- Mais M'sieur Claude… Drôle
de choix, une cantate de Bach pour la veille de la saint Sylvestre, le
champagne, le foie gras, la gueule de bois du nouvel an, pas chrétien ça !
- Rien à voir, ici il
s'agit de célébrer la "circoncision" du Christ, un office qui a
toujours lieu le 1er janvier. Avec le temps on parle (à juste titre) de la
cantate du Nouvel an…
- Ô, donc festif quand
même. Pauvre petit Jésus, ça doit faite mal ce rite hébraïque, il doit avoir
lieu au huitième jour du bébé je crois…
- Mal ? Ben oui je pense, la communauté israélite s'interroge sur son intérêt. Le blog n'est pas une tribune sur la pertinence des traditions religieuses,
ce n'est pas l'esprit…
- Oui c'est vrai, place à
la musique, vous parlez de nouveau des disques de Harnoncourt, Herreweghe, Ton
Koopman, les grands du baroque souvent cités ?
- Non Sonia, mais de
Christophe Coin, un spécialiste français du baroque entouré ici de grands
artistes comme Andreas Scholl ou Barbara Schlick…
Triptyque de
Santa Columba de Roger van der Weyden (1464)
La présentation
au Temple (panneau de droite)
Le Temple de Jérusalem en architecture gothique 😊 |
Il
y a une semaine, Marc-Antoine Charpentier et
sa messe de minuit
de Noël nous transportait dans la crèche où le petit messie
venait de voir le jour, somnolant dans une mangeoire de fortune, réchauffé par
les souffles tièdes d'un bœuf et d'un âne (image d'Épinal bucolique plus sympathique
qu'un berceau en plexiglass entouré de monitorings).
Le
8ème jour de sa jeune vie, le bébé a un programme très chargé imposé
par trois rituels juifs : la présentation au temple, la circoncision, et
l'attribution définitive de son nom : Jésus.
Cette triple étape marquant son entrée au sein du peuple d'Israël et son
alliance avec Dieu.
C'est
au début du moyen-âge que va apparaître la fête
de la circoncision le premier jour de l'année, le remplacement du
calendrier julien par le grégorien ne changeant rien à l'affaire. Dans les deux
cas le mois de décembre dure 31 jours ; Noël étant célébré le 25 décembre depuis
l'an 354. D'ailleurs dans le
calendrier des PTT de ma tendre enfance, on pouvait lire : Circoncision ou bien Nouvel an – circoncision. Cela me
posait question… C'est quoi ? En 1970,
le pape Paul VI excédé par certaines paroisses qui toutes revendiquent la
possession du vrai saint prépuce, sans doute bien ratatiné, décide de mettre
fin à cette vénération fort peu spirituelle et qui donne du grain à moudre aux anticléricaux
pour décliner à l'infini des blagues vaseuses. Il décide de supprimer
l'expression. Le calendrier se transforme et devient Nouvel An - Sainte Marie Mère de Dieu (Solennité).
D'autant
qu'à travers les âges, le profane a pris le pas sur le sacré et les offices du
1er janvier ne laissent guère de place à ces détails du rituel
hébraïque. Et la preuve en est que le titre exact de cette cantate 41 (premiers
vers) sera :
Jesu, nun seit gepreiset, et plus
complètement en français : ""Gloire à toi Jésus / En cette nouvelle année". C'est très clair !
Lors
de la composition de la cantate, Bach
était Cantor de Leipzig depuis deux ans, nous sommes en 1724. Il doit
travailler pour des commanditaires de confession luthérienne. Pas de latin mais
des textes en allemand écrits pas des lettrés dont le nom ne nous est pas
souvent parvenu. Il existe d'autres cantates pour le jour de l'An, mais promis,
je ne complique pas les choses. Un chef d'œuvre du genre, une suite de six
cantates suivant la Nativité a été commentée il y a quelques années : l'Oratorio de Noël BWV 248. (Clic).
Jour
de fête oblige, l'orchestre est très rutilant : 1 cor, 3 hautbois, 3
trompettes, timbales, deux violons, alto, violoncelle picolo et basse continue
(dont un orgue positif). Dans l'enregistrement, on entend également un basson.
Vocalement, au chœur, Bach
ajoute quatre solistes, c'est rare : soprano, alto, ténor et basse. On va
retrouver ce quatuor vocal depuis l'époque baroque jusqu'à la fin du romantisme…
La
partition comprend six parties : 2 chœurs, 2 arias et 2 récitatifs.
Curieusement,
le texte utilisé par Bach
ne fait appel à aucun passage des Saintes Écritures du jour. Bach se concentre sur un hymne à l'année
passée et, comme pour souligner le cycle du temps, implore la bénédiction du
Christ pour l'année qui commence.
Pendant
l'office, les lectures du jour seront tirées de l'épitre de Saint-Paul aux
Galates, et de l’évangile de Luc qui évoque cette folle journée où le "divin enfant" portera enfin le
nom de Jésus comme prescrit par l'ange qui visita Marie… La liturgie complète
la cantate sans jamais lui faire concurrence sur le fond. Création le 1er janvier 1725, évidemment.
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Christophe Coin (né en 1958) |
À
l'intérêt musical de cet album paru en 1996
s'ajoute une distribution d'exception :
Côté
solistes, des virtuoses du chant baroques :
Soprano : Barbara Schlick qui a chanté pour les
meilleurs chefs qui ont redonné vie au style baroque authentique : de Philip Herreweghe à Franz
Brüggen…
Alto (contreténor) : l'allemand Andreas Scholl et sa voix féérique ne se présente
plus où plutôt rendez-vous vers l'article consacré au Stabat Mater de Pergolèse (Clic).
Ténor : Christoph
Pregardien : lui aussi complice des chantres du baroque des
années 90 et pédagogue.
Basse : Gotthold
Schwarz : encore un chanteur incontournable du chant baroque. Sa
carrière l'a conduit jusqu'au poste mythique qu'occupait Bach
: Cantor de Leipzig depuis 2016
Nous
entendons aussi le Chœur Accentus créé en 1991 et dirigé
par Laurence Equilbey (Clic). L'un des chœurs français les plus appréciés des mélomanes et même au-delà.
Et
comme si tout ce beau monde méritait l'accompagnement orchestral rêvé, place à l'ensemble baroque de Limoges sous la
baguette de Christophe Coin. Christophe Coin en dehors de cette
activité de chef joue merveilleusement du violoncelle qu'il a appris auprès d'André Navarra et de Nikolaus
Harnoncourt. Il a été le fondateur du quatuor
Mosaïque entendu dans le blog à propos d'un quatuor de Mozart (Clic). Spécialiste également de la viole de gambe, il
enseigne au Conservatoire de Paris. Il tient également le pupitre de
violoncelle picolo pour l'exécution de cette cantate…
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Saint Thomas de Leipzig |
1 - Chœur : Jesu, nun sei
gepreiset : Clameur de joie instrumentale en ce jour de fête avec
tambour (timbales) et trois trompettes (et non pas trombones comme marqué sur
le livret – coquille 😊). Bien entendu, pas de chant à
l'unisson, mais le chœur nous offre une
belle polyphonie jubilatoire. Christophe Coin retient les cuivres pour laisser
les violons et les hautbois intervenir clairement dans ce climat de liesse. Un chœur assez
développé de huit minutes avec de nombreux thèmes mélodiques et des solos des groupes vocaux.
2 - Aria (soprano) : Laß o uns, o
höchster Gott : Un air surprenant avec ses trois hautbois complices
qui papotent surveillés par le basson du continuo. Un air où la soprano sollicite
du divin un début d'année aussi heureux que l'a été la fin de celle qui vient
de s'achever. La ligne de chant très pure de Barbara
Schlick s'accorde totalement avec la sincérité du sujet.
3 - Récitatif (alto) : Ach! deine Hand,
dein Segen muss allein : Le récitatif très bref reprend encore et
encore cette thématique cyclique de la succession des ans. L'alpha et l'oméga,
le commencement et la fin, thème chrétien fondamental. Une petite minute bien
courte où Andreas Scholl déploie avec
sa belle voix chaude et articulée des talents de persuasion.
4 - Aria (ténor) : Woferne du den
edlen Frieden : Cet air est dominé par la sonorité soyeuse et
lyrique du violoncelle picolo de Christophe
Coin et, là encore, par la spontanéité de
la ligne de chant de Christoph
Pregardien ; un air exprimant la confiance en la miséricorde
divine et la béatitude
apportée par la Parole de Dieu.
5 - Récitatif (basse, Chœur) : Doch weil der
Feind bei Tag und Nacht : curieux récitatif dans lequel se font
entendre de concert le chœur et la voix de prophète de Gotthold Schwarz
qui exige "Que satan soit foulé à nos pieds". Oui,
curieux, car le chœur reprend les derniers versets pour appuyer la demande
exprimée, principe assez rare dans un récitatif mais opportun ici…
6 - Choral : Dein ist allein
die Ehre : Petit choral conclusif en forme de gloria sur le fond
théologique. Assez classique, les trompettes interviennent joyeusement dans les
ultimes mesures. Une symétrie dans l'orchestration qui souligne l'éternel recommencement, symbolique au cœur de l'esprit de la cantate.
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