François Ozon
est un réalisateur dont j’apprécie le style, les exigences formelles,
les références, même si parfois il passe à côté de son sujet !! M’enfin,
il n’en a pas raté beaucoup (son dernier, justement ? - l'Amant double - ). Un metteur
en scène qui rallie public et critique, sans se renier. HUIT FEMMES
est un de ses films les plus populaires, qui avait fait 3,5 millions d’entrées !
Le succès du
film vient de son alléchant casting 5 étoiles. On était curieux de voir çà. Sans doute HUIT FEMMES avait-il été pris pour une charmante énigme policière rose bonbon,
avec chansonnettes yéyé en prime, mais chez François Ozon, il faut
gratter le vernis.
Le film est
adapté d’une pièce anglaise. Ozon respecte l’aspect théâtral. Une fois le
premier plan nous faisant découvrir la maison, isolée par la neige, la caméra ne la quittera plus. Mieux encore, sa mise en scène au scalpel joue avec les codes du théâtre,
les apartés, les regards au public, le jeu volontiers vaudevilesque, le salut
final des comédiennes. Le point de départ est fort simple : Suzon revient
passer les fêtes de Noël chez son père. Embrassades et retrouvailles. Mais au
matin, le paternel est retrouvé poignardé dans son lit - et dans son dos - la porte
verrouillée. Huit femmes habitent la maison, entre son épouse, sa sœur, sa
belle-sœur, belle-mère, enfants, domestiques… L’une d’elle l’a tué. Laquelle ?
Le film est un cluedo, d’ailleurs les personnages sont habillés chacun dans sa
gamme de couleur, comme Madame Pervenche, le Colonel Moutarde ou Mademoiselle
Rose. Ozon multiplie les rebondissements, on entendrait presque le public lancer des
« Ohhh » et des « Ahhhh » à chaque révélation.
Si le père,
Marcel, a été tué, il s’agit aussi de savoir pourquoi. Quel serait le mobile. C’est
là que François Ozon va pouvoir jouer à ce qu’il préfère, gratter la couche
superficielle, faire tomber les masques, ressortir ce qu’il y a de plus
sombre, pervers, chez ses personnages. Et on est servi ! Alors que le film
au départ s’apparente à une comédie au décorum 50’s, kitsch et colorée (évoquant
son futur POTICHE) avec de charmants intermèdes chantés (Ludivine Sagnier
entame avec « Papa t’es plus dans l’coup » de Sheila, il y aura aussi
Françoise Hardy, Corinne Charby, Marie Laforêt, Dalida, Sylvie Vartan, toutes
judicieusement choisies… ) très vite les choses s’assombrissent, s’enveniment,
à l’image des couleurs, de la lumière, qui évoluent jusqu'au
style du Film Noir technicolor, version NIAGARA d'Henry Hathaway, TRAQUENARD de Nicholas Ray, ou les mélodrames
flamboyants de Douglas Sirk.
Entre l’épouse bourgeoise qui s’apprête à fuir avec l’associé du mari, la sœur du défunt, ancienne pute bisexuelle ruinée, qui couche avec une domestique, quand l’autre bonne s’envoie le frère, qui a mis en cloque sa propre fille, à moins qu’elle ne soit pas de lui, la belle-mère alcoolo et rapiat, sa seconde fille frigide et dégénérée… que ce soit pour le cul, le fric, les escroqueries, les mensonges, ou tout à la fois, chacune avait une bonne raison de jouer du couteau en pleine nuit…
HUIT FEMMES est
donc un huis-clos 100% féminin (autre rare exemple qui a dû inspirer Ozon, THE
WOMEN (1939) de George Cukor, avec Joan Fontaine, Paulette Goddard, Joan
Crawford). Marcel n’est vu que quelques secondes, de dos, muet, sur les
flashbacks qui égrènent la fin du film. Le projet aurait pu tourner au festival
d’égo, au numéro perso, mais non. Parce que le rythme soutenu interdit les digressions,
on ne s’égare pas, les personnages sont rarement seuls, c’est un film chorale,
et parce que les comédiennes n’ont pas besoin de cabotiner pour se faire
remarquer, même si chacune force le trait dans son registre, à dessein : une
Fanny Ardant ardente de glamour, une Deneuve impériale en bourgeoise emperlouzée qui sort ses répliques
à la mitraillette, les cheveux plus blonds que blonds de Béart - mais cette diction nasale insupportable !
Parmi les bons
moments, Mamy Danielle Darrieux, ivre, hystérique, assommée et enfermée dans un
placard, le relooking sensationnel d’Augustine Isabelle Huppert, les
cachoteries de Chanel Firmine Richard ou la bagarre de chiffonnières entre Gaby
Catherine Deneuve et Pierrette Fanny Ardant, érotique à souhait, qui se termine
en baiser langoureux…
L'idée
géniale de François Ozon est d’avoir réuni les égéries (et ex) de François
Truffaut, avec cette allusion à LA SIRENE DU MISSISSIPPI / LE DERNIER METRO, lorsque
Deneuve dit à sa fille « Te voir est une joie et une souffrance » que
Belmondo / Depardieu lui servaient en leurs temps. Question allusion, le film est
un festival de clins d’œil, le striptease de Fanny Ardant reprenant celui de
Rita Hayworth dans GILDA, le chignon d’Emmanuelle Béart identique à celui de
Kim Novak dans VERTIGO, quand sa tenue et ses bottes ramènent à la
Jeanne Moreau de JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE de Luis Buñuel, Isabelle Huppert
se transforme en Veronica Lake (ou Jessica Rabbit !), la musique de
Krishna Levy qui évoque les compositions de Bernard Hermann, et délice suprême :
un personnage dont on entend parler, mais qu’on ne voit qu’en photo, deux
secondes, l’ancienne patronne de Louise, qui a les traits de Romy Schneider
(tirée de MAX ET LES FERRAILLEURS ?).
HUIT FEMMES
est un film original, gonflé, un film de pure mise en scène,
cadres et mouvements de caméra millimétrés, une déclaration d’amour aux
actrices qui ont fait rêver le jeune réalisateur, contemporaines ou par références
interposées. C’est surtout une apparente sucrerie qui se révèle dragée au
poivre, plus sulfureux qu’elle en a l’air, avec un épilogue noir,
cynique, abominable. Un sans-faute.
HUIT FEMMES (2002) couleur - 1h50 - format 1:1.85
Voici la bande annonce... américaine (- 17 ans, tout public chez nous !) qui offre davantage d'images.
Voici la bande annonce... américaine (- 17 ans, tout public chez nous !) qui offre davantage d'images.
J'avais vu ce film au cinéma, à l'époque… et je le regarde en DVD de temps en temps. Ce film est cruel, mais en même temps terriblement émouvant parce que ces femmes sont toutes bousillées, toutes névrosées… et le bouquet final est un piège qui se referme. Implacable. Autant que l'est la société telle qu'elle est décrite dans le film, avec tous ses faux-semblants, où ce microcosme bourgeois ne tient debout que comme une vieille baraque bouffée aux termites que seule la couche de peinture maintient à la verticale… quand le vernis craque, tout s'effondre.
RépondreSupprimerNiveau chansons, j'ai un énorme faible pour le "Message personnel" d'Isabelle Huppert, non seulement parce que son interprétation est émouvante à souhait mais aussi parce que je suis une fan de Françoise Hardy (et de Michel Berger) devant l'éternel. La chanson de Dalida est très belle aussi, et tout à fait dans le contexte. Après, Béart chante FAUX ! Mais c'est intéressant parce que raccord avec le personnage qui craque son slip (ou ses bottines en cuir) et se fout de tout, surtout des convenances. Bref, effectivement, un chef d'œuvre. Vais peut-être me le revoir ce week-end, tiens :-)
Mon film favoris de Ozon. Corrosif, drôle. Un petit soupçon d'ironie mordante à la Agatha Christie...
RépondreSupprimerOui comme le dit Lilou, ces dames ne chantent guère juste mais ça donne encore plus de charme au film, évitant ainsi de lorgner vers la comédie musicale apprêtée...
J'aime plus ou moins d'autres films de Ozon. Bien, comme swimming pool avec un duel de femmes surprenant. Quant à "Jeune et Jolie', j’aurais changer le titre en "Sois belle, tais toi et remets ta culotte ou je te fous en pension". Bon ok, j'aime guère ces problèmes de bobos parisiens (Luc va hurler ?) Certes Marine Vacth est parfaite, mais au fait elle devient quoi ?
Merci Luc pour ce papier, un film à voir et revoir sans modération :0)
Merci de ton passage, Lilou. Effectivement, toutes ces actrices ne sont pas des chanteuses (chez demy, Deneuve était doublée !!)... Mais le choix d'Ozon est le meilleur, ce n'est pas un concours à la The Voice, on privilégie l'émotion, et le jeu (comme dans Lalaland, d'ailleurs, le couple n'était ni chanteur ni danseur...).
RépondreSupprimer@Claude : "Jeune et Jolie" n'est pas mon préféré, mais il y a toujours de très belle mises en scène chez Ozon. "Frantz" était très bien (fallait oser l'allemand et le noir et blanc !) "Une nouvelle amie", "Dans la maison" aussi. Sous le vernis, y'a toujours beaucoup de souffre !
Les deux actrices que sont Virgine Ledoyen et Mathilde Sagnier se font elles aussi absentes ces dernières années me semble-t-il !?
RépondreSupprimerEn revanche j'ai lu quelque part que Marina Vacth était a l'affiche d'un prochain film très bientôt. J'ai oublié ou j'ai vu ça.
Chouette ce 8 femmes !