Des bagnes de Mao à Bach - épisode 2
- Bonjour
M'sieur Claude, tenez goûtez moi ces petites madeleines à la cerise confite,
une recette que m'a donnée ma copine Nema…
- Mum, moui
délichieuges… Vous vous identifiez à Marcel Proust les filles… À ce sujet,
l'une de mes madeleines musicales est le premier prélude du clavier bien
tempéré de Bach…
- Heureux
hasard, car je vois que vous allez nous parler de ce monument du clavier. Mais,
il semble court votre papier, M'sieur Luc va ergoter… hi hi…
- Ce n'est
pas son genre, il y a des musiques que l'on ne commente pas dans le détail. Des
couples de prélude et fugue dans 24 tonalités et en deux cahiers, 96 pièces…
- Ah oui,
quand même, des études en fait, mais connaissant Bach, c'est sûrement bien plus
que des exercices pédagogiques…
- Oui, et les
interprétations sont de styles très variés… Mais je l'avais promis, c'est la
vision de la courageuse pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei que nous allons écouter.
Il y a près de deux ans, j'avais chroniqué le livre
de Zhu Xiao-Mei, artiste chinoise née en même temps
que l'avènement du règne de Mao,
pianiste enfant très douée et dont l'existence tumultueuse et douloureuse m'avait
beaucoup ému : les premières années d'apprentissage, l'enfer des camps de
rééducation lors de la révolution culturelle, l'évasion vers les USA, les
petits boulots ingrats, puis Paris et enfin la liberté de vivre et de jouer de
son piano, Bach en particulier… (Clic).
Je pensais faire suivre ce billet littéraire d'un
article sur le clavier
bien tempéré dans la foulée. Et, je me suis retrouvé face à une
montagne à gravir en tongs (sans jeu de mot par rapport aux origines de
l'artiste). Tous ceux qui lisent mes papiers (j'en profite pour leur dire
merci) savent que j'essaye de partager avec eux, à la fois quelques tuyaux de
technique musicale pour entrer dans les œuvres, mais surtout mes sentiments par
rapport aux émotions que me procure la musique classique. Et cet exercice parfois difficile mais toujours passionnant se
révèle sans aucun sens pour le clavier bien tempéré, œuvre de
musique pure, sans aucun programme, un chef-d'œuvre totalement intemporel.
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Donc oui, un article court sans dissertation intello. Il
est quand même utile de situer ce marathon pianistique dans l'histoire de la
musique. Le pianiste russe Sviatoslav
Richter disait "tout pianiste
professionnel se doit de connaître le clavier bien tempéré par cœur"
!
J'enfonce une porte ouverte en rappelant que Bach a établi les règles toujours en
vigueur dans la musique occidentale concernant l'harmonie, la fugue et plus
largement le contrepoint. Mon premier papier dans le blog était un commentaire
sur l'art de la fugue, une série de 18 fugues de plus en plus sophistiquées à
partir d'un motif élémentaire travaillé plus de 150 fois avec une imagination
sans borne (Clic). Si l'art de la fugue peut être
interprété tant sur un clavier que par un orchestre de formation libre, le
clavier bien tempéré est réservé aux claviéristes, pianistes ou clavecinistes. Bien
entendu, Bach a écrit sa partition
pour le clavecin. Le piano était en cours d'invention à la fin de sa vie en
1750, et le Cantor détestait ces instruments primitifs au son bien
dur, il faut l'avouer…
Il existe deux livres pour ce corpus. Le premier aurait
été achevé vers 1722 mais repris en 1750 par un Bach
mourant. Sans doute l'un de ses fils tenait la plume. Le second est daté de
1744.
Sviatoslav Richter |
La première idée qui vient à l'esprit est "mon dieu, quel didactisme, cela doit être
totalement dogmatique et ennuyeux". Et bien non, car si Bach lui-même avouait avoir dédié ces
partitions à l'usage des apprentis, ce serait bien mal le connaître que de penser
avoir hérité d'une méthode pédagogique ennuyeuse. Bach
n'est pas Czerny, même si les études
de ce dernier sont précieuses lors de l'apprentissage…
Il y a des débats sans fin sur les similitudes tonales
entre telle et telle gamme, du style "oui mais, Mi
bémol majeur & Ré dièse mineur sonnent de la même manière".
Ah oui ?! Sans doute, personnellement je laisse cela aux spécialistes.
Eh bien oui, comme ironisait Sonia, je crois avoir
dit l'essentiel. L'exécution de l'intégralité du Clavier bien tempéré
dure environ 4h30 soit 4 CD. Le nombre de gravures existantes est sidérant,
mais le résultat pas toujours sidéral 😁. Je ne
l'écoute jamais dans sa totalité en continue. Un CD par-ci par-là. Il existe
même des albums de sélections bien agréables (Wilhelm
Kempf). Assez parler, écoutons…
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Clavecin du XVIIème siècle |
La pianiste allège le trait, obtenant de son grand
piano des sonorités lumineuses et chaleureuses. Perso, j'adore, quelle finesse, un flot musical chantant voire malicieux comme la fugue en do mineur du livre 1. Je vous
laisserai vous faire un avis sur les 94 pièces suivantes 😌. Pour moi, un seul mot : la quintessence de Bach ! Il y a dans le jeu de la pianiste une pureté d'une grande simplicité, un lyrisme soyeux, aucun hédonisme qui se voudrait métaphysique. La transparence au sens le plus naturel du terme ; une évidence. Je propose quelques extraits en
vidéo. Je m'aperçois que ce coffret disponible il y a deux ans n'est plus au catalogue Mirare, sauf d'occasion à des prix irréels… A rééditer d'urgence ! L'accueil très enthousiaste des critiques et des mélomanes ne laissent planer aucun doute sur la qualité superlative de l'entreprise !
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Quelques grandes interprétations que j'apprécie et quelques mauvaises surprises :
Datant de 1970,
l'interprétation de Sviatoslav Richter était
parvenue en Europe sous forme de vinyles Mélodya
quasi inécoutables 😖. Dans
les années 90, les ingénieurs du son chez RCA ont réussi au mieux à rafraîchir une
interprétation marquée par le mysticisme et surtout l'élégance. Le premier
prélude sonne de manière cosmique, un incontournable (RCA – 6/6 - Piano Bösendorfer). Tiens, il existe l'intégrale sur Youtube, je l'ajoute
pour le fun…
Quand on parle de Bach,
on parle de Glen Gould, forcément. L'opposition
avec Richter est évidemment flagrante. Le
pianiste américain se joue allègrement de la moindre difficulté à l'aide de son
inimitable legato-staccato. On trouvera cela délicieusement ludique ou dans le
style "machine à coudre"
comme l'aurait dit Colette. Moi
j'aime bien cette liberté de style, ce phrasé vif-argent dans le premier
prélude au tempo pourtant retenu et aux notes qui batifolent (Sony
– 6/6 - Piano Yamaha).
Le clavecin n'a jamais été oublié bien heureusement,
surtout grâce à Wanda Landowska dans la
première moitié du XXème siècle. J'ai un faible pour le disque du
claveciniste français Pierre Hantaï.
Subtilité du trait, tempos variés et pertinents. Parfait (Mirare – 2002 - 5/6). Le premier livre seulement.
J'ai eu la curiosité d'écouter le célèbre pianiste Keith Jarett jouer l'œuvre sur un clavecin
pour le livre 2 et au piano pour le livre 1. Cet artiste aura ses fans. Il
possède tous les moyens techniques pour aborder ce monument, le problème n'est
pas là. Je reste un peu perplexe et déçu face au jeu sans nuance et à la frappe sèche et peu habitée. Hélas, jouer Bach
demande un engagement total, de l'humilité, de la spiritualité, ce ne sont pas les
qualités premières du jazzman paraît-il… (ECM
Records - 2/6). Nota : sur son piano, ça passe mieux, mais d'où sortent
cette impression d'entendre des ornementations en fin de certains motifs du
premier prélude au phrasé bien insipide ? On a connu cet artiste nettement plus
inspiré dans l'univers classique.
Cela dit, j'ai entendu tellement pire (notamment les
adaptations variétoches mal venues : Maurane,
au hasard). Autre déception : qu'arrive-t-il à ma si chère Hélène
Grimaud qui étire le même prélude en do sur près de 3 minutes
avec un crescendo affecté digne de Liszt
??? Comme quoi…
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