Qui se souvient de Kick-Axe ? Ou plutôt qui connaîtrait Kick Axe ? En France, ceux qui ont connu leur poignée de disques ne doivent pas être bien nombreux. En Europe guère plus.
Pourtant, leur premier disque, sorti en 1984 sur le label Pasha de Spencer Proffer, en avait secoué plus d'un. Notamment avec son titre "Heavy Metal Shuffle". Véritable hymne au "Stadium Heavy-Metal" doté de la puissance d'un Hummer 6.6 en mode rouleau compresseur, ou plutôt d'un char d'assaut M60 Patton. Absolument jouissif bien que gorgé de stéréotypes . Le son y est énÔrme, la production chirurgicale, et la musique est le cri de guerre d'une bande de vikings impatients d'en découdre et assoiffés de décibels. "Vices", l'album, est l'ode d'une bande de barbares sanguinaires, essayant de prouver leur valeur de guerrier autrement que par de féroces conflits meurtriers. Essayer, autrement que par les armes, d'être assez dignes pour être accepté au Walhalla.
La naissance de ce groupe de Regina (Saskatchewan, Canada) remonte à l'année 1976. Déjà en quintet, avec un claviériste à plein-temps, le collectif s'appelait Hobbit. De cette première mouture, seul Larry Gillstrom (guitare) et Victor Langen (basse) résistent aux dures épreuves qui jonchent le parcours des jeunes groupes. La formation à cinq membres ne tient que quelques mois avant de passer en trio. Et changer de nom pour Kick Axe.
Il faut attendre 1978 pour que la troupe se stabilise, temporairement, avec l'arrivée d'un second guitariste, Raymond Arthur Harvey. Le poste de claviériste à temps plein est alors définitivement abandonné. L'année suivante, le groupe entre en studio pour enregistrer son premier disque. Cependant, à ce jour, ces sessions n'ont toujours pas été l'objet d'une publication. Il faut attendre 1979 pour avoir une première trace discographique sous la forme d'un humble 45 tours ; puis 1981 pour un second (dont un "Weekend Ride" dans la continuité d'un Nugent).
En 1983, enfin, c'est le tournant. Ils signent avec Pasha Music Organization ; le label désormais connu - et envié - pour avoir propulsé un vieux groupe de Los Angeles, sur qui plus personne ne voulait investir un kopeck. En l’occurrence il s'agit de Quiet Riot dont le disque "Metal Health" en devenant n° 1 aux USA avec plus de 6 millions d'albums vendus (merci Slade) a réveillé et affolé tous les cadres des maisons de disques d'Amérique du Nord.
En 1984, Kick Axe est à son tour, mais évidemment dans une bien moindre mesure, projeté vers le succès. Ça commence doucement avec une version de "30 days in the Hole" d'Humble Pie pour la comédie "Up the Creek" de Roger Butler (en français "Les branches du bahut" ... ), et on enchaîne dans la foulée l'attendu premier 33 tours.
C'est une surprise. D'abord la production, excellente, allie puissance et détail, le tout avec un équilibre souvent absent chez les jeunes prétendants de l'époque qui n'ont que trop rarement droit au même traitement. Même la basse est parfaitement audible alors qu'en ce temps-là elle était parfois étouffée par la batterie (cette dernière souvent trafiquée par la production). "Vices" projette l'auditeur dans un monde de Heavy-metal-glam de comics luxueux galvanisant. Voire rafraîchissant par rapport à tous les grimaçants de l'époque, obnubilés par la vitesse d’exécution, la hauteur de leur mur d'amplis, la noirceur de leurs textes et leur look de barbare post-apocalyptique de série Z. Kick Axe, lui, a un chanteur, un vrai, capable d'alterner entre la bête sauvage et le poète transi. Capable de rugir comme de s'épancher avec passion. Enfin ... bien majoritairement, ça rugit 😁. Ça module tout en rugissant, et sans frôler l’apoplexie. Les guitares s'appliquent à imposer une ambiance avant de chercher à se faire valoir avec des soli exubérants. Fait rare à une époque où les soli massacrés au Floyd-rose étaient un passage obligé. Souvent un supplice pour l'auditeur. Il n'y a d'ailleurs aucun solo démonstratif, aucune longueur solitaire ; c'est du concret. Mais, ce qui a probablement surpris le plus, c'est la dimension des chœurs qui sort des sempiternels chants guerriers et monocordes propres au genre. Grâce à l'apport de quatre musiciens capable de chanter, et non de vociférer, on y trouve des nuances qui sont bien rares dans la sphère Heavy-Metal. C'est un peu comme si on avait repris l'héritage vocal des Beatles pour le transmuter en lui injectant de fortes doses de Métôl.
A l'inverse du premier opus qui ne fait pas dans la demi-mesure en tentant de passer en force, tels les géants de Jötunheim déferlant en cohue colossale et bruyante sur l'ennemi, ce second essai ferait plutôt dans la dentelle. De la dentelle d'acier, forgée par les elfes noirs, les dökkalfars, raffinée mais indestructible, souple et inusable.
Alors que le premier opus débutait dans une avalanche de guitares saturées, de hurlements de berserkers, de martèlements de Mjöllnir, celui-ci s'ouvre sur un monde nettement plus éduqué, civilisé, aristocrate. Un changement radical d'apparence qui avait fait fuir bon nombre de fans de la première heure. Et pourtant, cet album n'en est que meilleur. Le premier, "Vices", est un produit Heavy-Metal (à 89 %), tandis que "Welcome to the Club" renoue avec ses racines Heavy-rock. Un Heavy-rock fringant, élégant et riche, qui évite de se compromettre avec le Hard-FM. Contrairement à ce qui a parfois été écrit à sa sortie. Une qualification bien hasardeuse et précipitée qui doit s'expliquer par le choc généré par le fossé séparant les deux 33 tours. En fait, c'est toujours du costaud, du robuste, du Kick Axe ! Ces gars-là ont dû faire des immersions en tant que bûcheron dans les sombres et denses forêts éloignées du Nord de la province d'Alberta. Avec pour seule compagnie des gros barbus, des ours et des carcajous (la différence entre les trois espèces étant souvent ténue). Ou alors ils sont la réincarnation d'antiques vikings. Peut-être les deux.
Rien que cette pochette. A l'époque où l'imagerie du Heavy-Metal et du Hard-rock pêchait par un excès de caricatures de l'héroïc-fantasy, de monstres de "séries B" divers, et de navrantes compositions érotiques de bas étage. Une illustration atypique, mystérieuse et de caractère, qui aurait pu être l'oeuvre d'Hipgnosis (Genesis, Pink Floyd, Led Zeppelin, Wishbone Ash, Bad Company, UFO, Electric Light Orchestra, Black Sabbath, Rainbow, Scorpions, 10cc, Pretty Thing, Renaissance). Une présentation faite pour attirer l’œil et surtout se démarquer du tout venant du moment (présentation souvent rebutante, honteuse, proche d'un irrespect absolu envers le groupe et ses fans). Rien qui se rapporte à l'imagerie stéréotypée et souvent sans imagination, essayant bien maladroitement de copier celles servant d'écrin aux gros succès. Et puis que vient donc faire au milieu cet innocent bambin à l'air angélique ? Toutefois, le "Hellraisers - Fan Club" inscrit sur la porte entrouverte indique que l'on ne s'est peut-être pas trompé d'adresse.
A l'image de sa pochette, ce "Welcome to the Club" s'illustre par une volonté de se différencier de la scène Heavy, de proposer autre chose.
Ce qui est évident dès les premiers instants, quand surgit le riff principal du titre éponyme, tranchant comme un scalpel. Comment donner tant de puissance et de consistance à un son clean ? Ça sent à plein nez la guitare stratoïde (une Charvel ? Ou simplement une Strato à l'électronique révisée) qui a du corps et du cœur (et certainement saupoudrée d'un pudique phaser). Derrière, la section rythmique semble ronger son frein, prêt à tout moment à lâcher les gaz. Le chant de George Criston est robuste, hargneux, sans perdre le sens de la mélodie. On a même droit à une chorale aux sonorités paroissiales.
Une basse élastique qui claque un rythme funky, des bruits de verres brisés, des rires, un chanteur extraverti, un riff lourd se calant sur la basse : tout ça c'est "Feels Good - Don't Stop". Dans la lignée d'un Van-Halen funky (entre "Fair Warning" et "1984"), la guitare pyrotechnique en moins et "Another bit the Dust" de ... de ... de qui déjà ?
"Comin' After You" aurait pu faire fondre le cœur des midinettes si ... au bout d'une minute et des poussières, les guitares ne revenaient en force avec un riff carré et sauvage, avançant d'un pas décidé, fracassant les portes et bousculant tout sous leur passage. Des couplets éthérés viennent casser le rythme, mais en rehaussant la teneur mélodique, avant de reprendre de plus belle.
Heavy-rock plus conventionnel avec "Make Your Move" qui se s'embarrasse pas d'un riff marquant. Cela aurait pu être redondant s'il n'y avait ce chant convaincant et ce refrain qui invite à être repris. "It's time to make your move ! Prove, what you've gotta prove ! Make no excuse ! Take your place in the race. If you don't step on it, it'll be a waste" (ce n'est pas de la poésie non plus)
Après le faux espoir de "Comin' After You", les jeunes filles sensibles peuvent enfin vraiment s'émouvoir sur le délicat et séraphique "Never Let Go", où Criston se prend pour un ange (pour ceux qui auraient déjà écouté un ange chanter). Mais quel dommage d'y avoir greffé cette batterie démesurée, gauche, qui semble ne pas trop savoir comment évoluer dans un contexte plus calme et posé. Tel un éléphant dans un magasin de porcelaine. Finalement, ça part en sucette. On y rajoute un infatigable chorus de guitare et quelques notes de claviers fantomatiques pour rattraper le coup, mais ça ne fait qu'empirer. On sent la volonté de suivre le sillon creusé par "Dreamin' About You" (meilleur moment du précédent vinyl) mais le combo s’emmêle les pinceaux et se vautre lamentablement. Dommage car il y a pourtant de la matière.
La seconde face, marque un retour vers des terres plus rudes, prises dans la tourmente d'esprits se délectant de décibels et de grosses guitares. On y frôle parfois le Heavy-Metal et l'atmosphère du précédent, "Vices". Ainsi, "Hellraisers", en dépit du renfort d'un clavier (qui ne doit se contenter ici que de deux ou trois accords) s'y adonne sans retenu. Cela sans pour autant faire appel à du gros saturax de l'enfer, ça reste largement dans le raisonnable (du genre une simple Boss D-1).
Retour cyclopéen de la batterie, mais cette fois-ci à bon escient pour "Can't Take it With You", qui s'appuie sur une rythmique où une gratte envoie un riff carré, primaire, tandis que l'autre, plus ou moins en roue libre, s'excite sur une wah-wah gazouillante (proche du style de Mick Box). Solo à deux guitares sur deux tonalités distinctes de wah-wah, procurant une sensation de doux vertige (avec des bends, ou des tirés de vibrato, à faire péter les cordes).
Retour au Heavy-Metal avec "Too Loud ... Too Old", que l'on croirait issu de la B.O. du film d'animation "Heavy-Metal" (de 1981), avec ce "je-ne-sais-quoi" du "I Must Be Dreamin'" de Cheap-Trick. Mais ici stéroïdé. La basse est même habillée d'une fuzz pour rajouter en lourdeur. Composition et paroles forts simples ; un hymne au métal lourd. "If it's too loud, you're too old" est évidemment la vieille maxime de Ted Nugent.
"Well this ain't Heaven and this ain't Hell. Just somewhere in between. An awesome sight, it's dynamite like nothing that you're ever seen... I rip another note from my throat. A screaming guitar wails. Ears will bleed, it's guaranteed. We deal in volume sale".
Bien que sur un tempo plus tempéré, "Feel the Power" suit le même ordre d'idées. "Feel the vibration so electric. It can really shake you down. This current flows inside of me. It's like a shock wave underground. I feel my blood surge, I feel my primal urge, I feel the Power... Etc, etc ..." . En comparaison, ces deux dernières pièces, plus conventionnelles, sont plus ternes.
Comme déjà mentionné plus haut, il ne faut pas chercher quoi que ce soit de poétique, ou d'un tant soit peu fouillé dans les textes de Kick Axe. Encore moins un regard critique sur la société. On ne tient pas à se creuser les méninges. Généralement, tout est dit en trois-quatre couplets maximum, et ça tourne autour de la vie trépignante du rocker ; et de ses fabulations.
"... Like demons running wild, we're born to be Hellraisers. Like every mother's child born to be Hellraisers, born to be Hellraiseeerrs !!! ... I feel the heat, I got fever, this fire's outta control. That's what I like, that's what I am ! I'm a Rock'n'Roll !!" Hellraisers. C'est profond non ? 😄
Un final un peu surprenant avec le célébrissime "With a Little Help From my Friends" . L'occasion de rameuter tout le gotha du Heavy-rock canadien. Enfin, n’exagérons rien, juste une partie constituée de Lee Aaron, Andy Curran (Coney Hatch), Rick Emmett (Triumph), John Albani (Lee Aaron), Alfie Zappacosta, Bob Segarini (The Wackers, Segarini), Cindy Valentine (sous-Pat Benatar), Sheron Alton et Brian Allen (Toronto), Ava Cherry (ex-copine du White Thin Duke). Un choix qui démontre bien que l'affiliation avec les Beatles - mentionnée plus haut, troisième porte à gauche - n'est pas totalement une coïncidence.
- "Welcome to the Club" - 4:47
- "Feels Good - Don't Stop" (Kick Axe, Randy Bishop) - 3:22
- "Comin' After You" (Kick Axe, Bishop) - 4:56
- "Make Your Move" (Kick Axe, Bishop) - 3:51
- "Never Let Go" - 5:13
- "Hellraisers" - 4:17
- "Can't Take It with You" (Kick Axe, Bishop) - 3:42
- "Too Loud... Too Old" - 2:51
- "Feel the Power" (Kick Axe, Bishop) - 3:47
- "With a Little Help From my Friends" (Lennon - McCartney) - 4:19
- George Criston - lead vocals
- Larry Gillstrom - guitars, keyboards, backing vocals
- Raymond Arthur Harvey - guitars, backing vocals
- Victor Langen - bass guitar, keyboards, backing vocals
- Brian Gillstrom - drums, backing vocals
La même année, le groupe de Carmine Appice, King Kobra, également produit par Spencer Proffer, reprend à son compte deux compositions du groupe : "Hunger" et "Piece of the Rock".
Malheureusement, "Welcome to the Club" ne rencontre par le succès du précédent.
Raymond Arthur Harvey quitte le groupe en 1986, laissant la troupe continuer en quatuor. L'année suivante, c'est une relégation sur un petit et modeste label indépendant (Mercenary Records). A savoir que passé 1986, Pasha n'a apparemment plus rien produit d’apparenté au Hard-Rock ; son activité semble être mise en sommeil en 1987 et s'arrête en 1988 après deux dernières productions. Abandonné par le staff de Proffer, le groupe se retrouve livré à lui-même et la production en pâtit. Il manque ainsi à "Rock the World" l'éclat de ses prédécesseurs. De plus, l'inspiration n'est plus là. Tout comme la foi et l'envi. Ce n'est plus qu'une caricature de ses aînés, essayant maladroitement de recycler le matériel précédent. La pertinence des mélodies en moins (probablement l'absence d'Harvey). C'est un flop. Le groupe patauge et split en 1988.
Reformation en 2003, avec le chanteur originel, Gary Langen (frère de Victor). Au fil des concerts, on constate qu'en dépit des années d'inactivités, il subsiste encore des fans, des amateurs. Rasséréné par l'accueil du public, Kick Axe enregistre un quatrième disque en 2004, "Kick Axe IV" qui, s'il n'a pas la pertinence de "Welcome to the Club", a tout de même le mérite de retrouver un certain succès. Un album plus sage, plus conventionnel, mais non dénué d'intérêts.
Aujourd'hui, le groupe tourne encore. Certainement occasionnellement.
🎶
Connaissais pas, même de nom. Très très typé années 80: s'ils font des efforts graphiques pour y échapper, le son ne trompe pas, même un fan de Waren Haynes pourrait dater ça assez précisément. Batterie particulièrement grotesque sur With a little help.....
RépondreSupprimerQu'est-ce qui est grotesque ? La batterie elle-même ? Ou le jeu de Gillstrom ?
SupprimerSinon, bien souvent le jeu de Brian Gillstrom s'apparente à un travail de bûcheron, ou de forgeron. "Plus je tape fort, mieux c'est"
Plutôt la batterie....Eh oui, les bûcherons nous font bien du tort, à nous autres, esthètes.
RépondreSupprimerOn en a déjà croisée des comme ça... la batterie, avec les fûts allongés, incurvés, c'est très 80's ! (ça porte un nom ?). A moins que ce soit des didgeridoo... mais ils sont pas australiens...
RépondreSupprimerUne question à Capelo/Shuffle : dans "on en a déjà croisée"... Croisé quoi : la batterie. Donc C.O.D. J'ai accordé au féminin, avec le COD avant l’auxiliaire. Mais accorde-t-on si on emploie le "en" ??? Y'a pas une règle là dessus ?
RépondreSupprimer"Croisé". Ici, c'est simple: quand "en" est COD, le participe reste invariable. De plus, ton accord n'est pas logique, puisqu'il y a une reprise de "en", par "des comme ça": tu mets croisée (singulier) et la reprise est au pluriel.
RépondreSupprimerLa règle avec "en" est dans tous les livres de grammaire. Va falloir que tu te rééquipes. Cher, exhaustif et quand même pour les "pros", Le Bon usage, de Grevisse. Bien moins cher, mais très bien: Les Difficultés de la langue française, Adolphe Thomas, chez Larousse.
Merci m'sieur.
SupprimerY aurait-il des cours du soir de rattrapage ?
SupprimerParfois, quelques révisions feraient du bien ... toutefois, nous sommes encore bien loin des écrits sous "influences SMS ou texto". Non ? Si ... :-(
(cela me rappelle un sketch de Timsit ... )