Le
film de Robert Budreau n’est pas vraiment un biopic, au sens où il ne s’intéresse
qu’à une période très courte de la carrière du trompettiste Chet Baker : 1966-73. BORN TO
BE BLUE commence dans une prison italienne, où Baker croupi, en plein
délirium tremens. Allongé sur le
sol, il fixe l'embouchure d'une trompette. Gros plan de l’embouchure. Un truc
en sort. Genre, une grosse bestiole poilue à huit pattes... Le délire s'arrête quand le gardien de prison annonce un visiteur : un réalisateur sort Chet
Baker de taule, et le ramène aux Etats Unis.
La
deuxième séquence est en noir et blanc. Tiens… effet de style ? On y voit
Chet Baker sortir de scène, croiser Miles Davis, puis monter dans sa piaule
avec une groupie. Et on entend : « coupez ! ».
Cette
séquence en noir et blanc est en réalité un film dans le film. Chet Baker était une star par sa musique mais aussi sa gueule d’ange. Le James
Dean du jazz, disait-on. Et en 1966, il joue son propre rôle dans un
film autobiographique. Il tombera amoureux de Jane, l’actrice qui joue le rôle
de sa première femme, et qui deviendra sa seconde.
Ce film "fictif" dans le film ne sortira jamais. Un soir, Chet Baker se fait littéralement éclater la
gueule par des dealers à qui il devait du fric. Le râtelier en miette, il n’est plus capable de jouer de la trompette. Le film raconte
comment Chet Baker tente de décrocher de l’héroïne, de se réapproprier la
trompette avec ses fausses dents, quitte à cracher le sang. Il vit avec Jane dans un combi Volkswagen,
sur le bord du Pacifique.
Robert
Budreau (producteur scénariste réalisateur canadien)
filme cette histoire en soignant ses cadres et ses lumières. Les costards sont
bien taillés, les robes repassées, les chromes rutilants. Un écrin soyeux pour une histoire sordide.
Pourquoi pas. Toutes les scènes de club sont parfaitement reconstituées, on
croise Dizzy Gillespie, Miles Davis (portrait peu flatteur), ce sont les années
60, la Californie, ce jazz West Coast, classieux, feutré, swinguant. C’est ce
que reflète la mise en scène, loin des foudres volcaniques du Be Bop.
Il
y a de belles scènes, comme le retour chez ses parents dans l’Oklahoma. Chet Baker
s’y ressourcera, travaillant comme pompiste. Son père ne lui fait pas de
cadeau. Chet lui offre un disque, avec la chanson « Born to be blue »,
la préférée de son père, qui lui dira : « mais pourquoi tu la chantes
comme une gonzesse ? ». Baker lui répond : « Moi, au moins,
je l’ai enregistrée, j’ai fait carrière, je n’ai pas abandonné, comme toi ».
Son père conclut : « Oui mais moi je ne fais pas honte à mon nom, ma
famille… ». Ambiance.
Il
y a cette scène où Chet Baker et Jane entrent dans une pizzeria, où un groupe joue. Baker jamme avec eux sur « Summertime », demande s’il peut revenir une prochaine fois. Les mecs sont gênés :
« Travailles encore un peu, tu manques de pratique ». Ils ne l'ont pas reconnu...
On
entend pas mal de titres, « Let’s get lost » tout d’abord – j’adore
ce thème – et le célèbre « Funny Valentine », in extenso, lors d’une
scène en studio. Une chanson sublime, son grand tube. Mais BORN TO BE BLUE est
moins un film sur le jazz et la musique (on ne montre ni explique son style, cette trompette sinueuse, aérée, ce chant qui était le prolongement de son instrument, délicat) qu’un film sur un homme pris entre ses
trois passions : la dope, la musique, sa femme. D'ailleurs, le film s'attache à une période où Baker ne jouait presque plus !
A
force de quémander du boulot à son ancien producteur (Baker va même jusqu’à se
ridiculiser en mariachi pour quelques dollars !), clean, suivant un
programme de méthadone, Chet Baker parvient à reconquérir un public, se refaire
une réputation auprès de ses pairs. C’est Dizzy Gillespie qui lui décrochera un
contrat au Birdland de New York, boite mythique, fondée par Charlie Parker. Chet
Baker qui avait d’ailleurs fait ses classes auprès du saxophoniste, après son
service militaire. Très habilement, par un simple geste (une caresse sur la
joue), le réalisateur nous fait comprendre que Chet Baker a replongé. Sa
carrière repart, on l’applaudit. Mais Jane le quitte. La dernière scène du
film est très belle. On ne sent pas de tristesse dans le regard de Chet Baker,
juste de la résignation. Je suis comme ça, on ne me changera pas, je sais, j’en crèverai, mais c’est ainsi…
On
sait que Chet Baker partira ensuite pour l’Europe, tournant en France, beaucoup
en Italie, acceptant tout et n’importe pour se payer sa dope dont il restera
indécrotablement dépendant. Jusqu’en 1988, année de sa mort, à Amsterdam. Une
mort minable, défenestré de son hôtel. Assassinat, règlement de compte, mauvais
trip, suicide… Le hasard a voulu, en week end à Amsterdam, qu’on prenne une
chambre dans ce même petit hôtel, en face de la gare. Mais nous n’étions pas
dans la fameuse chambre. Celle de dessus…
BORN
TO BE BLUE n’apprendra pas grand-chose à ceux qui connaissent Chet Baker, mais
permettra aux autres de découvrir cette figure, et ce jazz
détendu, cool, celui des Jerry Mulligan, Stan Getz, Art Pepper, du Miles Davis de "Birth of cool". Sauf que le biopic sur la vie de cette immense star (blanche) du jazz des 50's reste encore à produire...
C’est
l’acteur Ethan Hawke qui joue le rôle. Il y est excellent, mais l’homme a du talent
on le sait. Il nous évite le jeu forcé typique des junkies en manque. David Braid, jazzman, compositeur, a écrit ou réorchestré la musique. Et c’est
Etahn Hawke qui chante, d’une voix douce, feutrée, nicotinisée, mais pas encore
cette voix cassée et désagrégée des dernières années, du Chet Baker à bout de
souffle.
PS : l'année précédente, l'acteur/réalisateur Don Cheadle a tourné Miles Ahead, sur Miles Davis. Sorti sur quatre écrans aux USA, même pas distribué en France. DVD direct. Un film sur des noirs qui jouent de la musique de nègre ne serait-il pas banquable aux yeux des studios américains ? Le biopic sur James Brown avait fait un flop, mais celui sur Ray Charles avait cartonné...
PS : l'année précédente, l'acteur/réalisateur Don Cheadle a tourné Miles Ahead, sur Miles Davis. Sorti sur quatre écrans aux USA, même pas distribué en France. DVD direct. Un film sur des noirs qui jouent de la musique de nègre ne serait-il pas banquable aux yeux des studios américains ? Le biopic sur James Brown avait fait un flop, mais celui sur Ray Charles avait cartonné...
Je suis ultra preneur Luc.
RépondreSupprimerNe me demande pas pourquoi, mais j'adore ce genre de films qui racontent l'épopée d'un groupe ou d'un artiste. Et comme je ne connais rien du pourtant renommé Chet Baker, hop ! Je fonce.
J'ai bien aimé ce film retraçant la vie d'un musicien torturé comme Chet Baker, vas-y Vincent tu ne le regRetteras pas.
RépondreSupprimerJ'ai très peu de disque de Jazz mais Chet Baker en fait partie...
RépondreSupprimerUne musique à fleur de peau, moderne, un très grand....