vendredi 27 septembre 2019

THE GREEN INFERNO (2013) de Eli Roth, et autres histoires de cannibales, par Luc B.


- Vous l’aimez comment votre chronique ?
- Bien saignante…
- Alors, à table !

Cannibal Ferox
Bruno nous a entretenu il y a peu des zombies, clic vers Zombies Attack . Au menu du jour : les cannibales. Je préviens notre aimable clientèle qu’on va forcément parler de trucs un tantinet dégueulasses, même si l'iconographie reste soft... Donc âmes sensibles (et végans) passez votre chemin, revenez pour la prochaine chronique de Rockin’ consacrée à la fabrication au XVIIIè siècle des petits napperons de coton brodé sur lesquels on posait son bol de cidre.  
Dans les films gore, il y a en gros trois catégories, les sociopathes armés ou non de tronçonneuses, les zombies et les films cannibales. Bon, je vous accorde que les zombies ont tendance à travailler avec les crocs, eux aussi, mais c'est pas pareil. Le zombie est un mort vivant naturellement agressif et belliqueux (de poisson) qui fait partie intégrante de la société. Une morsure et vous devenez zombie, condamné à errer entre deux mondes. Le cannibale, lui, vit dans des contrées lointaines, reclus, loin de la civilisation occidentale, qui améliore son ordinaire en croquant des proies imprudentes venues lui chercher des noises sur son territoire. 

Le genre apparait vraiment à la fin des 70’s, en Italie. Ruggero Deodatto sort LE DERNIER MONDE CANNIBALE en 1977, mais c’est deux ans plus tard qu’il se fait un nom avec CANNIBAL HOLOCAUST, le maitre étalon du genre. Le style documentaire, caméra 16 mn à l’épaule, et l’idée même du scénario - des reporters retrouvent les bobines de reportage de documentaristes disparus - renforcent la pseudo véracité de la chose. La caméra est tellement secouée dans tous les sens et les plans flous la plupart du temps, que le spectateur croit à ce qu'on lui montre. Le succès du film tient à cette rumeur savamment entretenue, de ce qu'on appellera le snuff-movie. Tout est vrai. A tel point que ça se finit au tribunal...  
Emanuelle avec un 'm'
Accusé d’avoir réellement trucidé ses acteurs, Ruggero Deodatto est sommé de prouver à un juge que ses interprètes sont toujours en vie, en les faisant défiler comme témoins, et de diffuser les rushes de son film pour montrer les effets spéciaux ! Sauf que des trucages, y’en a pas tout le temps. Plusieurs animaux vivants ont été réellement charcutés et massacrés (ignoble scène de la tortue). Le but de ces films ? Choquer au maximum. Au programme, démembrements, amputations diverses et (a)variées, empalement (je ne vous dis pas dans quel orifice on enfonce le pieu et où il ressort…) castrations, viols, car une des constances du film de cannibales tient aussi dans les scènes de tortures, de supplices sexuels, histoire d'assouvir un peu plus les penchants pervers des spectateurs avides de sensations.
La preuve avec EMANUELLE ET LES DERNIERS CANNIBALES (1977, Emanuelle avec un seul « m » pour la différencier de celle jouée par Sylvia Kristel) réalisé par le multi-cartes Joe d’Amato, avec Laura Gemser, jolie indonésienne qui avait justement débuté dans EMMANUELLE 2 (avec deux m) et devenue pour une dizaine de nanars érotiques la Black Emanuelle. D’Amato a aussi généré son petit scandale avec ANTROPOPHAGUS (1980), avec la scène du fœtus humain en guise d'antipasti, et a donné dans le porno pour payer les factures.
Le fait d’arracher des bras, des jambes, des yeux, des langues au cinéma, n’était pourtant pas une nouveauté. Dès 1963, Herschell Gordon Lewis tourne BLOOD FEAST, le premier film gore, où des jeunes femmes sont tronçonnées façon puzzle, avec hectolitres de sang bien rouge qui dégoulinent de l’écran. 2000 MANIACS et COLOR ME BLOOD RED suivront, dans une surenchère grand guignolesque, jusqu’à THE WIZARD OF GORE (1970) où un magicien choisit dans son public des volontaires pour le classique numéro de la femme-coupée, sauf qu’il les découpe vraiment !  
La recette de CANNIBAL HOLOCAUST est polycopiée par Umberto Lenzi en 1981, avec CANNIBAL FEROX. Amazonie, anthropologues, autochtones agressés et violés qui se vengent de leurs tortionnaires en les mangeant tout cru. Le film va encore plus loin dans l’horreur, climax avec le violeur puni par où il a pêché (d'où l'expression "bouffer de la bite" ?) une blondinette pendue par deux crochets lui transperçant les seins, ou un crâne découpé façon couvercle de soupière pour déguster une cervelle bien fraîche. Et encore des massacres réels d’animaux… Lenzi avait sorti l’année précédente LA SECTE DES CANNIBALES, situé en Nouvelle Guinée, dans lequel il réutilisait des plans de son AU PAYS DE L’EXORCISME (1972), labellisé premier cannibal-movie. Rien ne se perd, tout se transforme dans le garde-manger.
2000 Maniacs
Tout ça pour en venir à notre causerie au sujet de THE GREEN INFERNO.
Le réalisateur Eli Roth, qui fait aussi l’acteur, on l’a vu exploser des crânes de nazis à coups de battes de baseball dans INGLORIOUS BASTERDS, s’est fait un nom avec HOSTEL, un film d’horreur gore assez réussi, franchement malsain et vraiment dégueulasse. En 2013 il rend hommage au genre cannibale, avec un scénario calqué sur ses prédécesseurs. Le film de cannibale prenait pour prétexte putassier de dénoncer les agressions de l’homme blanc faites à la nature, à la forêt, aux tribus indigènes, aux animaux... on se pince quand on sait la teneur des tournages ! Eli Roth imagine donc un commando d’écolos venu stopper la déforestation au Pérou, en s'enchainant aux arbres pour contrer les bulldozers. Ils sont jeunes et beaux, surtout l’héroïne jouée par Lorenza Izzo, femme du réalisateur, très très jolie brune. 
Bon, j’vous la fait court, quand ils repartent leur avion s’écrase, la moitié est décimée à coups de fléchettes empoisonnées, le reste du groupe est fait prisonnier. Enfin les choses sérieuses commencent. Les indigènes, menés par une prêtresse borgne sortie du vestiaire de MAD MAX 3, vont se faire les dents sur un gros type Noir, il y a plus à manger que sur un gringalet. C’est juste immonde ! C’est là qu’on mesure le progrès des effets spéciaux au cinéma. Énucléation, démembrement, j’adore les gosses qui repartent avec un tibia, le gars finit en carpaccio, le corps secoué de spasmes, car évidemment, il n’était pas mort…
Hélas, ce sera la seule scène vraiment cannibale du film. Et trois fois hélas, y’a pas de cul. Y sont fabuleux ces américains, ils filment des horreurs, mais une paire de fesses leur fait peur. Justine (Lorenza Izzo) est sacrifiée sur l’hôtel de la vierge, nue dans certains plans, mais curieusement rhabillée d’un soutif en liane aussitôt après. Et elle retrouve même sa culotte au moment de s’enfuir. Quelle honte ! C’est à désespérer de la série Z. Pas un téton qui dépasse. Un poulet, on le déplume avant de le rôtir, non ? Ursula Andress nue, enduite de graisse dans LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE (1978) ça avait une autre gueule.

Des conneries comme ça pullulent. Y’a une fille qui s’échappe de la cage en bambous en repérant un espace dans le toit. Pourquoi n’être pas passée sur le côté, à l’arrière, pour ne pas être vue du gardien ? Elle se planque dans une pirogue. Que devient-elle ? Mystère. Roth a dû paumer quelques pages de scénario. 


Et puis y'a un autre problème. Là où les films 80's étaient tournés à l'arrache avec trois sous et un directeur photo sous LSD, vouloir un rendu hollywoodien bien léché (Eli Roth se félicite d'avoir joliment filmé les choses) n'arrange rien à l'affaire. On ne veut pas du beau, on veut du crade.
Justine va-t-elle passer à la casserole ?
Y’en a une autre qui préfère se couper la gorge avec un tesson, plutôt que d’être bouffée vivante. Intention louable. Sauf qu’elle sera becquetée quand même, et là, ses potes trouvent une idée de génie. Lui enfoncer au préalable dans l’estomac un sachet de marijuana. Et qu’est ce qui arrive à la cuisson ? Comme les bouquets garnis, ça donne du goût. V’là la tribu dans les vapes, qui fait tourner les serviettes. C'était pour faire diversion... Daniel et Justine s’échappent. 
Le chef du groupe c'est Alejandro. Un salaud qui empêche son collègue Jonah de s'enfuir. Pourquoi ? S'il reste deux plats différents au menu, le pourcentage de chance de n'être pas choisi est double ! Charmant  calcul. Il espère gagner du temps pour être sauver... Il s’imagine que Stallone et ses Expendables vont sauter d'un hélico rien que pour lui ?! J'avoue ne pas piger un tel personnage, et puis si c'est un salaud, on aurait qu'il  souffre plus que les autres, c'est même pas le cas. 

Oui je sais, je vous spoile quasiment tout le film, mais on s’en fout, c’est tellement nul ! La fin ? Comme il y a eu un n°2, vous imaginez qu’il y a eu un survivant, la belle Justine. Car le pauvre Daniel servira de dessert à des fournis grosses comme des rats. Et de retour à la civilisation, Justine (qui a failli avoir des malheurs avec sa vertu) cache aux autorités ses aventures gastronomiques, pour laisser en paix cette brave tribu de peinturlurés affamés ! Qui en plus bouffent salement, avec les doigts, et incultes avec ça, m’étonnerais qu’ils aient lu Le Banquet.
Le film d’horreur est un genre qui fait toujours recette. Slashers ou simple épouvante (l'énorme succès de CA) exorcisme and Cie, zombies, films de monstres (les requins ont toujours la côte, à une ou deux têtes) mais les films de cannibales, on en voit un peu moins. L’idée était bonne de ressusciter le genre, mais à moins de donner dans la surenchère gore et passer direct en dvd, difficile de le renouveler. Eli Roth a essayé, c’était peine perdue. Alors que Bruno Dumont dans le très rigolo MA LOUTE (2016), avait su y faire un macabre et jubilatoire détour, ou GRAVE (2016) de Julia Ducournau.
Vous reprendrez bien un orteil en sauce ? Ils sont fraichement coupés…
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Au lycée, j'ai tourné en VHS (caméra louée pour un week end) un court métrage de ce genre, avec des potes. Je me revois chez un boucher tourangeau demander des kilos d'abats, tripes et viscères au moindre coût, vous auriez-vu la tête du gars quand il a su pourquoi ! Chef d'œuvre inachevé, hélas, fautes de temps et de budget, mes parents n'ont pas su voir la fibre artistique qui germait en moi...

couleur (forcément)  - 1h40  -  scope 1 :2.35  
   

10 commentaires:

  1. Franchement, des films qui ne doivent pas coûter un bras et qui te laisse sur ta faim !

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  2. Oui, ça ne coûte pas un bras, et tu peux même les voir à l'oeil !

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  3. C'est tout de même surprenant cette précocité et ce goût des Italiens pour les films sanguinolents (Gore). Serait-ce une hérédité remontant à l'antiquité, aux jeux du cirque ?

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  4. J'me souviens bien de "Cannibal Holocaust", film de peu d'intérêt - et aux nombreuses scènes coupées par un boucher - qui avait été savamment boosté par une campagne de publicité qui l'avait fait initialement passer pour un film documentaire avec notamment quelques photos bien choisies pour agrémenter quelques articles dans divers journaux "sérieux", essayant de reconstituer la terrible histoire de ces aventuriers décimés dont on avait, par miracle, retrouvé la caméra et les pellicules (intactes ... même pas grignotées ou mordillées).

    "Green Inferno" est un film à message. C'est une métaphore à plusieurs niveaux de lecture.
    1 . Ce sont des gilets jaunes qui, au moment de retourner chez eux, ce font serrer et bouffer. Z'avaient pas qu'à venir, on les avaient bien prévenus. Faut pas mettre de gilet jaune. Gilet jaune = victime.
    2 . Faut pas aller dans la forêt Amazonienne (ou autre) ; il faut laisser œuvrer tranquillou la déforestation; La forêt, c'est pas bien, c'est source de danger.
    3 . Même dans le forêt tropicale, et face au danger mortel et imminent, ton slip tu garderas.
    4 . Toujours partir avec un sac de mariejeanne, plutôt qu'un couteau, des allumettes, de l'eau, de la bière, de la nourriture ou un M16.
    5 . Dès que l'on quitte nos villes accueillantes et dispenseuses de vies, on s'expose à toutes sortes de danger et des plus horribles. Y'a que des fadas, des frappa-dingues, des barjots de la pire espèce dans les campagnes.

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  5. "face au danger mortel et imminent, ton slip tu garderas"... Excellent. C'est de Maître Yoda ou Maître Gims ?
    Je sens dans tes conseils avisés, l'homme d'expérience. T'as failli te faire bouffer par un cochon sauvage sur tes hauts plateaux ?!!!

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    1. Pas de hauts plateaux, il y a. Par contre, vilains cochons il y a.
      Principe de base, toujours se méfier des cochons.

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  6. Pour les films italiens, ils avaient déjà œuvré dans le sanguinolent avec le "Gallio" (Argento, Bava, Lenzi) qui donnait dans le polar baroque, le fantastique, l'épouvante, le gothique... Il n'y avait qu'un pas à franchir pour laisser de côté le film d'atmosphère, et ne garder que le saignant. Déjà dans le western italien, surtout dans les mauvais ou pas très bons, il y a un certain sadisme, les personnages féminins y passent généralement un sale quart d'heure. L'ADN de la Rome antique, ou du fascisme ?

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  7. Oh Luc, t'as passé tes vacances avec Rob Zombie ?

    Mais c'est qu'on y boufferait bien la ch... à Justine ... c'est considéré comme du cannibalisme ?

    Eli Roth, c'est lui qui en plus de jouer de la batte de base ball, a tourné le film de propagande nazi en noir et blanc qu'on voit dans Inglorious basterds ...

    En fait, les meilleurs films de cannibales, c'est ceux où le cannibalisme n'est pas l'élément central, au hasard Massacre à la tronçonneuse, le silence des agneaux ... et surtout "J'ai rencontré le Diable", un polar sud-coréen d'une tension et d'une sauvagerie hallucinantes. si tu l'as pas vu, je te le conseille, production colossale d'adrénaline garantie ...

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    1. Mais pourquoi il veut lui manger la cheville ??

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  8. "J'ai rencontré le Diable"... entendu parler, mais jamais vu.
    Et touche pas à ma p'tite Justine, vieux cochon !

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