vendredi 16 novembre 2018

EN LIBERTE ! de Pierre Salvadori (2018) par Luc B.




Y parait que le cinéma français ne produit pas de bonnes comédies, sauf à se farcir du Kev Adams, Jamel, Boon ou Clavier ? Mouais... Sauf qu’en quelques semaines – et on en a causé dans le poste – on a vu débouler I FEEL GOOD de Délépine et Kerven, dans le genre loufoque, humaniste, et un peu fauché, LE GRAND BAIN de Gilles Lellouche, dans le genre gros budget et joli travail d’écriture chorale, un peu plus tôt LE SENS DE LA FETE de Toledano et Nakache, et voilà que débarque la dernière réalisation de Pierre Salvadori (photo). J’veux bien qu’on soit nul, mais voici quatre films qui remplissent le cahier des charges : faire rire sans prendre le spectateur pour un con ni flatter ses bas instincts (et avec un vrai travail d'écriture, la base de la comédie).
Pierre Salvadori est un pro de la comédie. Neuf films en 25 ans de carrière. Du travail d’artisan, du ciselé, du précis. Depuis son grand succès LES APPRENTIS (1995) il a réalisé COMME ELLE RESPIRE, APRES VOUS, HORS DE PRIX, DANS LA COUR, ce dernier en mode sombre et dépressif. Les héros de Salvadori ne sont pas de joyeux drilles, il dresse des portraits de gens cabossés, qui cherchent l’âme sœur, loosers, dépressifs, suicidaires, qui tentent de se maintenir à flot, ont besoin d’une béquille pour ne pas sombrer. EN LIBERTE ! ne fait pas exception, mais Salvadori revient au burlesque pur, au gag élevé au rang de poésie, dans un pseudo polar filmé pieds au plancher.
A l’image de la première séquence, sur une musique tonitruante de Camille Bazbaz : Santi, flic de choc, en action, plus Bébél que Bébel dans LE MAGNIFIQUE, le mec qui dézingue les méchants, traverse les cloisons, et se jette du huitième étage directement dans sa décapotable. La classe. Sauf que Santi s’est pris la balle de trop, il laisse une veuve et un orphelin. Yvonne perpétue le mythe, en racontant le soir à son gosse les exploits de son défunt paternel. Elle est flic aussi. Et patatras, son monde s’écroule. Elle découvre que son mari était un pourri, un corrompu, qu’il a envoyé un innocent en prison à sa place : Antoine.
Comme chez Francis Weber et son François Pignon, tous les héros de Salvadori s’appellent Antoine, le deuxième prénom du réalisateur.
Yvonne s’estime en dette, et va marquer Antoine à la culotte, dès sa sortie de prison. Lui est devenu un inadapté, elle va le remettre sur le droit chemin, mais rien ne se passera comme prévu. Pierre Salvadori va aligner les scènes à un rythme trépidant. Pas le temps de respirer, de se poser. Le maître mot est action, action, action comme disait Samuel Fuller. Antoine a pris injustement huit piges pour un braquage qu’il n’a pas commis ? Et bien il va le commettre, pour de vrai ! (idée géniale) Commencer petit chez un buraliste (excellent gag de la cigarette) jusqu’à l’apothéose, en costume de latex sado-maso, et vocodeur pour truquer sa voix (que personne ne comprend !).
On donne dans le comique de répétition, avec le sérial killer qui apporte ses victimes découpées dans des sacs plastique au commissariat, et à qui on répond toujours : « oui oui, revenez plus tard… ». Salvadori insuffle de la poésie à ses gags, comme chez Jacques Tati ou Buster Keaton. Lorsqu’Antoine rentre chez lui, sa femme Agnès ne l’attendait pas ce jour, mais le lendemain. Elle n’est pas prête, n’a ressenti l’émotion d’entendre le gravier crisser sous les semelles de son homme, dans l’allée. Donc ? Elle lui demande de ressortir, et recommencer son entrée ! Vous vous souvenez de ce gag d'anthologie dans LES APPRENTIS, lorsqu'une fille brise le cœur de Guillaume Depardieu ? Que voit-on à l'arrière plan au même moment ? Une vitrine de magasin qui se casse en mille morceaux : petits moments de poésie visuelle.        
Les dialogues font mouche : « C’est vrai, vous vouliez vous tuez, vous ne dites pas ça pour me faire plaisir ? », « J’vais prendre une bouteille de Cognac… avec du pain », débités à la mitraillette comme dans les films d’Howard Hawks ou Capra. Ce qui est étonnant, c’est que le film semble faire l’éloge du dérèglement, du mensonge, de la violence. Antoine a le sang chaud. Un restau refuse de rouvrir ses cuisines pour lui seul à deux heures du mat ? Il va cramer l’établissement ! Ou casser la gueule d’un opportun dans la rue, sa femme lui faisant la leçon : « Quand même, de là à lui manger l’oreille… ». Excellente scène dans le taxi.
J’étais dubitatif sur le choix d’Adèle Haenel dans le rôle d’Yvonne, excellente actrice mais jusqu’ici dans un registre dramatique, froid, sévère. Elle est toute bonnement formidable, pétillante, avec sens du tempo hérité de Catherine Deneuve. Le duo avec Pio Marmaï fonctionne, mais on retiendra dans un registre plus tendre, les deux autres rôles, Louis le fic, joué par Damien Bonnard, et Agnès jouée par Audrey Tautou, qui même avec quelques (jolies) rides, garde son phrasé et son regard d’enfant émotive. On aperçoit Vincent Elbaz dans les flashbacks, illustrations des histoires qu’Yvonne raconte à son fils, et dans lesquelles elle incline à détruire, au fur et à mesure, la statue de commandeur de son pourri d’ex-mari.
N’y voyez rien de cohérent, de réaliste, de moraliste (ou alors passez votre chemin) la seule logique du film tient à son thème : les histoires qu’on se raconte pour aller mieux. Et c’est justement ce que fait Pierre Salvadori, qui célèbre la fiction, s’autorise toutes les situations, aussi improbables soient elles.
couleur  -  1h45  -  format 1:1.85     

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