samedi 3 juin 2017

BEETHOVEN – Symphonie N°4 - Paavo JÄRVI (2007) – par Claude TOON



- Dites donc M'sieur Claude, on dirait du Beethoven, mais vachement pêchu si je puis me permettre ! Vous confirmez ?
- Oui Sonia, la formulation est triviale, mais c'est tout à fait cela… Une 4ème symphonie de Beethoven rendue à sa quintessence romantique et épique…
- Un CD reflet du live que vous proposez, ce n'est pas courant… Qui est ce monsieur un peu dégarni, un chef qui fait son entrée dans le blog ?
- Non, nous avions déjà apprécié son enregistrement hors norme de la musique de scène Peer Gynt de Grieg, il y a un bail, c'est exact, il y a cinq ans précisément…
- Il parait que les symphonies paires ont moins la cote que les impaires (1, 3, 5, 7, et la 9 bien sûr, toutes déjà commentées). Bizarre ça !
- C'est vrai qu'à part la 6ème dite "Pastorale", les chefs les boudent un peu. Pourquoi ? Mystère ! Mais là, avec Paavo Järvi, on retrouve la fougue de la 5ème

Paavo Järvi (né en 1962)
7ème année de ma participation au Deblocnot' ! Il m'a toujours paru comme "messianique" 😇 de chroniquer l'intégralité des cycles symphoniques  de certains compositeurs : Mahler, Bruckner, Schumann, Brahms, Sibelius et bien entendu le plus célèbre de tous : Beethoven. Beethoven qui par ses 9 symphonies fera évoluer le genre de l'époque classique au romantisme fougueux et dont la 9ème et son ode à la joie deviendra l'hymne européen. Toutes les symphonies impaires ont déjà été commentées ainsi que la sixième dite "Pastorale", la plus aimée des symphonies paires.
Autre règle que je m'impose : changer à chaque fois d'interprète. (Exception : Carlos Kleiber et son CD légendaire des 5 & 7, mais néanmoins en concurrence avec son père : l'autocratique Erich). Il existe des centaines d'enregistrements de ces symphonies depuis l'invention du gramophone. Le choix est donc immense, et ma sélection n'établit en rien un podium de références absolues, un concept qui m'irrite un peu, comme le savent mes lecteurs les plus assidus. Les vrais fans de Luwig collectionnent la plupart du temps les intégrales ou des albums isolés offrant des conceptions des plus variées voire opposées…
Récemment, en me baladant sur Youtube pour trouver un disque sympa consacré à la 4ème symphonie de 1806, j'ai écouté ce live édité aussi en CD d’un concert de Paavo Järvi et, sa direction incisive et échevelée m'a séduit d'emblée. Avec son orchestration à la Haydn, cette œuvre située dans le catalogue entre la fabuleuse 3ème Héroïque et la cataclysmique 5ème "pam pam pam paaam"* m'apparait comme une pause épique dans le parcours du compositeur et, comme je le dirai dans la discographie sélective, on peut s'interroger sur la pertinence de chercher de la métaphysique psycho-philosophique dans une composition où la verve et l'humour transpirent souvent.
Sans doute une interprétation que certains trouveront brute de décoffrage, avec un orchestre qui n'est ni la philharmonie de Vienne ou celle de Berlin, avec ses cordes un peu râpeuses, mais bon sang, quel punch ! En 1806, Beethoven est en pleine galère, mais cela n'en fait pas pour autant un mystique extatique…
(*) Heuu, vous êtes balaise en math M'sieur Claude, la 4ème symphonie située entre la 3 et la 5, c'est fort…
- Ne ricanez pas stupidement Sonia ! Beethoven composait sans doute trois symphonies à la fois (4 à 6) et les vendaient à ces commanditaires suivant ses besoins financiers, il y a du flou entre la chronologie réelle des compositions et leurs publications… pff, donc 1806 :

Beethoven vers 1806
1806 : après le gros coup de cafard suite aux premières atteintes de la surdité en 1796, Beethoven a retrouvé toutes ses capacités créatrices. Les années 1796-1802, le désespéré Testament de Heiligenstadt (jamais envoyé à ses frères) et les idées suicidaires semblent derrières lui.
Si 1805 lui a laissé un goût amer après l'échec de Fidelio, son unique opéra au sujet libertaire et révolutionnaire, l'année 1806 sera très féconde. Jugez-en : le concerto pour piano N°4, novateur dans la forme et très intimiste sur le fond, les trois quatuors Razoumovski, et le concerto pour violon de dimension imposante. Et, pour affranchir Sonia, les ébauches des 5ème et 6ème symphonies. Une période considérée comme heureuse pour le compositeur, qui a déjà pris une grande place dans le monde musical et imposé son style. La 4ème symphonie opus 60 est donc bien l'œuvre d'un homme plus serein voire bonhomme et cela s'entend. À 36 ans, Beethoven n'est pas encore l'homme meurtri par le handicap sévère et plongé dans le doute permanent des dernières années de sa vie. Voir la plupart de ces œuvres commentées en consultant l'index.
La symphonie sera créée en mars 1807. Elle est le résultat d'une commande du comte Franz von Oppersdorff. Beethoven lui destinait sans doute l'une des symphonies 5 et 6, mais il est possible qu'il ait "vendu" d'avance ces deux magnifiques partitions à d'autre débiteurs… Un courrier du maître daté de 1808 prie le comte de l'excuser de ces valses-hésitations.
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Le chef d'orchestre estonien Paavo Järvi a déjà fait la une lors d'une chronique consacrée à Grieg. On y trouvera des informations sur ce maestro, fils de Namee Järvi, autre chef illustre. Paavo Järvi a quitté l'Orchestre de Paris en 2016 après six ans de contrat pendant lesquels il a amené l'orchestre de la Capitale à un niveau élevé après le passage en demi-teinte de Christoph Eschenbach, enfin c'est mon avis. Il faut dire que le chef allemand ne disposait au départ que du Théâtre Mogador pendant la reconstruction de la salle Pleyel ! C'est bien pour la cérémonie des Molières, mais 1600 places et une acoustique à la noix n'ont pas été des avantages pour Eschenbach.
Pour cet enregistrement, Paavo Järvi dirige le Deutsche Kammerphilharmonie, un orchestre de dimension modeste basé à Brème. Un orchestre récent, créé en 1980 au service de jeunes artistes. (En allemand, Kammer veut dire chambre).
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Palais Lobkowitz où eut lieu la création
De structure classique, la 4ème symphonie comporte quatre mouvements et son orchestration est très similaire à celle des symphonies n°1 et n°2 : 1/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et les cordes. L'influence de Haydn est patente. D'une part, cette orchestration calque celle des symphonies parisiennes et londoniennes, et d'autre part, le premier mouvement est introduit par un adagio. La 1ère symphonie de Beethoven montrait déjà sa filiation avec le style définitif de l'un des maîtres de Beethoven. Haydn qui mourra en 1809 continue d'inspirer les compositeurs de ce XIXème siècle débutant.

1 - Adagio – Allegro vivace : Un pizzicato des cordes marque l'entrée d'un accord tenu sur cinq mesures par les bois et les cors mais sans les hautbois ; un accord riche à la sonorité empreinte de mystère, nocturne et secret. À la seconde mesure, un thème languide et grave, aux cordes précède une marche hésitante du basson et des cordes, marche évoquant la recherche d'un chemin sous la ramure ou l'éveil dans une chambre plongée dans une clarté ambrée ; la lumière et les pensées restant encore indistinctes… Ces métaphores qui me viennent à l'esprit montrent que nous sommes bien dans un climat romantique voire symbolique. Bien plus qu'une introduction calme destinée à capter l'attention, cet adagio développe assez longuement ses motifs charmeurs. Ô à l'évidence, pas du tout une intro de symphonie de pur divertissement…
[2:51] L'allegro va nous empoigner par de violents accords syncopés en tuttis ff ! Pas de lézard, l'énergie pugnace et la vaillance voulues rappellent ce que l'on retrouvera par deux fois dans la 5ème symphonie : l'immortel pam pam pam paaam introductif et l'accord parfait ascendant du final. L'allegro s'écarte des musiques du passé, divertissantes même si passionnées, mais conserve la forme sonate. Beethoven nous entraîne dans une danse un peu folle où les thèmes joyeux s'entrecroisent entre tous les pupitres. En lisant les préambules de ce papier, on pouvait imaginer un retour au classicisme. Pas du tout, la puissance festive et les transitions facétieuses revêtent la robustesse héroïque de la 3ème symphonie, pierre fondatrice du romantisme. La coda, complexe et virulente, confirme la parenté de l'œuvre avec les grandes symphonies de numéros impaires. La direction musclée de Paavo Järvi surprend par ses tempos vigoureux, sa clarté, un dynamisme combatif. Les admirateurs de Furtwängler au style si métaphysique seront déroutés. Paavo Järvi aurait-il retenu les leçons de Nokolaus Harnoncourt qui revenait dans cette œuvre à un phrasé taillé à la serpe pour mettre en relief la cinglante polyphonie de Beethoven ?

Franz von Oppersdorff
2 – Adagio : [11:25] Après un premier mouvement tourné vers l'avenir avec sa profusion de motifs et sa durée imposante, Beethoven nous offre un mouvement méditatif de même intérêt. Les cordes entonnent une mélopée rythmée et élégiaque. Un duo clarinette et basson intervient pour chanter le premier thème, un chant gracieux qui va serpenter au sein des divers épisodes de l'adagio. Nous n'écoutons pas un adagio très lent, ou alors Paavo Järvi adopte un tempo proche de celui d'un andante. L'intérêt de ce mouvement repose dans l'affrontement des phrases tendres et bucoliques et des interventions plus dramatiques de tout l'orchestre. Les solos des vents, très nombreux, offrent à cet adagio une variété de climats et d'échanges orchestraux qui dans la symphonie héroïque révolutionnait le langage symphonique. [12:47] Beethoven rejoue une réexposition du thème initial mais avec des accents pathétiques. [14:22] Nouvelle idée avec une péroraison presque dramatique dans sa finalité. Les affres des années difficiles sont-elles encore présentes dans le cœur du compositeur ? [15:40] Toutes ces variations vont conduire à un farouche climax qui justifie cette question… Ce principe d'opposer quiétude et angoisse sera repris quasiment dans toutes les symphonies ultérieures. Ce style concertant et contrasté du discours trouve sa logique dans la direction virile de Paavo Järvi. [18:25] Dans la coda, les chants des cors, de quatre bois séparés (clarinettes et hautbois), à savoir une savante harmonie baignée dans un écrin de cordes, préfigurent la conclusion d'une certaine scène aux champs de la "Pastorale" en cours d'écriture.

3 - Allegro vivace : [20:44] Dans la symphonie Héroïque, Beethoven avait abandonné les dernières séquelles du menuet mozartien, petit mouvement parfois simpliste qui marquait une pause entre le mouvement lent et le final. Voici de nouveau un scherzo, un vrai ! Le scherzo met en œuvre une thématique joyeuse et robuste. On pourra penser à une fête villageoise. [22:31] Le trio s'articule sur une seconde idée très concertante, un dialogue très vivant entre les bois. [23:38] Le scherzo sera repris da capo avec une coda citant le trio. Tout cela enrichit grandement ce mouvement de transition parfois à la limite du superflu. Un trait vaillant de cors conclut ce scherzo dont la forme sophistiquée va influencer les successeurs de Beethoven jusqu'à la fin du romantisme.

4 - Allegro ma non troppo : [26:18] Beethoven continue de nous surprendre avec un final où dominent deux caractéristiques : la frénésie et l'humour. Paavo Järvi a bien compris ce second point en faisant exploser comme un feu d'artifice les coups de timbales qui ponctuent l'exposé de certains motifs. Les ruptures de tons et d'orchestration sont légions. Une écriture aussi virulente a du déconcerter les musiciens de l'époque qui ne disposaient pas d'instruments modernes très agiles. [30:00] Le duo comique des bassons, d'une vélocité diabolique, est un exemple de l'exigence du compositeur qui ne cherchait pas à simplifier son écriture, tant pour ménager les orchestres formés au jeu classique qu'un public avide de musique facile à suivre. Un final vertigineux, désopilant, dynamité (dans le bon sens) par Paavo Järvi. Sans doute la symphonie la plus extravertie et dionysiaque du maître (avec la 8ème). (Partition)
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Dans une discographie beethovénienne, certains chefs historiques restent incontournables. Face à des dizaines de publications, faire un choix définitif est impossible. J'attends d'une interprétation de cette symphonie qu'elle me surprenne, exalte la jeunesse de la partition.
Eh bien, ô sacrilège, Wilhelm Furtwängler m'ennuie un chouia (Vienne 1952). Heu, c'est très relatif. On sacralise ce chef avec des raisons objectivement pertinentes : beauté du discours, tempo et legato qui prennent aux tripes, etc. Furtwängler, c'est d'abord un style, un esprit mystique qui nous entraîne vers les élans brucknériens. Fulgurant ou hors sujet dans cette symphonie bon enfant, je ne tranche évidemment pas, tant le phrasé hypnotique séduit malgré un son d'un autre âge (clarinettes = klaxons). Pour beaucoup une gravure culte (NAXOS – 6/6).
Évidement Karajan, dès qu'il a su tenir une baguette a multiplié les intégrales. Un petit penchant personnel pour la version de la 4ème en stéréo de 1963 à Berlin couplée avec l'Héroïque (DG – 6/6).
Carlos Kleiber adorait cette symphonie et égayait avec tendresse chaque note, au choix : un live réédité en CD chez Orfeo ou un concert filmé pour Philips à Amsterdam. (L'un ou l'autre - 6/6).
Enfin, j'avais écrit mon commentaire sur la symphonie "Pastorale" autour du disque récent de 2010 d'Ivan Fischer avec son orchestre du Festival de Budapest. Un must moderne complété par la 4ème. Comme toujours, ce chef, aussi peu hédoniste qu'il soit possible, cisèle cette symphonie qui retrouve un élan juvénile. (Channel Classics – 6/6).

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Concours d'interprétation via vidéos : Paavo Järvi lors du concert reporté sur le CD. Puis une interprétation énergique mais plus traditionnelle de Carlos Kleiber à la tête de l'Orchestre d'état de Bavière (Orfeo). La salle du Concertgebouw étant immense, le maestro conduit sous amphétamines. Enfin pour se faire une idée d'un  Beethoven hyperromantique : Wilhelm Furtwängler dans une gravure réalisée pour EMI à Vienne de 1952. Un adagio de 12 minutes au lieu de 8 avec Järvi. Une lenteur extatique pour une œuvre parmi les plus optimistes ?! Oui, bizarre, mais il y a une majesté proche du sacré, style propre au chef qui s'identifie à la psyché de Beethoven. Trois styles montrant l'universalité du génie de Ludwig…




2 commentaires:

  1. La Quatrième est l'une de mes préférées de Beethoven, elle a un côté solaire très agréable.
    C'est pourquoi, ma version princeps -parmi une bonne cinquantaine quand même...- est celle de Karajan en 1963 -ses autres versions s'inscrivent dans une optique très différente : Karajan considérait que c'était la symphonie de Beethoven la plus difficile à diriger, et il changea souvent d'avis pour ses différents enregistrements : 1954, encore largement "Kappelmeister" avec le Philharmonia, puis très puissant mais moins lyrique en 1977 et 1985-.
    Perfidement, je dirai que le disque de Furtwängler vaut essentiellement pour le concerto pour piano ;-) Je n'aime pas trop sa version de la quatrième, un peu empesée et pataude dans les deux derniers mouvements.
    J'aime beaucoup également Kubelik -dans son intégrale DG, avec l'orch.philh. d'Israel- et Carlos Kleiber, d'une grande souplesse ainsi que, dans une tout autre optique, Garidner.

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  2. Oui "Solaire" me plaît bien :o)
    Sur cette symphonie nos choix convergent sensiblement...
    Et maintenant, pour le cas Furtwängler, je me sens moins seul !

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