vendredi 15 décembre 2017

VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS de Bertrand Tavernier (2016) par Luc B.



Ca lui aura pris 6 ans de travail, à Bertrand Tavernier, pour concevoir ce long film-documentaire VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS. Mais y’avait pas déjà un film comme ça… dans le même genre ? Si, celui de Martin Scorsese, qui voyageait lui à travers LE CINEMA AMERICAIN (et son VOYAGE EN ITALIE). Il parait évident que le titre est un clin d’œil au film de Scorsese, les deux hommes se connaissent et se côtoient, réunis par une même cinéphilie.

Mais le film de Tavernier diffère sur deux points. Son récit est autobiographique (et non thématique). Si Scorsese égrenait quelques souvenirs, Tavernier en fait la trame narrative de son film. Second point, qui découle du premier, la sélection est donc plus subjective, et le temps consacré à tel ou tel metteur en scène, plus long.

La Traversée de Paris / Autant-Lara
Le gamin Tavernier découvre le cinéma avec un film de Jacques Becker. « J’aurais pu tomber plus mal » dit-il. C'est donc avec l'auteur de CASQUE D'OR, TOUCHEZ PAS AU GRISBI, LE TROU que le voyage débute. Analyse, décryptage (la parenté Hawks / Becker est judicieuse !), la démonstration est illustrée d’extraits commentés, disséqués. On passe à Jean Renoir, évidemment, ses prouesses de caméra, la fluidité de son langage, mais pas que. Tavernier, égratigne aussi le Renoir détestable, nabab à Hollywood pendant la guerre, auteur de quelques lettres antisémites, qui fera dire à Jean Gabin : "Renoir, comme metteur en scène : un génie. Comme homme : une pute."

Gabin, justement, le seul acteur qui aura son portrait dans le film, son jeu, sa gestuelle, ses cheveux devenus blancs en un jour - après un bombardement en Méditerranée. On a beau tout connaitre, ça reste passionnant. Dans une interview post film, Tavernier se justifie : « Pourquoi lui, et pas d’autres, ou pas d’actrice ? Parce qu’aucun comédien n’a eu à cette époque autant d’importance dans l’industrie du cinéma, en achetant des droits, co produisant, il a initié des dizaines de chefs d’œuvres, qui n’auraient jamais vu le jour sans lui ».

On reste dans les années d’avant-guerre, avec une évocation de Marcel Carné, vilipendé par ses scénaristes Prévert ou Henri Jeanson, comme incapable d’écrire, de créer, de diriger. Fabuleux cet interview de Jeanson qui dit : « HOTEL DU NORD… qui c’est qui a réalisé ça déjà… hum... Duvivier ? Non, Duvivier il savait diriger, lui... Ah oui : Carné ! ». Tavernier nuance : « Quand on voit la réussite de ses films, LE JOUR SE LEVE, QUAI DES BRUMES, LES ENFANTS DU PARADIS… on se dit que Carné doit bien y être pour quelque chose ! ». Et de montrer par l’image, telle scène, tel plan, le travail de découpage de Carné qui s’appropriait les scénarios visuellement. Et qui doit-on la scène fameuse d'Arletty "Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?!", à Carné qui apostrophait Jeanson sur son scénario, lui disant : "j'peux rien faire de ta scène, y'a pas d'atmosphère". Furibard, l'autre a écrit ce que l'on sait... 

Léon Morin prêtre / Melville
Le VOYAGE ne se concentre pas que sur les stars. On (re)découvre des réalisateurs oubliés, comme Edmond T. Gréville et Jean Sacha. Et pour le premier, je me suis souvenu d’un film de lui, vu y’a 25 ans, qui m’avait fait halluciner, et dont j’ai revu un extrait ! Dans le récit, on arrive aux années 50/60, Tavernier fonde une revue de cinéma, un ciné-club (le Nickel Odéon) et commence à frayer dans le milieu, à rencontrer des cinéastes, les interviewer. Les réflexions, les anecdotes rapportées sont donc de premières mains ! Notamment sur Jean Pierre Melville, dont Tavernier fut l’assistant. L’occasion de visiter ses studios de la rue Jenner, à Paris, où Melville tourna ses plus grands films, utilisant ses locaux pour en faire un bureau de flic, un dancing… Tavernier montre des extraits de films où le moindre porche, escalier, était redécoré en fonction des plans, des histoires.

Casque d'Or - Becker
Melville vire l’incapable Tavernier, qui retrouve un boulot 15 minutes plus tard, comme attaché de presse pour le producteur George de Beauregard. Occasion d’aborder les cinéastes de la Nouvelle Vague, Chabrol et Godard notamment. Pour ce dernier, le travail de Tavernier consistait à persuader la profession que Godard allait enfin faire un film normal, sur un scénario normal, avec une histoire normale ! Là encore, beaucoup d’extraits, d’explications narrées avec délectation. Bertrand Tavernier évoque une idole, Eddie Constantine, expliquant combien ses premiers films policier, où il jouait Lemmy Caution, très inspirés du Film Noir américain, étaient remarquables, CET HOMME EST DANGEREUX (Jean Sacha, 1953) CA VA BARDER (John Berry, 1955).

Une longue séquence (trop longue ? car quid des directeurs photos ?) s’attache aux compositeurs de musiques de film (Jaubert, Kosma), à cette spécificité française - contrairement aux studios hollywoodiens - où le scénariste, le réalisateur, choisissait le musicien, qui était associé aux étapes de fabrication du film.

Max et les ferrailleurs - Claude Sautet
Un des derniers cinéastes dont Tavernier parlera, c’est Claude Sautet, le colérique Claude Sautet, découvert avec CLASSE TOUT RISQUES (1960) et suivi au début de la décennie suivante. Bertrand Tavernier tourne son premier film, L’HORLOGER DE SAINT PAUL, en 1974. Dans son récit documentaire il n’ira pas plus loin que cette date. Il reprend le même argument que Scorsese pour son VOYAGE AMERICAIN : ne pas commenter les films des autres au moment où lui-même commence à en réaliser.

Cet argument, et d’autres, seront développés dans une longue interview (objet du troisième dvd), comme : 1- pourquoi choisir untel, et pas un autre (bah oui Bertrand, et Ophüls, Clouzot, Allégret, Decoin, Verneuil ???) 2- pourquoi si peu de femmes ? A quoi Tavernier répond : citez-moi trois réalisatrices françaises entre 1930 et 1950 ? 3- y aura-t-il une suite ? Au cinéma, non. Mais à la télé oui, une vingtaine de courts épisodes sont prévus, mais dans un autre esprit, sans l’aspect biographique. Tavernier conclut, pas peu fier, d’avoir eu un certain succès avec son film aux USA, où des gens de la profession ignoraient qu’il y avait eu un cinéma français avant Truffaut ou Godard ! Tarantino, qui connait son JP Melville sur le bout de la rétine, y aurait découvert Claude Sautet !  

Le film dure 3h15, et c’est juste… pas assez ! On en redemande. Tant le récit est fluide, intelligent, instructif, mais jamais pontifiant ni pompeux. On écoute simplement un type raconter sa passion, et on regarde - comme les gâteaux d'une vitrine de pâtisserie - des centaines d’extraits judicieusement choisis, montés, imbriqués, des interviews ou de reportages d’époque, des anecdotes à foison.

Mais ce qui est terrible, c’est que ça donne surtout envie de voir ou revoir tous ces films dont il parle, et ça, malheureusement, une vie n’y suffirait pas ! 


couleur et N&B  -  3h15  -  format 1:1.85      + dvd bonus : 1h30. 

Autant dans le film lui même, Tavernier a écrit ses textes (au passé simple souvent !) autant dans l'interview, c'est une discussion sans montage, et le débit de parole en pâtit - hésitation, répétition...


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