- Tra La la ♫… Du nouveau M'sieur
Claude, encore du nouveau la ♫ la la lère ♫… C'est logique Ernest Bloch dans le
De-Bloch-Not… ♫ Tralalère ♫…
- Houlà Sonia ! Sacrée
pêche ce matin ! Ma parole, vous êtes passée chez M'sieur Philou pour une
dégustation gratuite avant de venir me voir ?
- Je ne connais pas du
tout ce compositeur. Le Roi Salomon, oui, bien sûr, c'est ce roi de la bible
qui coupait les bébés en deux ?
- Du calme ! Ernest Bloch
est un compositeur du début du XXème siècle. Quant à Salomon, il y a un récit
où il juge à qui appartient un enfant… Vous confondez avec Massacre à la tronçonneuse
!
- Ah, je préfère, j'ai dû
voir ça dans un documentaire sur feu Jean-Christophe Averty et les Raisins
verts… Pour les artistes, là on les connaît bien…
- Oui, un enregistrement
excellent, mais il existe beaucoup de gravures de cette rapsodie, un défi pour
les violoncellistes…
Ernest Bloch |
Schelomo
désigne
le roi Salomon, en allemand avec la prononciation hébraïque. Sans doute
l'ouvrage le plus connu du compositeur. Attention, il ne s'agit pas d'une
musique comparable à celle destinée à un péplum* tourné à Cinecittà dans les
années 60 entre un Maciste au Deblocnot ou un western spaghetti. La trame
de cette rapsodie repose sur une réflexion inspirée du livre biblique de l'ecclésiaste
attribué au roi Salomon, livre de pensées avec ses nombreux proverbes célèbres
comme "vanité des vanités, tout est vanité".
Premier point : qui est Ernest Bloch
?
(*) Par
contre à l'écoute, on pourra noter l'influence de Bloch sur les générations suivantes, et
même entendre de brèves citations dans la musique de Miklos
Rozsa pour le Ben-Hur de William Wyler (1959).
Ernest Bloch est né à Genève en 1880 dans une
famille juive peu pratiquante. La pratique de sa religion se limitera à faire
sa bar-mitzav en 1893. Il va étudier la composition et le violon notamment
auprès du grand virtuose Eugène Ysaÿe. Si de 1904 à 1905, il
reprend la gestion de l'entreprise familiale, la musique devient sa vraie
passion. Il est séduit dans un premier temps par l'école franckiste. En 1905, la rencontre avec l'écrivain
nationaliste juif Edmond Fleg va
changer son destin artistique. La vie spirituelle de Bloch
va être transformée et son inspiration va se nourrir des textes sacrés juifs.
Il va devenir ainsi la personnalité musicale la plus représentative de la
culture israélite. Si Mahler
ou Mendelssohn étaient juifs, leur musique ne
le reflète aucunement. Entre temps, il complète sa formation musicale à Francfort.
Après
quelques années à assurer un poste de professeur à Neuchâtel, il n'arrive pas à
s'imposer comme compositeur et part pour les USA. Il va occuper des postes de
pédagogue à New-York et à Cleveland tout en composant. De 1925 à 1930, il dirige
le conservatoire de San Francisco. Esprit indépendant, il s'écarte de toutes les
écoles dogmatiques du XXème siècle, et reste donc un néo-classique
dans l'âme.
Schelomo témoigne de ce choix et marque la fin des années
d'incompréhension (1904-1916). La consécration va venir dès l'année de la
création à New-York en 1917 de cette
rhapsodie. De cette année-là jusqu'en 1938,
il trouve enfin sa voie, à la fois comme pédagogue renommé et comme chef
d'orchestre. Dès 1938, il ne va plus
quitter les USA. Quand on s'appelle Bloch, il est impossible de se rendre en
Europe jusqu'en 1945. La révélation
de la shoah le plongera dans une période de désespoir et d'impuissance
créatrice. À partir de 1952 jusqu'en
1959, date de sa mort, il se retire
doucement de la vie musicale. Il s'était réfugié depuis 1943 au bord du pacifique, dans l'Oregon, vivant quasiment en
ermite.
Sa
production musicale est importante dans tous les domaines mais reste encore mal
connue et mystérieuse. Ernest Bloch
ne cherchait pas tel un Chostakovitch
à adapter des textes juifs ou comme Bartók
à composer à partir du folklore traditionnel de la diaspora. Était-il croyant ?
Ce n'est pas certain. Juif orthodoxe ? On peut en douter puisque dans sa maison
trônaient un crucifix et une statue du Bouddha…
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Jugement de Salomon (Valentin de Boulogne - vers 1628) |
Je
ne présente plus Mstislav Rostropovitch ni Leonard Bernstein qui bien entendu ont
déjà visité le blog. Je vous renvoie à l'article concernant le concerto pour
violoncelle de Dvorak
pour le premier (Clic)
et à celui dédié à la 9ème symphonie de Bruckner pour le maestro américain (Clic).
La gravure de ce jour est une captation d'un concert avec l'orchestre
national de France dans les années 70.
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Schelomo a été composé en 1916 et créé en 1917. Très
prisée des violoncellistes pour ses difficultés techniques, la rhapsodie est
souvent donnée en concert et la discographie est abondante. Elle enchaîne sans
pause trois parties distinctes. Son orchestration bien que colorée n'est
absolument pas surchargée pour une œuvre de cette époque :
3 flûtes
(dont un piccolo), 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 3
bassons + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales,
caisse claire et grosse caisse, tambourin, Tam-Tam, célesta, 2 harpes, cordes
(source : partition, l'orchestration donnée par Wikipédia est complètement
fausse)
Petit
rappel biblique pour les mécréants : Le roi Salomon, fil de David, aurait régné sur
Israël de -970 à -931 avant Jésus Christ. Il bâtit le premier Temple de
Jérusalem. Considéré comme prophète tant par la chrétienté que par l'Islam, on
lui prête l'écriture du Livre des proverbes, du Cantique des Cantiques, de L'Ecclésiaste,
quelques psaumes et divers textes apocryphes. Bien que la fin de son règne soit ternie par
l'éclatement du royaume, on le considère dans la tradition judéo-chrétienne comme un homme de grande sagesse. (Le jugement
de Salomon : où comment par sa finesse d'esprit, le roi permet de déterminer qui
est la vraie mère d'un bébé en mettant à
l'épreuve deux femmes qui le revendiquent, et non pas en offrant la moitié du marmot à chacune, comme le pense Sonia,
Tsss Tsss.)
Le temple et le palais de Salomon |
1 - Lento moderato : Le
violoncelle introduit l'œuvre par une note tenue (la) au violoncelle, une
sonorité sombre et secrète. Bloch
estimait que seuls violon et violoncelle avaient les timbres qui correspondaient
le mieux aux œuvres de sa période dite hébraïque qui se termine par cette rhapsodie.
On peut imaginer que l'instrument symbolise le prophète confronté à l'orchestre
figurant son peuple… Salomon songe, accompagné
par des accords nocturnes des vents et des harpes. Une chaude nuit de la terre
promise propice à la médiation, aux interrogations, aux inquiétudes. Le
violoncelle semble seul, hésitant, interrogatif lors de la longue descente chromatique
sur un motif ondulant [0:53]. Descente qui va ouvrir la porte à une cadence
rêveuse et incantatoire, empreinte de gravité. Bloch
met en musique sa propre réflexion sur des ténébreuses citations attribuées au
roi comme : "Rien ne vaut la douleur qu'Il cause." et "Tout ceci n'est
que vanité." [1:59] Une
seconde séquence confiée à l'orchestre est rejointe par un thème sinueux voire
lascif du violoncelle qui illumine cette scène. L'orchestration est à la fois
limpide et légère, allègre ; une soirée festive à Jérusalem ? L'écriture est
assez moderniste (Bloch avait fréquenté Debussy à Paris). Le flot mélodique orientalisant
mais jamais kitsch est émaillé par l'intervention de la caisse claire
et de cours arpèges des harpes. Si Rostropovitch
semble comme habité par la pensée du prophète, Bernstein
s'amuse, met en pratique son hédonisme des derniers temps dans cette partition
orchestrale favorable aux effets dionysiaques. À la gravité méditative du début,
s'oppose désormais un jeu puissant entre les pupitres de l'orchestre. Peut-on
penser à un hymne à cette époque triomphante pour le peuple juif et son roi, à
cette période de sécurité et de bonheur dans la grande cité ? La forme est
totalement libre, pas de plan sonate. Le travail d'écriture est subtilement
concertant (solos des bois), les contrastes élégiaques… Une page destinée aux orchestres
colorés, virtuoses et disciplinés !
Salomon n'était pas
qu'un sage penseur. [2:30] La mélodie adopte un ton voluptueux et lascif
évoluant vers un premier passage plus allant, chorégraphique. Salomon aurait eu d'après les textes un
harem de 700 femmes plus 600 concubines et une épouse officielle égyptienne. Dieu
en sera irrité, mais ce passage aux airs dansants peut-faire songer à des soirées
plutôt sensuelles qu'orgiaques… 1301 compagnes ! Même Rockin' ne ferait pas
face je pense.
Harem de Salomon (James-Tissot-1832-1902) |
2 - Allegro moderato : [8:34]
Quelques notes graves des violoncelles sont suivies d'un dialogues concertants
des bois. Bloch exploite des sonorités
fantasmagoriques sensées évoquées le son lointain d'un shofar, instrument fabriqué à partir d'une corne de bélier.
Certaines traditions rapportent que ce sont des shofars et non des trompettes
qui auraient été utilisés pour écrouler les murs de Jéricho… Dans cette seconde
partie, cette évocation du châtiment divin traduit la teneur du morceau : un
combat entre la mélodie nerveuse et tendue énoncée par le violoncelle et un
orchestre au discour morcelé, presque vindicatif. L'orchestration est rude.
N'oublions pas que dans l'ancien Testament, les relations entre Dieu, les
prophètes et les hébreux sont souvent mouvementés… Le conflit
violoncelle-orchestre (Salomon-Hébreux) va évoluer vers le point central et agressif
au centre du passage [11:18]. Les cuivres rugissent, Salomon connaîtra une fin de règne difficile par ses excès
d'autorité. "Vanité des vanités, dit
l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité." Ce verset
revient comme un leitmotiv dans la pensée de Bloch.
Comprendre vanité dans le sens des mots : vain, futile, gloire éphémère.
Pensons à ces tableaux appelés Vanités (très à la mode au XVIIIéme
siècle) représentant les délices de la vie, l'épicurisme, souvent posés sur une
table chargée d'orfèvreries et de mets délicats, avec au centre : un crâne
rappelant l'inéluctable, le retour à la poussière… Le jeu puissant de Rostropovitch entre réellement en conflit
ouvert avec un orchestre national de France
survolté par la baguette de Bernstein.
3 - Andante moderato : [14:50] La
dernière partie se concentre sur une plainte (ou une prière) languissante et accablée
du violoncelle. Au lointain, la timbale traduit une marche hésitante. Un long
solo en cadence discrètement accompagné par une ambiance sombre distillée par
l'orchestre. [17:23] Une seconde idée plus sereine émerge dominée par le chant du
hautbois et des flûtes. Après le temps de la réflexion spirituelle du lento et
les conflits de l'allegro, on ressent dans l'andante comme les regrets d'une
vie inaboutie, du sentiment d'un règne trop long auquel Dieu insatisfait ne
donnera pas de suite, dispersant son peuple. Ce chant du cygne alterne des
sonneries timides des trompettes, des motifs brefs du célesta évoquant les
temps de la splendeur et des fêtes, le tam-tam apporte lui aussi des couleurs
nocturnes d'une cité des mille et une nuits désertée.
Sofar (ou Sophar) |
XXXXXX |
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Parmi
les nombreux enregistrements, le duo Rostropovitch
- Bernstein domine le catalogue. Au CD
présenté, complété par le concerto de Schumann, on pourra préférer l'anthologie
en 2 CD consacrée à Bloch par EMI. On y trouve le concerto pour violon
par Menuhin, les concertos grosso par Mariner et le rare service sacré Avodath
hakodesh dirigé par Maurice
Abravanel. Que du bon (EMI
– 5/6). L'une
de mes gravures favorites : celle de Pierre Fournier
et de l'orchestre Philharmonique de Berlin sous
la direction Alfred Wallenstein. La
souplesse et le velouté du violoncelliste français, la finesse de la prise de
son rendent ce disque incontournable malgré son âge (DG – 5/6 – 1967). Autres
couplages historiques : André Navarra,
grand violoncelliste et pédagogue français, a enregistré avec Karel Ancerl à Prague une interprétation
incandescente (Supraphon – 5/6).
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Le
disque de Rostropovitch - Bernstein et un extrait de la musique de
Ben-Hur montrant l'influence de l'œuvre de Bloch sur des musiques de films
célèbres signées des plus grands des B.O. Ici Miklos
Rozsa.
Très belle oeuvre, d'un grand lyrisme, en effet ! Outre la remarquable version de Fournier/Wallenstein, j'aime bien celle, plus rhapsodique, de Neikrug/ Stokowski, datant peu ou prou de la même époque -1959-.
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