- Tiens M'sieur Claude… La danse du sabre et l'adagio entendu dans 2001
Odyssée de l'espace… Nouveau compositeur dans le blog et un extrait qui
plaira à M'sieur Luc…
- Oui Sonia, retour à l'orchestre après une quinzaine avec le piano en
vedette. Pas le ballet en entier, mais une suite dirigée par le
compositeur lui-même…
- Et en plus la Philharmonie de Vienne, il ne se refuse rien le
compositeur ! Un bon chef d'orchestre ?
- Absolument, cinq morceaux seulement, mais quelle vitalité. Et en plus
le son est très bon en ces années des débuts de la stéréo…
- Ah, et en bonus un adagio de son autre ballet Spartacus, très connu
aussi je crois.
- Oui, ça fait partie du même album, un disque échantillon allez-vous
dire ma petite Sonia, certes, mais un disque culte…
Ô la danse du sabre doit bien vous dire quelque chose, éveiller un
souvenir. Cette danse symphonique de l'extrême, menée à un rythme d'enfer a
nourri nombre de publicités (Adidas et Lessive Chanteclair) ou de scènes hyperactives au ciné. Quant à l'adagio,
Stanley Kubrick a immortalisé
la beauté sidérale et statique de la pièce dans plusieurs plans de son
chef-d'œuvre
2001 Odyssée de l'espace, notamment la traversée interstellaire du vaisseau lors du début de son
voyage vers Jupiter, quand les spationautes contrôlent encore la situation.
Le cinéaste avait choisi une interprétation lente, presque largo, pour mieux
souligner l'éternité et le vide de l'espace, l'infinie lenteur de cette
quête. Presque glaçant… Donc
oui, ne serait-ce que par ces deux passages de
Gayaneh, vous avez déjà rencontré l'univers luxuriant ou tendre du compositeur
arménien
Aram Khatchatourian.
Né en 1903 à Tbilissi en
Géorgie, mais de famille arménienne. L'Arménie sera englobée dans l'URSS
dans les années qui suivront la création de la sphère soviétique. Le
compositeur disparaîtra en 1978 à Moscou ; deux dates qui
en font un quasi contemporain de
Chostakovitch. Comme ce dernier,
Khatchatourian
sera l'un des piliers de la musique soviétique. Il étudiera composition et
violoncelle dans un premier temps à l'Académie russe de musique Gnessine,
puis au conservatoire de Moscou. Il se lie d'amitié avec d'autres
compositeurs de sa génération : ses professeurs
Nikolaï
Miaskovski
et
Reinhold
Glière.
Khatchatourian
aime le ballet (Gayaneh
et
Spartacus
sont ses œuvres les plus populaires) et les musiques de son pays. À l'image
de
Bartók
en Hongrie, il sera le premier compositeur russe à nourrir ses ballets de
danses et airs folkloriques tout en adoptant un langage plutôt moderne. La
nomenklatura de Staline n'aime pas trop la musique moderne taxée de
"dégénérée" comme je l'ai souvent évoqué dans ces pages. L'intérêt du
compositeur pour les musiques traditionnelles du peuple russe fera passer la
pilule (pour un temps).
Khatchatourian
composera même l'hymne de la République Socialiste Soviétique d'Arménie
! Un prix Staline en 1941 pour
son concerto pour violon.
Khatchatourian
un cacique inféodée à la culture officielle ? Pas certain.
En 1948, le petit père des
peuples et son valet alcoolique Jdanov décident de nouvelles purges
dans les milieux artistiques. Accusé de "formalisme"
Khatchatourian
se retrouvera lui aussi à faire son autocritique, sur le même banc que
Chostakovitch,
Prokofiev,
Miaskovski
etc.
Hormis ses deux grands
ballets
et ses principaux
concertos pour piano
(avec une scie musicale dans l'instrumentation !) ou pour
violon, deux ouvrages dédiés respectivement à
Lev Oborine
et
David
Oïstrakh, la discographie de
Khatchatourian
est modeste. Et c'est dommage car si la dimension folklorique de ses œuvres
et quelques facilités d'écriture ne font pas de
Khatchatourian
un compositeur de premier plan, on aimera la vitalité et la poésie de son
style. Diverses sonates et rhapsodies-concertos tardifs dédiés entre autres
à
Mstislav Rostropovich
ou
Leonid Kogan
devraient connaitre la reconnaissance par le disque.
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2001, Odyssée de l’espace - le vide cosmique et l'adagio de Gayaneh |
En juin 1941, les nazis envahissent la Russie. Dans un pays où les purges
ont décapité les officiers d'une armée mal préparée et institué un régime de
terreur, les désastres militaires se succèdent. La dictature en danger va
exiger de toutes les forces du pays, en tête les artistes, de galvaniser
dans leurs œuvres le sentiment patriotique (comprendre porter au pinacle le
régime).
La musique de
Gayaneh
a été composée en 1939 et son livret bien dans la ligne de ces
exigences vont être peaufinés et chorégraphiés. À travers une histoire
simplette et héroïque,
Khatchatourian
en a profité pour composer une grande fresque folklorique à grands renforts
de danses villageoises.
En deux mots : Gayaneh est une
jeune femme, l'égérie de son Kolkhoze. Elle est la fille d'Avanes
le responsable dudit Kolkhoze. Ensemble, ils capturent un étranger, un
espion spécialisé dans les secrets géologiques !? Les "esprits faibles" sont
sensibles au discours de l'homme, mais l'amour de la patrie et du travail en
collectivité prôné par
Gayaneh aura raison de
l'horrible traître… Le ballet se termine sur un hymne au régime communiste ;
Gayaneh vivra heureuse et aura
beaucoup d'enfants.
Pardon Sonia ? Ce n'est pas dans l'argument ça ? Ah bon !
Cette histoire est un peu débile, d'une naïveté à l'évidence adaptée aux
exigences politiques de ces temps de guerre. Mais la musique s'appuyant sur
des thèmes folkloriques et une orchestration faisant appel à de nombreux
instruments typiques, il en résulte une partition assez sympa, surtout dans
la forme suite. Et quand je parle d'orchestration rutilante, jugez un peu de
la fantaisie :
3 flûtes + picolo, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette
basse, saxophone alto, 2 bassons, 4 cors, 4 trompettes, tuba basse,
timbales, triangle, tambourin, 2 caisses claires, grosse caisse, cymbales,
tamtam, Doyre (tambour arménien) et doli (djembé caucasien),
xylophone, marimba, vibraphone, chimes, célesta, piano, 2 harpes et les
cordes…
En 1962,
Aram Khatchatourian
a donc gravé à Vienne cinq des tableaux les plus représentatifs du ballet.
Il faut noter que le compositeur allégera sa partition en 1952 et 1957 après
la déstalinisation.
danseuses jouant des doyres |
1 – La danse du sabre
: l'extrait le plus célèbre, intervient dans le final du ballet. Cela
explique la furie symphonique, pas très légère, la virilité et le ton de
réjouissance générale qui la caractérise. On y discerne une forme
tripartite. Une introduction presto, virulente voire féroce au rythme
implacable déchaîne l'orchestre. Une partie centrale plus calme propose un
autre motif chanté par les cors et le saxophone. Les premières mesures sont
reprises da capo avec quelques notes trépidantes sur le marimba.
Khatchatourian lance le plus bel orchestre
du monde à l'assaut des portées de manière paroxystique mais en ciselant
toutes les nuances. Pour une fois cette musique respire à la fois frénésie
et clarté, gommant ainsi une légère vulgarité parfois reprochée.
2 - Le réveil d'Ayshe et danse
[2:25] :
Khatchatourian
n'aime pas les airs trop longs. Exception pour cet extrait. Une lumière
sombre aux sonorités brumeuses des bois et des percussions dominant le
discours. [3:53] Une danse rythmée et galante dans laquelle on retrouve une
orchestration concertante et chamarrée suit le réveil (harpe, saxo,
tambourin…). Je me demande dans quelle mesure le thème principal de la B.O.
de
Basil Poledouris
pour le film
Conan le Barbare n'a pas été
pompé in extenso à partir de ce passage ?
Dohl (Doli) |
4 – Adagio
: [10:21] ce tendre et sensuel mouvement a été immortalisé par
Kubrick. Il se présente comme
un thrène sans motif très défini. On ne trouve pas de formes très imposées
dans
Gayaneh, juste une valse dans la conclusion. C'est en cela qu'une certaine
modernité de l'écriture rejoint une musique non intellectuelle dédiée à la
danse, au spectacle. Un passage rêveur, nocturne, sans complaisance ni
pathos. Seules les cordes sont sollicitées hormis quelques notes de
harpes.
5 – Gopak
: [14:38] Dans la sélection préparée par
Khatchatourian
pour ce disque, il faut avouer que le choix de Gopak n'est pas le meilleur.
L'écriture apparaît plus brouillonne que dans les autres morceaux. Par
contre, on ne peut nier au compositeur-chef un sens de l'humour marqué. Et
si à la manière de
Chostakovitch
dans ses symphonies, les excès de réjouissance patriotique n'étaient que
parodie ?
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Le ballet complet dure deux heures et comporte une cinquantaine de tableaux
d'intérêt divers. Pour achever ce billet, je suggère une écoute des extraits
de Spartacus et de Gayaneh réunis sur le CD sous la direction du compositeur.
Vidéo 2 : Aram Khatchatourian - Spartacus
Suite n° 2 - 1 : Adagio
Suite No.1 - 3. Variation d'Egine et Bacchanales
Suite No.1 - 4. Scène et Danse avec Crotala
Suite No.1 - 5. Danse des Gaditanae & Victoire de
Spartacus
Nota : contrairement à ce que mentionne You Tube, l'orchestre est bien
la Philharmonie de Vienne et non celle de Berlin !!!
Khatchatourian... Son concerto pour violon n°1 pour et (surtout!!) par David Oïstrakh est une des immenses merveilles que j'emmènerais sur la fameuse ile déserte. Je l'écoute depuis mon enfance et j'ai beau la connaitre par coeur, c'est toujours un régal!! Sans compter le son fabuleux si caractéristique de David Oïstrakh. Un son que je reconnais toujours en écoute à l'aveugle, l'ayant dans l'oreille depuis plus 40 ans!!!
RépondreSupprimerEt bravo pour votre blog que je consulte régulièrement, une mine d'informations à l'éclectisme bienvenu!!!
Merci jenlain pour ces mots qui feront plaisir à tous les joyeux drilles du Blog :o)
SupprimerLe concerto pour violon... Je ne le connais pas très bien. A réviser... Je prends note du conseil.
Merci pour ce blog et tous ces compte-rendus discographiques !!! Le site est vraiment passionnant.
RépondreSupprimerQuant à Khatchaturian, et l'adagio de Spartacus (la scène d'amour), pour moi c'est comme la danse des heures de Ponchielli : depuis Fantasia, je ne peux plus écouter cette musique en gardant mon sérieux, je vois partout des autruches qui font des pointes. Et pour la superbe musique de Spartacus, depuis l'Age de Glace n° 2, c'est pareil...
http://www.youtube.com/watch?v=HBoacMoSa1k