Profession ? Euh…
activistes, disons cela comme ça. Ils en ont des trucs à raconter, les époux
Klarsfeld, leurs Mémoires font mille pages. Des souvenirs à deux voix. Un
chapitre l’un, un chapitre l’autre. Qui éclairent sur le rôle et la personnalité de chacun.
Elle, Beate Künzel, fille d’un
soldat de la Wehrmacht, passe la fin de la guerre ballottée de maisons en
abris, pour éviter les bombardements alliées. Lui, Serge Klarsfeld, passe la
guerre de maisons en planques, pour éviter les rafles de la Gestapo. Son père,
Arno, est déporté à Drancy, puis à Auschwitz, où il mourra, tabassé par un
garde. Le jeune Serge se réfugie en zone sud, à Nice.
En 1960, Beate gagne Paris,
comme fille au pair. Elle connait le français, ce qui lui servira pour
travailler comme dactylo à l’Office Franco-Allemand, puis à y écrire quelques
articles. Cette même année elle rencontre un jeune étudiant à Sciences
Po : Serge. Ils se marient en 1963, et c’est dans sa belle-famille,
qu’elle découvre les horreurs perpétrées par les Nazis, ce dont en Allemagne,
on ne parlait pas. Il y avait eu quelques procès, par contumace, mais pas plus...
Le tournant a lieu en 1966.
Kurt Georg Kiesinger est annoncé comme futur chancelier d’Allemagne. En France,
certains s’émeuvent. Kiesinger avait eu quelques accointances avec les nazis.
Beate est allemande, et se pose des questions... Les époux entreprennent donc une longue et minutieuse enquête, où il apparait que Kiesinger
avait été un cadre nazi influent qui ne pouvait pas ignorer la Solution Finale, contrairement à l'argument souvent mis en avant : "à l'époque, on ne savait pas..." Beate Klarsfeld écrit un article dans le
journal français Combat. Elle est aussitôt licenciée de l’Office
Franco-Allemand. A partir de là, elle consacrera sa vie à dénoncer ces hommes. Mais pas seulement. Car au delà des effets de com' - parfois reprochés - il s'agissait de les trainer devant les tribunaux allemands. Traquer ces nazis
rentrés dans le rang, qu’ils soient politiciens, magistrats, chef
d’entreprises…
la gifle de Kiesinger, 1968 |
Dans les années 60, pas d’ordinateur. Ce que le livre met en lumière, c’est l’ampleur du travail accompli, lecture, compilation, recopiage, photocopie. Sans budget, ou presque. Si Serge travaille un temps dans un consortium céréalier, ses activités secondaires deviennent rapidement gênantes... Licencié ! On s’arrange avec les copains imprimeurs, pour éditer des publications, les envoyer par centaine d’exemplaires à tous les journaux, aux juges, en France, en Allemagne. Ce travail d’activisme consiste à ne jamais rien lâcher. Malgré les innombrables interpellations, arrestations, nuits en prison, Beate Klarsfeld ne renonce jamais. Elle est la bête noire des politiciens, de Kiesinger notamment, qu’elle parvient à traiter de Nazi en public, et plus tard, à gifler devant la presse. Elle finira par avoir sa démission.
arrestation à Santiago du Chili, 1984 |
Dans les années 70, les
Klarsfeld pourchasseront Ernst Achenbach, politicien allemand très en vue
devant être nommé comme délégué allemand à la CEE. Viendront le tour Herbert Hagen, et Kurt
Lischka avec le récit rocambolesque de son
kidnapping par Beate et une bande de branquignols (elle sera
condamnée à deux mois de prison), pour le faire juger en France !
Et commence la traque de Klaus Barbie, planqué sous le nom de Klaus Altman en Bolivie, repéré dès 1971, jugé en 1987. Là encore, Beate Klarsfeld est en première ligne, en Amérique du Sud, en pleine dictature, sachant que les ex-nazis y étaient choyés pour leurs réseaux, et leurs savoir-faire en matière de répression, d’interrogatoires… Comme Walter Rauff pourchassé au Chili dans les années 80. Puis, en France, ce sera Paul Touvier, Maurice Papon, René Bousquet, Jean Leguay, fonctionnaires de Vichy. Les Klarsfeld indisposent les autorités françaises (Bousquet / Mitterrand), mais dans les années 90, la LICRA et d’autres organisations prennent le relais, les Klarsfeld ne sont plus seuls.
Munich, 1971 |
Autre travail colossal, les ouvrages de Serge Klarsfeld, où il a réussi à tracer les 75 000
juifs français déportées, quel jour, dans quel train, vers quelle destination,
une sorte de trombinoscope macabre, mais au combien nécessaire pour les
familles et les survivants. Et qui devait aussi servir de preuves pour les
procès, notamment ceux des français Touvier ou Papon.
La lecture de ce pavé est assez
passionnante, disons-le aussi parfois redondante comme les passages retranscrits
du journal de campagne de Beate entre 1968-69, quasiment jour par jour, sur sa
traque de Kiesinger. Mais quelle ténacité, quel culot, quel courage (ils se
sont fait beaucoup d’ennemis, et ont plus d’une fois réchappé à des attentats)
quel destin, quelle vie ! Là, le terme de Mémoires n’est pas usurpé.
C'est pas très vieux, tout ça. On attend la même chose chez nous pour la période de la Collaboration: hauts et petits fonctionnaires, industriels, juges, gendarmes, militaires, policiers...recasés tranquillement après qu'on eut occis quelques lampistes trop voyants. Les pouvoirs n'aiment pas, n'aimeront jamais qu'on ouvre les cartons.
RépondreSupprimerLes Klarsfeld n'auront raté, et d'importance, qu'une chose: leur fils.
Les lanceurs d'alerte et autres activistes ne sont pas aujourd'hui mieux traités et il faut avoir une sacrée dose de courage et d'inconscience pour continuer.
Vive!
RépondreSupprimer