vendredi 13 octobre 2017

UN BEAU SOLEIL INTERIEUR de Claire Denis (2017) par Luc B.



Voilà un bien beau film de Claire Denis – et quel joli titre ! - entièrement axé autour de l’actrice Juliette Binoche, qui resplendit à chaque seconde, c’est rien de le dire… Et autour d’elle, papillonne un sacré casting. Le scénario a été écrit par la romancière Christine Angot, dans lequel ensuite la réalisatrice à piocher ci et là pour construire son récit.

Claire Denis
Celui d’Isabelle, une artiste peintre de 50 ans, en pleine crise amoureuse et sentimentale. Le film commence par une scène d’amour, joliment filmée, au plus près des corps, de la peau, dont on ne masque pas le passage des ans. Lui c’est Vincent (formidable Xavier Beauvois), un banquier odieux et maniaque, dès la seconde scène, long dialogue à un bar d’hôtel. Vincent est horripilant avec le serveur, et on souhaite beaucoup de courage à Isabelle de vivre avec un type comme ça. Marié, en plus, et qui, lui dit-elle, ne quittera pas sa femme…
Le film va suivre Isabelle d’hommes en hommes. Le début peut sans doute déconcerter, des séquences longues, dialoguées, dont on comprend ensuite comme elles se connectent entre elles, comme celle, cocasse, avec la galeriste Maxime, jouée par l’épatante Josiane Balasko, dialogue où Isabelle s’empêtre dans son phrasé, bien à l’image de son état mental. On va comprendre la structure du film, succession de rencontres, dont on maîtrise mal la chronologie, mais qu’importe, là est justement l’intérêt, construire le portrait du personnage central, fil conducteur de l’intrigue.


Il y aura un acteur alcoolo, joué par Nicolas Duvauchelle, indécis, et ce voisin Mathieu, croisé à la poissonnerie, gentil bonhomme lunaire, qui ne cesse d’inviter Isabelle dans sa maison de campagne héritée de ses parents, auquel le chanteur/comédien Philippe Katerine apporte sa touche décalée. Il y a la bonne copine, heureuse en ménage (« avec mon mec, ça va de mieux en mieux » le truc à ne pas dire !) occasion d’une superbe scène dans les toilettes d’un restau, où Binoche, dans un long monologue déploie toute les facettes de son talent. Elle passe d’un sentiment à un autre en un clin d’œil, mise à part Isabelle Huppert, ça fait un moment que je n’avais pas vu une telle maîtrise dans la subtilité du jeu.

On va en apprendre un peu plus sur Isabelle, par touche, au détour d’un dialogue, le fait qu’elle soit divorcée, avec une gamine de 10 ans, et un ex-mari, François (Laurent Grevill) avec qui elle recouche à l’occasion. A chaque fois, comme avec Vincent le banquier dans la première scène, les ébats d’Isabelle se finissent en eau de boudin, par une réflexion, ou un geste déplacé de son amant du moment. De là à dire que les hommes sortent grandis du film…

On s’aère dans la Creuse, pour une ballade à la campagne, Isabelle et sa bande de mecs, des moucherons autour d’une ampoule, dont Fabrice le lourdingue, snobinard, qui ne croit qu’aux classes sociales. Pourquoi Isabelle irait s’emmouracher d’un prolo ou d’un banquier, non, ce qu’il lui faut c’est un gars comme lui, cultivé, de son milieu ! C’est le réalisateur Bruno Podalydès qui joue le rôle. Parmi la petite bande, il y a un personnage joué par le musicien Bertrand Burgalat. C’est sans doute la limite d’un tel casting, Burgalat n’a que quelques répliques, mais on sent qu’il n’est pas acteur… Face aux partitions des autres, le contraste est saisissant. Comme Paul Blain (fils de Gérard Blain) dont le rôle ne m’est pas apparu bien dessiné.
Dans le genre troisième rôle de luxe, on a Valeria Bruni-Tedeschi, qui n’apparait que quelques secondes, dans une voiture, auprès sans doute, de son mari. L’ambiance n’est pas au mieux… Le mari en question, c’est Gérard Depardieu. C’est avec lui que se conclut le film, de la plus belle manière (fameuse idée de ce générique qui défile alors que la scène se prolonge). Qui est-il ? Un confesseur, un psy ? Non, un voyant ! Qui fait le point sur la vie d’Isabelle, ses hommes, son avenir, et qui, a-t-on l’impression, aurait tout de même l’idée de se placer !! D’où la scène précédente, dans la voiture. Dans ce film, peu de choses sont laissées au hasard.
Cette séquence est tournée entièrement en champ contre champ, cadrée serré, fixe (le même effet que l'apparition de Marlon Brando, en clair obscur, à la fin dans "Apocalypse Now" !). Jamais Depardieu et Binoche ne sont dans le même cadre. Effet recherché, ou planning de travail incompatible… C’est à la fois dommage, et grandiose ! En 10 minutes, Depardieu remplit l’écran de son humanité et son regard bienveillant, il éclipse presque tout ce qu’on a vu avant. Gégé est tout bonnement génial, dès qu’on lui colle une caméra sous le nez.
UN BEAU SOLEIL INTERIEUR pourrait rebuter, plomber l’ambiance. Au final il n’en est rien, Claire Denis a fait un film vivant, qui scrute les affres sentimentales d’une femme qui ne veut pas croire qu’à son âge, la vie amoureuse s’arrête. Elle le hurle comme un mantra. Elle cherche la perle, et se trouve elle-même. Le casting, la mise en scène si précise, intelligente, les dialogues, et l’interprétation de Juliette Binoche, d’une telle sincérité, d’une telle justesse, emportent tout. Un film de femmes, pour les femmes, mais pas que…
 couleur  -  1h30  -  format 1:1.78 
         

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire