec Mike Pinera - l'auteur de "Pay My Dues" - (futur Iron Butterfly, Tamatam, New Cactus, Alice Cooper) et Joe Lala.
(7) Comparse d'Henry Wreck au sein de Brownsville Station, dont il fut le guitariste et chanteur. Après la dissolution du groupe, Cub Koda continue en recrutant une formation déjà en place pour en faire son propre backing band (Cub Koda & The Points). Parallèlement, il sort du frigo les Houserockers de Hound Dog Taylor (Ted Harvey et Brewer Phillips), tourne avec eux, et sort deux disques en quinze ans (en 1981 et en 1996). Il s’attelle aussi à la production, et fait le pigiste en tant que journaliste rock. On retrouve d'ailleurs parfois sa plume sur les notes de bien des rééditions des années 90 (avant son décès survenu le 1er juillet 2000, alors qu'il était en pleine promotion d'un nouvel album).
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Autres articles :
➳ Blackfoot : The Story (part one) ➳ Blackfoot : The Story (part two)
Hello tout le monde !!! tous les fidèles lecteurs du Déblocnot' sont ils en réanimation ?
RépondreSupprimerDernier article sur Blackfoot : 35 commentaires !!!!
Celui-ci....aucun commentaire !!!
En cette période compliquée, restez chez vous, mais venez nous rendre visite sur le Déblocnot' !!!!
Pas de panique Philou , les fidèles sont toujours là et rendent visite quotidiennement au blog ! Le Covid n'ayant pas encore trouvé mon repaire au fond du Lot ! Pas de doryphores sur les patates , pas de pyrale du buis , pas de frelons asiatiques et pas de voisins donc pas calamités .....faut bien qu'il y ait des avantages à vivre en ermite ! Je reviens de suite pour quelques réflexions sur ce Blackfoot et le Outlaws précédemment chroniqué .
RépondreSupprimerah, content d'avoir de tes nouvelles JP....see you soon...
RépondreSupprimerJe croyais Philou retiré dans un quelconque paradis fiscal , profitant de sa fortune amassée pendant ses années de service au Debloc.......mais non ! Bon pour en venir à ce "Strikin" , excellent Blacfoot mais je lui préfère "Tomcattin'"" si on se limite à la trilogie , le reste étant de toutes façons nettement inférieur à mon sens. La reprise du titre de Spirit me semble hors propos et surtout elle ne parvient pas à nous faire oublier la version originale , pur chef d'oeuvre du California Sound ! Ton post m'a fait ressortir cette trilogie animalière que je me réécoute aujourd'hui . Les deux premiers titres de "Tomcattin'" "Warped" et" on the run" une vraie tuerie !!
RépondreSupprimerHello JP....Remercie plutôt ce cher Bruno pour cette excellente chronique qui t'aura permis de ressortir tes albums de Blackfoot.
RépondreSupprimerEt non, pas d'exil fiscal, je me confine comme tout le monde en attendant des jours meilleurs.
Keep on rockin' my friend...