samedi 13 mai 2017

MENDELSSOHN – Romances sans paroles pour piano – Daniel BARENBOÏM – par Claude TOON



- Mendelssohn le retour M'sieur Claude ! C'est quoi ce titre énigmatique ? On attend concerto, symphonie, sonate, quatuor, etc. Mais Romances sans paroles
- Des lieder mais sans la voix, de charmantes pièces très libres de forme, écrites tout au long de sa vie et réunies dans six cahiers…
- Ah oui, donc pas des nocturnes, des ballades, mais des poèmes mis en musique pour un piano solo…
- Oui, tout à fait Sonia, cela dit, ces jolies pièces dédicacées la plupart du temps à des femmes auraient inspiré les nocturnes de Chopin, à vérifier…
- Nous avions écouté Daniel Barenboïm chef d'orchestre dans la Dante symphonie de Liszt, et ce jour c'est le pianiste dans un double album assez ancien je crois.
- De 1974, mais beaucoup considèrent que le talent de cet artiste était alors au sommet, et cette gravure garde depuis un statut de référence dans ce cycle pianistique…

Daniel Barenboïm au début des 70'
Felix Mendelssohn est surtout connu des mélomanes débutants pour Le songe d'une nuit d'été, son octuor et ses symphonies "italienne" et "écossaise". Les pianistes amateurs connaissent bien ces six recueils de six romances sans paroles. Des pièces inclassables mais dont le titre évocateur de romance indique bien leur intention lyrique, tendre et romantique.
Peut-on parler de lieder sans voix ? Oui et non, les romances sans paroles ne sont pas forcément des accompagnements pour une mélodie sans texte, sans la soprano et le baryton chantant la main sur le cœur et l'autre main sur le piano… Il faut rappeler que Mendelssohn fut un père fondateur du romantisme. Dès 19 ans, il commencera à composer ces petits morceaux poétiques et offrira l'un d'eux à sa sœur Fanny pour son anniversaire… Lisons ce qu'écrivait la jeune femme de 23 ans dans son carnet intime : "Félix m'a donné une Romance sans paroles pour mon album (il en a écrit récemment plusieurs qui sont magnifiques)".
Les 48 romances réunies en huit recueils seront publiées entre 1830 et 1845, il faut mettre en regard la courte vie du compositeur : 1809-1847, 38 ans d'une activité intense, écourtée bien tôt par une mort provoquée par le chagrin inconsolable causé par la disparition de Fanny qu'il aimait tant. Des temps de jeune adulte jusqu'à la fin prématurée, le compositeur reviendra sans cesse à cette forme intime, à l'opposé des œuvres plus grandioses comme les oratorios Elias et Paulus. Si les romances paraissent chez les éditeurs de manière discontinue, leur composition l'occupe à tous ses moments perdus. Même si le temps perdu n'est guère discernable chez cet homme hyperactif dès la préadolescence !
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Fanny Mendelssohn (1805-1847)
C'est avec Liszt et sa Dante Symphonie que nous avions accueilli une première fois Daniel Barenboïm dans le Deblocnot. Le chef d'orchestre dirigeait avec brio cette œuvre puissante et métaphysique du compositeur-pianiste. Je dressais un portrait assez détaillé de Daniel Barenboïm, et la chronique mettait l'accent sur la facette "maestro" de cet artiste intègre et humaniste (Clic). Aujourd'hui, place au pianiste et à l'un de ses meilleurs disques, considéré comme un enregistrement de référence pour ces Romances sans paroles de Mendelssohn
Très apprécié dans ses débuts de carrière dans les années 60' et 70', la critique semble bouder le virtuose et le chef et vilipende un peu trop facilement ses gravures récentes, il me semble. Il est vrai que depuis son départ de l'orchestre symphonique de Chicago en 2006, le musicien paraît se replier sur un répertoire assez classique et chercher à suivre une fin de carrière tournée vers un large public. Pour Daniel Barenboïm, la musique classique se doit d'être un langage d'humanisme et de réconciliation des peuples, d'où la création par exemple de l'Orchestre Divan occidental-oriental, une phalange israélo-arabe qui ne peut rivaliser avec les grandes philharmonies historiques, bien évidemment, mais ce n'est pas le but ! Malgré un répertoire très large, le pianiste se plaît à donner chaque année l'intégrale des sonates de Beethoven en concert. Ô oui, ce n'est pas révolutionnaire, il y a pléthore d'interprètes, mais pourquoi nos chers critiques ont la fâcheuse manie de transformer leurs commentaires sur les programmes ou les parutions de disques en olympiades vachardes ?
Consolation : à lire quelques commentaires "étoffés" de mélomanes amateurs sur un site bien connu, on constate que l'indice de sympathie envers Daniel Barenboïm reste entier, et pas uniquement pour la personnalité attachante, et qu'un grand nombre de ses gravures récentes sont appréciées !
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Comme toutes les œuvres écrites au fil du temps d'une carrière (nocturnes de Chopin ou de Fauré), il est possible d'écouter ces romances par petit groupe ou dans le désordre le plus complet. Aucune suite logique ne guide l'inspiration de Felix Mendelssohn. On prétend d'ailleurs que sa sœur Fanny, brillante pianiste, pourrait en avoir écrit quelques-unes… En cette époque très machiste, les compositrices voyaient la plupart du temps leur travail publié sous le nom d'un créateur masculin réputé !
De vous à moi, écouter dans la continuité 48 romances peut lasser de la même manière qu'il est difficile d'appréhender sans interruption les 59 Mazurkas de Chopin même sous les doigts de magicien de Jean-Marc Luisada
Clara Schumann
Il est amusant de constater à la lecture des biographies de Mendelssohn le peu de commentaires des auteurs à propos de ces romances. Nous avons l'impression que le compositeur les couchait sur les portées comme d'autres font des mots croisés. Œuvres mineures ? Pas certain dans le sens où chacune des pièces reflète l'état d'esprit du moment et, sans doute, se nourrit de la même inspiration formelle que les grandes partitions contemporaines : les symphonies, les oratorios, les quatuors et quintettes. On pourrait parler de carnet intime musical rédigé au fil des ans, de l'énergie de la jeunesse aux affres de la maladie et du deuil des dernières années…
Établir un tableau chronologique montre le parallèle entre les périodes d'écriture de chaque recueil en regard de la composition et de l'évolution vers des ouvrages de plus en plus ambitieux de Mendelssohn : du joli Quintette (Clic), de la pétulante symphonie italienne, du célèbre concerto pour violon, en passant par l'oratorio à la manière de Bach : Elias, jusqu'au au douloureux et ultime Quatuor
Recueil
Composition
Publication
Œuvre contemporaine
Recueil
Composition
Publication
Œuvre contemporaine
Opus 19
1829-1830
1830
Quintette n°1
Opus 62
1842-1844
1844
Concerto pour violon
Opus 30
1833-1834
1835
Symphonie N°4
Opus 67
1844-1845
1845
Elias
Opus 38
1836-1837
1837
Concerto piano N°2 
Opus 85
1834-1845
1851
Le Songe d’une nuit d’été
Opus 53
1839-1841
1841
Variations sérieuses
Opus 102
1842-1845
1868
Quatuor op. 80

Autre caractéristique montrant la vocation intimiste de ces recueils techniquement assez faciles (parait-il), cinq d'entre eux sont dédiés à des femmes avec qui l'émotif Mendelssohn nouait des liens affectueux.
Recueil
dédicataire
Recueil
dédicataire
Opus 19
????
Opus 38
Rosa von Woringen
Opus 62
Clara Schumann
Opus 85
Édition posthume
Opus 30
Elisa von Woringen
Opus 53
Sophia Horsley
Opus 67
Sophie Rosen
Opus 102
Édition posthume

Cécile Mendelssohn (Épouse de Félix)
Pas de commentaires très techniques ou musicologiques cette semaine sur ces charmantes Romances sans paroles. Imaginons des friandises, des petits textes ou poèmes mis en musique, des chansons entonnées par l'unique voix du piano. D'ailleurs chaque romance porte un titre poétique qui peut nous aiguiller vers le monde onirique et charmeur illustré par la mélodie.
Opus 19 - 1 – Andante con moto ("Doux souvenirs") : la mélodie suit la ligne sinueuse des arpèges à la main gauche. La main droite chante une ritournelle plus modulée, nostalgique et aux ruptures de ton évocatrices des sentiments qui se bousculent dans l'âme du musicien. Une pièce d'une infinie tendresse, et surtout un toucher élégiaque et galant du clavier de Daniel Barenboïm. Quels souvenirs ? Mystère et peu importe. Le souvenir se veut idéalisé telle une rêveuse et voluptueuse métaphore sonore. La délicatesse du propos définit dès ce premier essai les règles du genre qui marquera la longue histoire de ces romances…
Opus 19 - 5 – Piano Agitato ("Agitation") : [9:35] la forme se révèle très diversifiée d'une pièce à l'autre pour éviter la monotonie. Ainsi cet agitato au rythme enlevé voit les deux lignes mélodiques dédiées à chaque main s'affronter dans une facétieuse escarmouche. Des accords plus marqués cherchant à emporter la bataille. Daniel Barenboïm conserve un jeu léger, chaque note conquiert sa place dans ces chicaneries débonnaires.
Opus 30 - 3 – Adagio ma non troppo ("Consolation ") : [20:45] Encore un nouveau style : celui d'une berceuse inspirée d'un chant populaire. À mi-chemin entre une ballade et un nocturne, la mélodie se veut simple, aux antipodes de la polyphonie de l'exemple précédent et de ses voix conflictuelles. Non, ici une homophonie comme le récit d'une maman au chevet de son enfant à l'heure du marchand de sable. La partie centrale est gagnée par une hardiesse plus percutante. L'épisode héroïque d'un conte de grand-mère ? Simple supposition… Là encore Daniel Barenboïm laisse planer un chant subtil dépourvu de toute brutalité dans les accords du développement.
Chaque pièce possède une personnalité propre. [23:00] Ainsi la romance N°4 de l'opus 30 qui suit consolation assure un contraste musical bien tranché par sa fougueuse fantaisie. Elle est notée Agitato e con fuoco. Son sous-titre étant Le vagabond, on ne sera pas surpris par la vitalité d'un personnage digne de Till l'espiègle. Je vous laisse savourer à votre guise ces 48 miniatures…
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