- Ah Ah M'sieur Claude ! Après
la découverte en janvier de compositeurs jamais évoqués dans le blog, puis de la musique
arabo-andalouse, retour au grand classique ?
- Vous savez Sonia, avec
Beethoven ou Mozart et bien d'autres, nous avons des réserves de sujets de
chronique pour des lustres…
- Je vois cela. Le grand
Ludwig van a composé dix sonates pour violon et piano dont les plus connues
sont celles sous-titrées "printemps" et "à Kreutzer"…
- Oui, excellent, la
sonate "à Kreutzer" qui a inspiré un roman de Tolstoï est la 9ème,
écrite à l'époque de la symphonie "héroïque", et aussi la plus
ambitieuse…
- On ne présente plus
David Oïstrakh qui a été au centre d'un article dédié aux concertos pour violon
de Tchaïkovski et celui de Sibelius, avec le chef Eugene Ormandy…
- Mais vous suivez
l'affaire de très près mon petit. Il faut que j'en touche deux mots à M'sieur Luc pour cette augmentation qui est
comme l'arlésienne de Bizet !
- Je ne vous le fais pas
dire !!!!!!!!!!
Rodolphe Kreutzer |
Sonia
n'a pas tort, 16ème article consacré à l'incontournable Ludwig van Beethoven qui, hormis l'art
lyrique, a excellé dans tous les genres de musique : symphonique, de chambre,
instrumentale… Si les symphonies et les concertos qui tous méritent un billet
se sont déjà taillé la part du lion, seuls un quatuor (le 15ème) et
un groupe de sonates pour piano ont été présentés dans ces pages web.
Pour
la biographie du maître autrichien - surement le nom de compositeur le plus
connu sur la planète avec Mozart
- rendez-vous dans les articles les plus anciens : Concerto "Empereur"
(clic), celui
pour violon (clic) et l'incontournable 5ème symphonie (clic).
1802-1803 : Beethoven à 33 ans et a gagné ses titres
de compositeur parmi les plus influents de cette Vienne qui voit s'achever
l'époque classique du siècle des lumières et va, en une décennie, plonger dans
le romantisme. Ombre au tableau et de taille, depuis 1796 le compositeur souffre déjà de la surdité qui le déprime et
lui a fait songer un temps au suicide. La pire infirmité pour un musicien qui,
par ailleurs, l'aidera à entrer dans la légende. C'est le début de l'époque
"Héroïque" avec
l'écriture de la symphonie éponyme qui
bouscule l'histoire de la musique. Une œuvre farouche, très développée qui,
bien au-delà de chercher à séduire, révèle une volonté militante. Un
compositeur selon Beethoven ne doit plus se
limiter à être un baladin de luxe et même de génie au service d'un prince de
sang royal ou de l'Église. Non, il se doit d'être un homme de son temps voire de
défendre des convictions. Il sera d'ailleurs le premier compositeur à
s'affranchir d'un mécène le succès venu.
À
la lecture des milliers d'articles du blog, on pourrait croire que cultiver les
bisbilles est l'apanage des groupes de rock, avec les allers et retours des
musicos sur fond de vacheries et de dope 😁. Que nenni, le
petit monde du classique a aussi ses escarmouches et ses prises de becs croquignolettes…
Beethoven prévoie de dédicacer sa sonate à
son ami violoniste mulâtre anglais George
Bridgetower (1778-1860). Une origine ethnique encore
difficilement acceptée à l'époque. Lors d'une soirée entre amis, le violoniste et
Beethoven passablement éméchés et, en
pinçant l'un et l'autre pour la même gente dame, en seraient venus aux mains et
aux insultes. J’emploie un conditionnel car l'authenticité de cette embrouille n'a
jamais été confirmée. Cela dit, Beethoven
dédie sa partition au virtuose français Rodolphe
Kreutzer qui fera la fine bouche. Il ne jouera jamais la sonate.
Les esprits calmés, Bridgetower la créera bien
plus tard…
La
sonate n'ayant pas été écrite d'un seul jet ne sera publiée qu'en 1805. Beethoven
a utilisé notamment un mouvement prévu pour la sonate N°6 opus 30 de
1802 (le groupe des sonates 6 à 8). Beethoven innove dans cette œuvre imposante
: beaucoup de notes piquées, donc beaucoup d'énergie (ce qui déplut grandement
à Kreutzer, adepte du legato à outrance,
d'où son rejet), un andante avec un thème et 4 variations – rare à l'époque,
plus fréquent chez Schubert vingt ans plus tard
-, et une durée proche de la symphonie héroïque, là encore, une
difficulté supplémentaire inattendue en cette fin de l'âge classique. Beethoven pensait-il à une symphonie pour
violon et piano ? Pas impossible !
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David Oïstrakh |
David Oïstrakh rime avec grands violonistes virtuoses
russes du XXème siècle. Nous avons déjà écouté cette icône de
l'archet dans un disque culte proposant les concertos majeurs de Tchaïkovski et de Sibelius.
Une gravure historique où l'artiste est accompagné par l'orchestre
de Philadelphie de la grande époque dirigé par Eugene Ormandy (Clic). La probité dans la
lecture du texte, la beauté du vibrato sans ornementations agaçantes, deux caractéristiques
du jeu de Oïstrakh mises en avant dans
le commentaire sur l'interprétation des deux œuvres qui suivaient la biographie
des deux hommes. Je n'y reviens donc pas…
Lev Oborine |
Né
en 1907, le jeune Lev ne sera pas un jeune prodige (ce qui
laisse toujours des traces) mais obtiendra ses diplômes du conservatoire de
Moscou en 1926. Pour la petite histoire des virtuoses, il sera le premier
pianiste à remporter le 1er prix du concours Chopin
de Varsovie lors de sa création en 1927
!! La classe !
En
1943, il crée un trio avec David Oïstrakh au violon et Sviatoslav Knouchevitski au violoncelle.
Trio qui sera dissous en 1963 à la
mort de ce dernier. La collaboration avec Oïstrakh a
ainsi duré plusieurs décennies.
Lev Oborine avec un répertoire assez large a
beaucoup œuvré en tant que pédagogue, quelques élèves célèbres : Vladimir Ashkenazy
(lauréat lui aussi du concours Frédéric-Chopin
en 1955) et Boris Berman.
Lev Oborine nous a quittés en 1974.
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La
sonate "A
Kreutzer" ne comporte que trois mouvements à l'image de la
forme concerto. Beethoven a omis
volontairement le scherzo hérité du menuet des œuvres mozartiennes et de la
plupart des autres sonates
pour violon et piano écrites de sa main. L'ouvrage plutôt
imposant n'avait sans doute pas besoin de ce passage de détente parfois un peu
creux après le long andante de 15 minutes, très vivant et versatile avec son thème et ses quatre variations
d'atmosphères très variées.
George Bridgetower |
1 - Adagio sostenuto –
Presto
: Les premières mesures sont confiées au violon solo. Une lamentation presque funèbre
sur 2, 3 et même 4 cordes. Curieusement l'adagio est à trois temps alors que
l'allegro sera à quatre. La tonalité va osciller du la majeur à la clé au la
mineur, par des altérations chromatiques dans cette sombre introduction. A cette courte mélopée du violon va
répondre le piano qui, sur quatre mesures également, oppose un motif plus serein. Est-ce
une tentative de consolation face au doute profond introduit par le violon ? Dans l'adagio,
le concept concerto voulu par Beethoven
apparaît comme une évidence par l'opposition thématique et émotionnelle assurée
par les deux instrumentistes. Des changements de tonalités, de temps… Beethoven compose de nouveau en visionnaire
en bousculant la forme.
[1:45]
Le presto commence à la 18ème mesure. Loin de participer à un
divertissement, nous assistons à une confrontation gouailleuse entre le violon
et le piano. Dans les deux cas, la virtuosité est de mise. Le discours du
violon alterne douceur et férocité, une forme de furie diabolique. Même chose
pour le piano qui semble ne jamais opter pour un legato. Parcourir la partition
montre l'absence de liaison legato au bénéfice d'un staccato énergique. À
l'écoute, on aperçoit en filigrane le portrait tardif et célèbre d'un Beethoven
échevelé. Le climat symphonique trouve sa confirmation dans ce duo débridé, au
déchainement sans concession et dont l'esprit n'est guère chambriste au sens
mondain du terme. Beethoven n'écrit vraiment
pas pour égayer une soirée mais imagine que sa sonate est destinée au concert,
prend à bras le corps l'auditeur comme le faisait la fureur épique de la
symphonie "héroïque". Beethoven
ne ménage aucune pause dans ce mouvement à la rythmique implacable, aux traits
de violon agressifs, aux accords piqués sur le clavier. Bartók
a dû aimer…
David Oïstrakh se glisse dans cette musique avec un jeu
rugueux dans l'adagio, avec fulgurance dans le presto, avec un dramatisme sans
pathos, un vibrato d'une régularité qui n'appartenait qu'à lui. Les aigus sont
d'une fulgurante franchise. Son complice Lev Oborine
nous gratifie d'un frappé élégant, sans hédonisme, équilibrant parfaitement la
puissance de son jeu pour laisser le violon chanter. Comme dans un concerto ou
une symphonie, les deux virtuoses ne font qu'un. Magnifique, malgré un son un
peu rêche dû à l'âge de l'enregistrement.
2 - Andante con Variazioni : [11:39] Un
andante assurément parmi les pages les plus inspirées du compositeur. Une œuvre
dans l'œuvre qui échappe à l'opposition des deux thèmes chers à la forme
sonate, au développement, à une reprise conclusive. C'est le piano qui débute
le thème en fa majeur. Le violon le rejoint, déroulant une phrase élégiaque. La
poésie et le lyrisme s'imposent, la musique contrastant nettement avec la
virulence du presto.
[14:17] variation 1
: Changement radical de climat pour une pantomime agreste et malicieuse où le
violon répond par petites touches au piano pris d'une joyeuse folie, tentant de
ravir la vedette à son ami le violon. Ironie et gaité surprenantes… Mais qui ou
quoi pourra stopper ce clavier facétieux ?
[16:29]
variation 2 : Réplique du violon par une
kyrielle endiablée de quadruples croches pourchassant un piano tentant
l'évasion par un phrasé bondissant et vertigineux. Mais où Beethoven
allait chercher tout cela ? Contrôle anti dopage ! Ce qui est fabuleux dans
l'écriture se cache dans le maintien du tempo andante, la vélocité naissant de
la densité inouïe de notes.
[18:16]
variation 3 : Un peu de calme… la musique
retrouve une certaine douceur nocturne qui permet d’entendre le legato
enchanteur d'une souplesse sans égale de David Oïstrakh.
Cette variation charmeuse n'exclut pas
une certaine sensualité, sentiment rare chez le bouillant Ludwig.
[21:18]
variation 4 : Plus longue, la dernière variation
alterne de nombreuses idées comme ces pizzicati volontaires en complicité avec
un piano aux accents humoristiques. Je connais peu d'œuvre, sauf chez Schubert, proposant une accumulation aussi
délirante d'idées de styles les plus fantasques. La variation évolue vers la
réflexion plus intime pour s'achever dans le bien-être. Violon et piano se
réconciliant, se saluant comme deux galants…
3 – Presto : [27:03] On
parle de tarentelle à propos de ce final tempétueux et contrasté. Il y a un
petit côté dansant et martial dans ce presto, un discours très déterminé
faisant écho à la vitalité du presto initial. Une sonate décidément très virile
d'où émerge de radieuses fantaisies. On ne pourra pas m'empêcher de penser que
la vitalité et l'expansivité formelle de cette partition hors norme préfigure
la puissance à venir dans la cinquième symphonie et plus
tardivement, dans les ultimes grands quatuors.
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La
discographie de qualité du cycle des sonates pour violon et piano est
pléthorique. Le duo Oïstrakh - Oborine reste le témoignage de la
rencontre au sommet de deux grands artistes russes. On peut de nos jours
regretter que la prise de son ne soit pas au niveau de l'inspiration. Si le
violon tire son épingle du jeu, le son du piano se révèle un peu étriqué.
Quelques
autres grandes versions. Autre légende de ce répertoire : la rencontre de Arthur Grumiaux et Clara
Haskil en 1955, donc
en mono, pour Philips. Pourtant les
deux instrumentistes apparaissent bien distinctement. Trois mots clés pour cette intégrale : poésie, jubilation et distinction, un Beethoven
grand seigneur. Toujours édité (DECCA –
6/6). Place aux gravures récentes : celle pleine de feu du compositeur viennois un peu
fou enregistrée par Isabelle Faust et Alexander Melnikov (Harmonia Mundi – 5/6 + DVD) et celle mettant en scène un Beethoven intimiste, une sensibilité à
fleur de peau que nous offrent Renaud Capuçon
et Frank Braley (Erato – 6/6 - Deezer).
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