- Dites donc M'sieur Claude, on dirait du Beethoven, mais vachement pêchu
si je puis me permettre ! Vous confirmez ?
- Oui Sonia, la formulation est triviale, mais c'est tout à fait cela…
Une 4ème symphonie de Beethoven rendue à sa quintessence
romantique et épique…
- Un CD reflet du live que vous proposez, ce n'est pas courant… Qui est
ce monsieur un peu dégarni, un chef qui fait son entrée dans le blog
?
- Non, nous avions déjà apprécié son enregistrement hors norme de la
musique de scène Peer Gynt de Grieg, il y a un bail, c'est exact, il y a
cinq ans précisément…
- Il parait que les symphonies paires ont moins la cote que les impaires
(1, 3, 5, 7, et la 9 bien sûr, toutes déjà commentées). Bizarre ça !
- C'est vrai qu'à part la 6ème dite "Pastorale", les chefs les
boudent un peu. Pourquoi ? Mystère ! Mais là, avec Paavo Järvi, on
retrouve la fougue de la 5ème…
Paavo Järvi (né en 1962) |
7ème année de ma participation au Deblocnot' ! Il m'a toujours
paru comme "messianique" 😇 de chroniquer l'intégralité des cycles
symphoniques de certains compositeurs : Mahler, Bruckner, Schumann, Brahms, Sibelius et bien entendu le plus célèbre de tous : Beethoven. Beethoven qui par
ses 9 symphonies
fera évoluer le genre de l'époque classique au romantisme fougueux et dont
la
9ème
et son ode à la joie deviendra l'hymne européen. Toutes les symphonies
impaires ont déjà été commentées ainsi que la sixième
dite "Pastorale", la plus aimée des symphonies paires.
Autre règle que je m'impose : changer à chaque fois d'interprète.
(Exception : Carlos Kleiber
et son CD légendaire des 5
& 7, mais néanmoins en concurrence avec son père : l'autocratique Erich). Il existe des centaines d'enregistrements de ces symphonies depuis
l'invention du gramophone. Le choix est donc immense, et ma sélection
n'établit en rien un podium de références absolues, un concept qui m'irrite un peu, comme le savent mes lecteurs les plus assidus. Les vrais fans de Luwig
collectionnent la plupart du temps les intégrales ou des albums isolés
offrant des conceptions des plus variées voire opposées…
Récemment, en me baladant sur Youtube pour trouver un disque sympa consacré
à la 4ème symphonie
de 1806, j'ai écouté ce live
édité aussi en CD d’un concert de Paavo Järvi
et, sa direction incisive et échevelée m'a séduit d'emblée. Avec son
orchestration à la Haydn, cette œuvre située dans le catalogue entre la fabuleuse 3ème Héroïque
et la cataclysmique 5ème "pam pam pam paaam"*
m'apparait comme une pause épique dans le parcours du compositeur et, comme
je le dirai dans la discographie sélective, on peut s'interroger sur la
pertinence de chercher de la métaphysique psycho-philosophique dans une
composition où la verve et l'humour transpirent souvent.
Sans doute une interprétation que certains trouveront brute de décoffrage,
avec un orchestre qui n'est ni la
philharmonie de Vienne
ou celle de
Berlin, avec ses cordes un peu râpeuses, mais bon sang, quel punch ! En
1806, Beethoven est en pleine galère, mais cela n'en fait pas pour autant un
mystique extatique…
(*) Heuu, vous êtes balaise en math M'sieur Claude, la 4ème
symphonie située entre la 3 et la 5, c'est fort…
- Ne ricanez pas stupidement Sonia ! Beethoven composait sans doute trois
symphonies à la fois (4 à 6) et les vendaient à ces commanditaires suivant
ses besoins financiers, il y a du flou entre la chronologie réelle des
compositions et leurs publications… pff, donc 1806 :
Beethoven vers 1806 |
Si 1805 lui a laissé un goût amer après l'échec de Fidelio, son unique opéra au sujet libertaire et révolutionnaire, l'année 1806 sera très
féconde. Jugez-en : le concerto pour piano N°4, novateur dans la forme et très intimiste sur le fond, les trois quatuors Razoumovski, et le concerto pour violon
de dimension imposante. Et, pour affranchir Sonia, les ébauches des 5ème et 6ème symphonies. Une période considérée comme heureuse pour le compositeur, qui a déjà
pris une grande place dans le monde musical et imposé son style. La 4ème symphonie opus 60
est donc bien l'œuvre d'un homme plus serein voire bonhomme et cela
s'entend. À 36 ans, Beethoven
n'est pas encore l'homme meurtri par le handicap sévère et plongé dans le
doute permanent des dernières années de sa vie. Voir la plupart de ces
œuvres commentées en consultant l'index.
La symphonie sera créée en mars
1807. Elle est le résultat
d'une commande du comte
Franz von Oppersdorff. Beethoven lui destinait sans doute l'une des symphonies 5 et 6, mais
il est possible qu'il ait "vendu" d'avance ces deux magnifiques partitions à
d'autre débiteurs… Un courrier du maître daté de
1808 prie le comte de l'excuser
de ces valses-hésitations.
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Le chef d'orchestre estonien Paavo Järvi
a déjà fait la une lors d'une chronique consacrée à Grieg. On y trouvera des informations sur ce maestro, fils de Namee Järvi, autre chef illustre. Paavo Järvi a
quitté l'Orchestre de Paris
en 2016 après six ans de
contrat pendant lesquels il a amené l'orchestre de la Capitale à un niveau
élevé après le passage en demi-teinte de Christoph Eschenbach, enfin c'est mon avis. Il faut dire que le chef allemand ne disposait au
départ que du
Théâtre Mogador pendant la
reconstruction de la salle Pleyel ! C'est bien pour la cérémonie des
Molières, mais 1600 places et une acoustique à la noix n'ont pas été des
avantages pour Eschenbach.
Pour cet enregistrement, Paavo Järvi
dirige le Deutsche Kammerphilharmonie, un orchestre de dimension modeste basé à Brème. Un orchestre
récent, créé en 1980 au service de jeunes artistes. (En allemand, Kammer
veut dire chambre).
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Palais Lobkowitz où eut lieu la création |
1 - Adagio – Allegro vivace :
Un pizzicato des cordes marque l'entrée d'un accord tenu sur cinq mesures
par les bois et les cors mais sans les hautbois ; un accord riche à la
sonorité empreinte de mystère, nocturne et secret. À la seconde mesure, un
thème languide et grave, aux cordes précède une marche hésitante du basson
et des cordes, marche évoquant la recherche d'un chemin sous la ramure ou
l'éveil dans une chambre plongée dans une clarté ambrée ; la lumière et les
pensées restant encore indistinctes… Ces métaphores qui me viennent à
l'esprit montrent que nous sommes bien dans un climat romantique voire
symbolique. Bien plus qu'une introduction calme destinée à capter
l'attention, cet adagio développe assez longuement ses motifs charmeurs. Ô à
l'évidence, pas du tout une intro de symphonie de pur divertissement…
[2:51] L'allegro va nous empoigner par de violents accords syncopés en
tuttis ff ! Pas de lézard,
l'énergie pugnace et la vaillance voulues rappellent ce que l'on retrouvera
par deux fois dans la
5ème symphonie
: l'immortel
pam pam pam paaam introductif et
l'accord parfait ascendant du final. L'allegro s'écarte des musiques du
passé, divertissantes même si passionnées, mais conserve la forme sonate. Beethoven
nous entraîne dans une danse un peu folle où les thèmes joyeux
s'entrecroisent entre tous les pupitres. En lisant les préambules de ce
papier, on pouvait imaginer un retour au classicisme. Pas du tout, la
puissance festive et les transitions facétieuses revêtent la robustesse
héroïque
de la
3ème symphonie, pierre fondatrice du romantisme. La coda, complexe et virulente, confirme
la parenté de l'œuvre avec les grandes symphonies de numéros impaires. La
direction musclée de
Paavo Järvi
surprend par ses tempos vigoureux, sa clarté, un dynamisme combatif. Les
admirateurs de
Furtwängler au style si métaphysique seront déroutés.
Paavo Järvi
aurait-il retenu les leçons de
Nokolaus Harnoncourt
qui revenait dans cette œuvre à un phrasé taillé à la serpe pour mettre en
relief la cinglante polyphonie de Beethoven ?
Franz von Oppersdorff |
2 – Adagio
: [11:25] Après un premier mouvement tourné vers l'avenir avec sa profusion
de motifs et sa durée imposante, Beethoven
nous offre un mouvement méditatif de même intérêt. Les cordes entonnent une
mélopée rythmée et élégiaque. Un duo clarinette et basson intervient pour
chanter le premier thème, un chant gracieux qui va serpenter au sein des
divers épisodes de l'adagio. Nous n'écoutons pas un adagio très lent, ou
alors
Paavo Järvi
adopte un tempo proche de celui d'un andante. L'intérêt de ce mouvement
repose dans l'affrontement des phrases tendres et bucoliques et des
interventions plus dramatiques de tout l'orchestre. Les solos des vents,
très nombreux, offrent à cet adagio une variété de climats et d'échanges
orchestraux qui dans la
symphonie héroïque
révolutionnait le langage symphonique. [12:47]
Beethoven
rejoue une réexposition du thème initial mais avec des accents pathétiques.
[14:22] Nouvelle idée avec une péroraison presque dramatique dans sa
finalité. Les affres des années difficiles sont-elles encore présentes dans
le cœur du compositeur ? [15:40] Toutes ces variations vont conduire à un
farouche climax qui justifie cette question… Ce principe d'opposer quiétude
et angoisse sera repris quasiment dans toutes les symphonies ultérieures. Ce
style concertant et contrasté du discours trouve sa logique dans la
direction virile de
Paavo Järvi. [18:25] Dans la coda, les chants des cors, de quatre bois séparés
(clarinettes et hautbois), à savoir une savante harmonie baignée dans un
écrin de cordes, préfigurent la conclusion d'une certaine scène aux champs
de la "Pastorale" en cours d'écriture.
3 - Allegro vivace
: [20:44] Dans la
symphonie Héroïque, Beethoven
avait abandonné les dernières séquelles du menuet mozartien, petit mouvement
parfois simpliste qui marquait une pause entre le mouvement lent et le
final. Voici de nouveau un scherzo, un vrai ! Le scherzo met en œuvre une
thématique joyeuse et robuste. On pourra penser à une fête villageoise.
[22:31] Le trio s'articule sur une seconde idée très concertante, un
dialogue très vivant entre les bois. [23:38] Le scherzo sera repris da capo
avec une coda citant le trio. Tout cela enrichit grandement ce mouvement de
transition parfois à la limite du superflu. Un trait vaillant de cors
conclut ce scherzo dont la forme sophistiquée va influencer les successeurs
de Beethoven
jusqu'à la fin du romantisme.
4 - Allegro ma non troppo
: [26:18] Beethoven
continue de nous surprendre avec un final où dominent deux caractéristiques
: la frénésie et l'humour.
Paavo Järvi
a bien compris ce second point en faisant exploser comme un feu d'artifice
les coups de timbales qui ponctuent l'exposé de certains motifs. Les
ruptures de tons et d'orchestration sont légions. Une écriture aussi
virulente a du déconcerter les musiciens de l'époque qui ne disposaient pas
d'instruments modernes très agiles. [30:00] Le duo comique des bassons,
d'une vélocité diabolique, est un exemple de l'exigence du compositeur qui
ne cherchait pas à simplifier son écriture, tant pour ménager les orchestres
formés au jeu classique qu'un public avide de musique facile à suivre. Un
final vertigineux, désopilant, dynamité (dans le bon sens) par
Paavo Järvi. Sans doute la symphonie la plus extravertie et dionysiaque du maître
(avec la
8ème). (Partition)
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Dans une discographie beethovénienne, certains chefs historiques restent
incontournables. Face à des dizaines de publications, faire un choix
définitif est impossible. J'attends d'une interprétation de cette symphonie
qu'elle me surprenne, exalte la jeunesse de la partition.
Eh bien, ô sacrilège,
Wilhelm Furtwängler
m'ennuie un chouia (Vienne 1952). Heu, c'est très relatif. On sacralise ce
chef avec des raisons objectivement pertinentes : beauté du discours, tempo
et legato qui prennent aux tripes, etc.
Furtwängler, c'est d'abord un style, un esprit mystique qui nous entraîne vers les
élans brucknériens. Fulgurant ou hors sujet dans cette symphonie bon enfant,
je ne tranche évidemment pas, tant le phrasé hypnotique séduit malgré un son
d'un autre âge (clarinettes = klaxons). Pour beaucoup une gravure culte (NAXOS
– 6/6).
Évidement
Karajan, dès qu'il a su tenir une baguette a multiplié les intégrales. Un petit
penchant personnel pour la version de la
4ème
en stéréo de 1963 à
Berlin couplée avec l'Héroïque (DG – 6/6).
Carlos Kleiber
adorait cette symphonie et égayait avec tendresse chaque note, au choix : un
live réédité en CD chez
Orfeo ou un concert filmé pour
Philips à
Amsterdam. (L'un ou l'autre - 6/6).
Enfin, j'avais écrit mon commentaire sur la
symphonie
"Pastorale" autour du disque récent de 2010 d'Ivan Fischer avec son
orchestre du Festival de Budapest. Un must moderne complété par la
4ème. Comme toujours, ce chef, aussi peu hédoniste qu'il soit possible,
cisèle
cette symphonie qui retrouve un élan juvénile. (Channel Classics – 6/6).
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Concours d'interprétation via vidéos : Paavo Järvi
lors du concert reporté sur le CD. Puis une interprétation énergique mais
plus traditionnelle de Carlos Kleiber
à la tête de l'Orchestre d'état de Bavière (Orfeo). La salle du Concertgebouw
étant immense, le maestro conduit sous amphétamines. Enfin pour se faire une
idée d'un Beethoven hyperromantique : Wilhelm Furtwängler
dans une gravure réalisée pour EMI à Vienne
de 1952. Un adagio de 12 minutes au lieu de 8 avec Järvi. Une lenteur extatique pour une œuvre parmi les plus optimistes ?! Oui,
bizarre, mais il y a une majesté proche du sacré, style propre au chef qui
s'identifie à la psyché de
Beethoven. Trois styles montrant l'universalité du génie de Ludwig…
La Quatrième est l'une de mes préférées de Beethoven, elle a un côté solaire très agréable.
RépondreSupprimerC'est pourquoi, ma version princeps -parmi une bonne cinquantaine quand même...- est celle de Karajan en 1963 -ses autres versions s'inscrivent dans une optique très différente : Karajan considérait que c'était la symphonie de Beethoven la plus difficile à diriger, et il changea souvent d'avis pour ses différents enregistrements : 1954, encore largement "Kappelmeister" avec le Philharmonia, puis très puissant mais moins lyrique en 1977 et 1985-.
Perfidement, je dirai que le disque de Furtwängler vaut essentiellement pour le concerto pour piano ;-) Je n'aime pas trop sa version de la quatrième, un peu empesée et pataude dans les deux derniers mouvements.
J'aime beaucoup également Kubelik -dans son intégrale DG, avec l'orch.philh. d'Israel- et Carlos Kleiber, d'une grande souplesse ainsi que, dans une tout autre optique, Garidner.
Oui "Solaire" me plaît bien :o)
RépondreSupprimerSur cette symphonie nos choix convergent sensiblement...
Et maintenant, pour le cas Furtwängler, je me sens moins seul !