samedi 11 mars 2017

SCHUBERT – Quatuor N°13 "Rosamunde" – Quatuor EMERSON – par Claude TOON



- Mais M'sieur Claude ! C'est quoi toutes ces valises, ce filet à crevettes, l'essayage d'un smoking aux heures de bureau ? Vous partez où ?
- À Roscoff Sonia… Thalassothérapie avec Mme Maggy : bains d'algues, massages par de charmantes esthéticiennes, gastronomie, crêpes et cidre….
- En pleine période électorale, c'est suicidaire, c'est quand même pas au frais du blog, genre "musicologie en Bretagne" avec la complicité de M'sieur Luc ?
- Non Sonia ! D'ailleurs ne l'ébruitez pas… Revenons à Schubert et au dernier des trois quatuors de la maturité qui n'a pas encore eu sa chronique…
- Oui, tiens c'est vrai, le 14 "La jeune fille et la mort" et le 15 ont déjà eu leurs articles, des chefs-d'œuvre… Même chose pour le 13ème ? Les Emerson ? Ça me dit quelque chose…
- En effet Sonia, le quatuor Rosamunde est un modèle du genre, composé à la fin de la courte vie de Schubert. Le quatuor Ermerson ? Oui dans le 8ème de Chostakovitch

Quatuor Emerson
Vacances bretonnes ou pas, le Deblocnot ne renonce jamais… Donc en mon absence, Schubert et Sonia assurent la permanence avec l'un des plus beaux quatuors à cordes du maître viennois. Au programme : poésie, romantisme et nostalgie d'une vie qui va s'éteindre…
Près de dix ans séparent la composition d'un quatuor complet, le N° 11 D 353, de celle du premier des trois derniers grands quatuors qui marquent l'apogée de l'art de Schubert pour cette forme et montre le degré de maîtrise visionnaire atteint par Franz en ce début d'année 1824.
Le compositeur souffre déjà beaucoup de la syphilis qui l'emportera, mais il lui reste encore quatre ans à vivre. Et si ce quatuor N°13 Rosamunde aborde une forme plus ambitieuse, caractéristique de la dernière période créatrice de Schubert, il reste une œuvre qui échappe à la peur de la mort qui plane dans l'inspiration de ses derniers opus. Cette œuvre est contemporaine de l'immortel (si l'on peut dire) quatuor N° 14 "La jeune fille et la mort" D 810 écrit la même année, chef d'œuvre absolu (tant pis pour cette emphase) au ton plus dramatique (Clic). Un ultime quatuor, le N° 15, verra le jour en 1826, très long, bouleversant, le chant du cygne pour cette formation qui sera suivi l'année de la mort de Franz, en 1828, du quintette avec un second violoncelle (Clic) & (Clic). Une chronique qui va ainsi boucler un cycle d'œuvres de musique de chambre parmi les plus inspiré de l'histoire de la musique.
Curieusement, alors que Schubert ne parvenait pas à imposer sa musique, ce quatuor sera édité et joué de son vivant avec un petit succès ! Il est vrai que son style empreinte beaucoup de thèmes et de motifs mélodiques à la forme lied qui faisait la réputation du jeune compositeur.
La création eut lieu peu de temps après l'écriture : le 14 mars 1824. À cette date, Schubert travaillait sur un autre monument qui allait révolutionner la musique : l'octuor D 803 pour cinq cordes et trois instruments à vent. Mais ceci sera une autre histoire… Pour les éléments biographiques plus détaillés, je vous invite à relire les autres chroniques, notamment celle dédiée au quatuor "La jeune fille et la mort".
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Seconde rencontre avec le Quatuor Emerson dans ce blog. Côté répertoire, nous sautons du coq à l'âne puisque la première chronique était consacrée à l'étrange, angoissé et presque autobiographique quatuor N°8 de Dmitri Chostakovitch, son quatuor le plus connu (Clic) et nous voici ce jour plongés dans l'univers romantique naissant.
Nous allons retrouver nos quatre virtuoses américains et leurs qualités déjà signalées dans leur interprétation du quatuor russe : pas de tempos traînants, un jeu incisif. La règle générale pour ce coffret de 3 CD pour le prix d'un qui réunit les trois derniers quatuors, le mouvement de quatuor isolé dit N°12 et une interprétation de premier plan du Quintette D 956 avec Rostropovitch au second violoncelle (Il y a pire😄). Donc, je parlais d'un jeu incisif, un prérequis à mon sens indispensable pour donner toute sa saveur à ce Quatuor N°13 Rosamunde, voici pourquoi :
Ce qui surprend dès la première écoute est l'absence de mouvement aux tempos frénétiques tel le final conçu comme une course à l'abîme du quatuor "La jeune fille et la mort". Les tempos des allegro introductifs et conclusifs sont précisés ma non troppo et moderato. De l'allégresse certes, mais sans précipitation, avec une pudeur qui prend sa source dans la parenté de ce quatuor avec la tendresse méditative souvent présente dans les lieder. Pas de lamentations !
J'allais oublier un détail à propos d'un évènement peu fréquent à propos de l'ami Schubert. C'est le quatuor conduit par le violoniste Ignaz Schuppanzigh qui créa le quatuor. Un grand virtuose de l'époque qui souffrait hélas d'un tel embonpoint qu'il dut renoncer à sa carrière quelques années plus tard… On mangeait copieusement et trop gras à l'époque, enfin sans doute pas tout le monde…

1 - Allegro ma non Troppo : Une petite marche chaotique du second violon soutenu par l'alto et le violoncelle, tous les deux à l'unisson, nous entraîne sur les pas hésitants d'un promeneur ou, plus symboliquement, du destin. Le premier violon énonce dès la 3ème mesure une mélodie intime et généreuse, un thème qui va droit au but, donc au cœur ! Schubert veut nous émouvoir et partager sa constante oscillation entre la joie de vivre et sa sourde angoisse nourrie du désintérêt de ses pairs pour sa musique et, sans doute, de la peur face à la maladie qui le ronge inexorablement… Le quatuor Emerson apporte à cette introduction un rythme soutenu et une articulation marquée qui dédramatise le discours. Aucun pathétisme qui serait mal venu, mais au contraire un climat élégiaque d'où jaillissent quelques traits de lumières, ceux de l'espoir et de la volonté d'écrire, de composer, de perfectionner à la fois la technique et l'expression musicale de la passion qui habite le musicien…
Ignaz Schuppanzigh
Ce thème est répété trois fois, égayé de quelques fantaisies. [1:08] Apparaît une seconde idée plus allante, moins grave voire lyrique, mais toujours intériorisée. Dans cet allegro qui regarde vers l'allegretto, les thèmes vont ressurgir comme des leitmotive. Schubert semble rester fidèle à la forme sonate. Pourtant, de nombreux intermèdes plus énergiques enhardissent de variations en variations un chant qui semble conçu comme une longue mélopée, une nostalgie du temps qui passe, celui de la "pendule du salon" comme chantait Jacques BrelParler de lyrisme est approprié pour ce mouvement dans lequel les premières mesures en basses scandées et rythmiques et la confrontation de thèmes antagonistes sont typiques d'un lied, donc d'un récit mis en musique, avec ses joies et ses drames. Un lied, donc un texte poétique, et l'on est bien face à cela dans ce mouvement instrumental très innovant chez Schubert.

2 – Andante : [10:15] On parle souvent à tort de Rosamunde comme d'un opéra inachevé. En fait, il s'agit d'une musique de scène comme Le songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, destinée à accompagner la pièce Rosamunde, princesse de Chypre de Helmina von Chézy, une poète et dramaturge (1783-1856) dont certains poèmes furent mis en musique sous forme de lieder par Carl Maria von Weber ou Schubert. Ainsi le compositeur se consolait de l'écriture de quelques opéras jamais représentés de son vivant comme Fierrabras. Cela dit, la pièce, au texte assez médiocre, n'a guère marqué l'histoire du théâtre. De nos jours, la musique, un mélange un peu disparate d'airs, de ballets et d'ouvertures, ne donne surtout lieu qu'à l'exécution de son ouverture et du tendre et émouvant entracte du IIIème acte dont je vous propose une vidéo par Claudio Abbado. Pourquoi ce préambule me direz-vous ?
L'andante reprend à l'identique le thème enchanteur de cet entracte comme leitmotiv principal. Cette perle sortie de l'imagination mélodique superlative de Schubert méritait bien d'être réutilisée dans des œuvres plus essentielles !
On retrouve un certain classicisme dans les premières mesures : une basse continue assurée par l'alto et le violoncelle d'où émerge la mélodie principale chantée par les deux violons. Que dire de la poésie de ce thème qui se déploie ? Sublime ? Ce mot est chichiteux et usé jusqu'à la corde même si c'est le cas. On pourrait le substituer par pastoral, sensuel, élégiaque avec un soupçon de tristesse. Une romance si riche, mais si ambiguë dans ses intentions émotionnelles que le vocabulaire traditionnel trouve ses limites. Comme dans le mouvement du quatuor "La jeune fille et la mort", Schubert joue la carte des variations même si celles-ci ne sont pas marquées par des transitions abruptes. Ces variations s'articulent plutôt sur les changements de tonalité que sur une rupture de style avec le motif initial. Elles précèdent une reprise du motif initial [11:38] [12:06] [12:28] [12:46]. [13:41] Réexposition qui nous entraîne vers un passage colérique, orageux aux accents désespérés [15:05]… Un fracas entre les pupitres qui contraste de façon pathétique avec la méditation aux accents nostalgiques écoutée depuis le début du mouvement. Mouvement qui va retrouver un climat plus serein par le retour comme leitmotiv obsédant du thème emprunté à la musique de scène de Rosamunde. Je n'explique pas l'origine du sous-titre du quatuor tant nous sommes dans l'évidence.

3 - Menuetto Allegro Trio : [18:02] Il y a deux semaines, à propos de la Sonate "à Kreutzer" de Beethoven, (Clic) j'émettais l'hypothèse que le compositeur viennois avait délibérément supprimé le menuet dans sa sonate, trouvant cet intermède de pause entre l'andante et le final superflu dans une œuvre romantique aussi épique. Schubert se pose la même question, mais y répond à l'inverse par un "scherzo" aussi développé que l'andante et le final, trois morceaux d'une durée égale, soit 7 minutes chacun ! Terminés les menuets destinés à "meubler", ils doivent avoir sa fonction émotionnel à part entière… En un mot : le galant menuet s'efface. Des traits sévères au violoncelle affrontent une mélodie plus gracile chantée par les trois autres instruments. On discerne un lien avec un lied de 1819 «Bel univers, où es-tu ?» sur un texte de Schiller. Cette interrogation teintée de regret à propos du paradis perdu, celui de l'enfance, de la jeunesse, se retrouvera près d'un siècle plus tard de manière obsessionnelle chez Mahler. En mode mineur, mélancolique, le menuetto acquiert ici une force expressive résolument romantique, comparable en intensité à celle des autres mouvements. Il abandonne le simple rôle de trait d'union un peu fade imposé par la forme sonate.
[21:36] Un trio moins nostalgique déploie de jolies phrases très accentuées et même lyriques, de fait plus dansantes. Les Emerson tendent le phrasé comme un arc, construisent un univers musical empressé, tournent le dos à un Schubert feutré, hélas parfois affecté. Grâce à eux, écoute-t-on vraiment une œuvre de chambre ou une confession intime ?

4 - Allegro moderato : [25:06] le moderato précisant le tempo indique que Schubert veut prolonger le caractère méditatif, sans envolée lyrique, qui traverse tout le quatuor. Le compositeur semble vouloir conclure sur une note optimiste une partition jusqu'à présent assez sombre. Le premier thème du final sera donc en la majeur, un air qui rappelle une danse populaire, un moment de réjouissance simple et débonnaire, de liesse. [27:16] Le second thème s'il conserve le rythme festif est en ut ♯ mineur et nous met de nouveau face à cette ambiguïté entre la vitalité et la résignation qui se disputent la psychée de Schubert. À aucun moment, hormis un passage un peu plus vaillant dans le développement, Schubert va tenter de nous entraîner vers une conclusion plus énergique, une apothéose aussi gratuite qu'incongrue. Le quatuor conserve jusqu'à la dernière note l'étrange légèreté de ses structures mélodiques, ses silences hésitants qui témoignent que la fête est terminée, que la nuit est tombée.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie du quatuor "La jeune fille et la mort" est pléthorique en album isolé. C'est moins vrai pour le Quatuor "Rosamunde". Bien entendu la version du quatuor Melos gravée dans les années 70 est excellente mais ne figure que dans l'intégrale en 6 CD (voir l'article sur le quatuor N°15). L'album de 2 CD du Quartetto Italiano demeure une référence, beauté et élégance du son, un Schubert éternellement jeune, disque qui résiste au temps (Philips – 6/6). Pour les amateurs de trésor du passé, les interprétations de 1995 des quatuors n°13 & n°14 par le quatuor Pražák, avec des tempos plus enflammés et une touchante poésie, sont toujours disponibles (Praga – 6/6), la seule édition sur un seul CD digne d'intérêt.
Enfin, autre belle réédition historique : celle du Quatuor Hongrois. Les tempos sont très vifs voire facétieux dans l'allegro. De par la célérité de l'interprétation, le double album comporte à la fois les trois derniers quatuors et le Quintette ! Son mono remasterisé en 1996. Énergisant (EMI – 6/6).

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Deux vidéos : L'interprétation par le Quatuor Emerson du Quatuor "Rosamunde" (une liste YouTube avec d'autres belles musiques). Puis, extrait de l'opéra Rosamunde, l'entracte du 3ème acte dirigé par Neville Marriner avec son orchestre de l'Académy of Saint-Martin in the fields. Que du bonheur…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire