samedi 8 octobre 2016

SCHUBERT – Symphonie N° 4 "Tragique" – Marc MINKOWSKI – par Claude TOON



- Merci pour votre papier M'sieur Claude, je m'en occupe. Ah, un Schubert ! "Tragique" indique une œuvre sombre, sans doute écrite vers la fin de sa vie, la maladie venue…
- Non, tout au contraire Sonia, une symphonie du jeune Schubert de 19 ans. Une musique exaltée et dramatique d'où ce sous-titre bizarre pour cette œuvre jamais jouée ni publiée de son vivant…
- Oui comme beaucoup d'ouvrages de Schubert d'après ce que j'ai lu depuis des années… Heu, Marc Minkowski n'est pas un spécialiste du baroque cela dit ?
- Oui, mais comme Harnoncourt et Herreweghe, le chef d'orchestre étend son répertoire vers la période classique et même romantique comme ici…
- Ses interprétations n'ont-elles pas prêté le flanc à la polémique ? J'ai ouï dire que des critiques malveillants brocardaient Minkowski à propos de cette intégrale ?
- Si jouer Schubert sur des instruments anciens ne coule pas de source Sonia, il faut reconnaître une verve à ses gravures qui ont enchanté les mélomanes, notamment anglo-saxons…

Schubert vers 20 ans
Je ne l'ai pas précisé à Sonia, mais si elle savait ce que je pense par moment des critiques Comme toujours, la nouveauté fait peur et une certaine presse spécialisée, très minoritaire dans ce cas, a commis divers brûlots sur ces live à Vienne, là où il faut s'enflammer pour une musique animée par un feu mélodique et instrumental qui crépite. Quant aux invectives de trois lignes et sans argumentation sur les parutions, propos insultants parfois qui canonnent des bordées de fautes d'orthographes dans les blogs ou sur Amazon, pas de commentaires… Moi aussi, Il y a des œuvres ou des interprétations que je trouve platounettes voire ch**es. Je n'en parle pas, car pourquoi juger ? Ou alors, je m'octroie une petite entorse facétieuse comme cet été pour la rugissante Ouverture de 1812 de Tchaïkovski qui… en rigolait lui-même du style fanfaronnant. Deblocnot = partage des passions, dont acte !
Revenons à Schubert.
Si la symphonie n°8 "Inachevée" et la n°9 "la grande" ont su gagner rapidement la faveur du public, ce n'est pas le cas pour les six premières symphonies de jeunesse. Si le compositeur était le prince de la mélodie, de la musique de chambre et des pièces pour piano, l'univers symphonique semble avoir tardé à être maîtrisé par le jeune viennois.
Sur les six premières symphonies composées entre 1813 et 1818 (16 à 21 ans), seules la 2ème et la 6ème seront créées du vivant de Schubert. La publication officielle des partitions attendra 1884 et, même à cette époque, certains compositeurs comme Brahms considèrent ces œuvres comme mineures, comprendre par-là de simples témoignages des premiers essais orchestraux de Schubert peu dignes de figurer dans les programmes des concerts. La 4ème symphonie ne sera créée qu'en 1849, 20 ans après la mort de Schubert.
C'est par la démocratisation du microsillon que l'on va découvrir ce patrimoine. Si les enregistrements des deux dernières symphonies sont pléthoriques, seuls des chefs de renom et de grand talent ont mis leur notoriété au service de la découverte de ces symphonies. Soyons objectifs, on ne trouve pas dans ces pages l'énergie d'un Mozart, la fantaisie d'un Haydn ou la maturité d'un Beethoven. Mal jouées, ces partitions semblent engoncées dans l'académisme de la forme sonate et ses réexpositions. L'interprète doit faire preuve d'une intelligence fine pour égayer le discours par une direction allègre et empreinte de panache. Fin des années 60, Karl Böhm avait su le faire avec une approche d'orfèvre dont il avait le secret. D'autres ont suivi avec plus ou moins de bonheur. Que dire de Marc Minkowski 40 ans plus tard ?
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Marc Minkowski (né en 1962)
Contrairement au chef historique Fritz Reiner qui avait dû suivre des cours pour apprendre à faire la gueule en permanence, il est quasi impossible de trouver une photo renfrogné du jovial Marc Minkowski qui affiche éternellement un sourire généreux, même la baguette à la main !
Marc Minkowski a commencé sa carrière très jeune comme basson dans des orchestres baroques renommés : Les Arts florissants de William Christie, le Clemencic Consort ou encore la Chapelle Royale de Philippe Herreweghe.
Il devient chef d'orchestre sans formation initiale. Enthousiaste, mais conscient qu'un métier aussi difficile s'apprend, il part pour Boston suivre les cours de Charles Bruck, grand amateur de musique moderne, à la Pierre Monteux Memorial School.
De retour en France, à seulement 19 ans en 1982, il fonde l'orchestre baroque Les musiciens du Louvre auquel on adjoindra en 1996 le nom de Grenoble, ville de résidence de la phalange.
Très rapidement, le jeune chef va acquérir un grand savoir-faire dans les univers baroque et classique grâce à un talent inné pour dépoussiérer la matière sonore, le recours à un jeu franc, clair et sans maniérisme.
Le répertoire du maestro est vaste : de Bach à Mozart, mais s'évade aussi très largement vers l'âge romantique et même moderne comme Stravinski. La carrière de Marc Minkowski a pris une ampleur internationale et la discographie est riche.
Les musiciens du Louvre Grenoble est menacé de disparaitre cette année, le maire Michel Destot (EÉLV) ayant décidé de lui couper les vivres ! À suivre…
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Vienne vers 1800 (Carl Schütz)
Ceux qui découvriront cette symphonie, et peut-être même ceux qui en sont familiers, doivent se demander d'où sort ce sous-titre "Tragique" pour cette œuvre qui n'évoque ni gravité ni détresse, pas au sens mahlérien des deux termes : la peur de la mort. Ce n'est pas un surnom tardif mais un choix de Schubert. 1816 est une année de Lieder, on les compte par dizaines. Schubert sait très bien que la reconnaissance d'un compositeur passe par l'écriture de symphonies, les plus imposantes et dramatiques possibles, dans cette Vienne qui connaît les premiers soubresauts du romantisme. Ce manque de notoriété lui pèse et fait de l'année 1816 une période dépressive et pessimiste. Comme Mozart, Schubert utilise peu les tonalités mineures. Mais subjugué comme le tout Vienne par la fabuleuse 5ème "du destin" de Beethoven de 1808, Schubert retient le Ut mineur, tonalité pathétique, et souhaite disposer d'une orchestration élargie par rapport à celle des trois premières symphonies déjà écrites. Ut mineur, un grand orchestre, la nouvelle symphonie sera "tragique". Mais Schubert n'est à cet époque ni sourd ni vieillissant, amer mais encore confiant, l'œuvre va sonner avec dramatisme certes, mais avec tant de lyrisme que le mot "tragique" semble à la fois justifié et excessif…
L'orchestration est très similaire à celle de la symphonie "héroïque" de Beethoven : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, 2 timbales et les cordes.
4 cors ! En la bémol, en mi bémol, en ut. Je coupe les cheveux en quatre dirait Sonia. Et bien non car choisir ces tonalités qui élargissent la tessiture globale des cors va avoir une influence déterminante sur la sonorité du groupe des cuivres… Je vais y revenir.

Maison natale de Schubert
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1 – Adagio molto – Allegro Vivace : Un grondement de tonnerre de l'orchestre à l'unisson introduit la symphonie. Un sombre tutti suivi d'une marche solennelle et rythmée, dans laquelle entre les coups de timbales s'entrelacent dans les ténèbres les cordes et les vents. Oui, on ne peut nier l'effet tragique et éprouvant de ce sombre adagio. Schubert s'inspire-t-il du même effet introductif que ceux de la symphonie N° 103 de Haydn ou de la symphonie N°7 de Beethoven : une inquiétante résignation avant de lancer une tentative de réconciliation dans l'allegro ?
[2:33] Une surprise, qui n'en est pas une quand on connaît bien l'écriture schubertienne : envolée de l'allegro dans l'insolite mi bémol majeur ! Le flot musical devient vaillant, emporté, déchaîne une lutte farouche entre divers motifs plutôt allègres. Le contraste émotionnel avec la douloureuse introduction est saisissant. La musique est fortement rythmée, les traits de cordes agressifs. Le climat se veut tendu et nerveux. Comme souvent chez Schubert, on peut trouver la structure du mouvement répétitive, conséquence d'une mise en pratique pure et dure de la forme sonate, mais la force épique qui se dégage de ce torrent orchestral nous entraîne avec passion dans la tourmente. Tout l'intérêt de la direction de Marc Minkowski est d'appuyer le trait, de gommer tout faux romantisme éthérée à cette œuvre qui doit tant au classicisme dans la forme, et à la sauvagerie thématique d'un Beethoven que Schubert idolâtre. On pourra ne pas raffoler des sonorités rugueuses des instruments historiques, voire douter de leur justesse, mais bon sang, quel flamme !! Schubert, le prince de la musique de chambre, apporte à travers ses développements un élan prométhéen, notamment  dans les puissants accords des cors. Et c'est là que l'utilisation d'un cor en mi (qui sonne dans le grave comme un trombone) trouve une place judicieuse dans l'orchestration. Et bien entendu, le jeune homme jongle les modes majeurs et mineurs, dont le sol mineur. Des joutes de tonalités qui seront sa signature et ouvrent une petite porte vers un chromatisme moderne. Quel âge ? Ah oui : 19 ans… Bon Ok, quelques emprunts de petits motifs de Beethoven. Plagiat ou admiration, je vote pour l'hypothèse 2 !

2 – Andante : [9:43] Dans une symphonie dite tragique, on est en droit d'attendre une marche funèbre comme dans l'"héroïque" de Beethoven. Que nenni, une marche peut-être, mais une promenade et de plus dans le la bémol majeur plutôt serein. Pour un tissu orchestral plus léger, les deux cors graves et les timbales ont pris congé. Les cordes entonnent une mélopée; le hautbois solo, intervient pour chanter une élégiaque romance, un thème repris par les violoncelles puis les flûtes. Aucun climat pastoral cependant plutôt une profonde réflexion intime sur la raison d'être du compositeur.
[11:48] Brusque transition en fa mineur avec accélération de tempo. Une idée sombre et angoissée, une oppression étreint la poitrine de Schubert. Ce second mouvement alterne la sérénité introductive avec un second groupe thématique enfiévré. Marc Minkowski marque avec fermeté et conviction les contradictions passionnelles de cet andante. Schubert ne retrouvera une telle ambition dans la durée et le pathétisme que bien plus tard, dans la symphonie Inachevée et bien sûr dans la grande symphonie en Ut.

3 – Menuetto. Allegro vivace – Trio : [19:6] On a souvent écrit à juste raison que Schubert rencontrait des difficultés pour terminer ses symphonies, comme si tout avait été dit dans les deux mouvements initiaux. Inutile de jouer aux chercheurs d'or pour retrouver la fin de la symphonie "Inachevée", Il est quasiment certain que Schubert a jeté quelques mesures sur une partition pour la beauté du geste et n'y est jamais revenu. Les tentatives musicologiques destinées à compléter ce chef d'œuvre le dénaturent de piètre manière, là ! On rencontre ce manque de talent pour conclure triomphalement sa symphonie. Un menuet ?! Comme à l'époque de Mozart jeune. Un thème assez allant puis pour le trio un air dansant presque un air de cour avec un solo de flûte. Certes l'alacrité de Marc Minkowski égaille le discours, mais quel banalité. Enfin juste 3 minutes…

4 - Allegro [22:22] – Le final se lance frénétiquement par un effet de vagues scandé par les instruments dans un registre grave. Est-ce une tentative de redonner une atmosphère de tragédie initialement prévue ? On peut en douter dès le second motif survolté. Schubert développe un (trop ?) long perpetuum mobile un peu vain pour ne pas dire lassant. Impossible d'échapper à la forme sonate basique. Quelques facéties tentent d'émerger mais trop rarement pour captiver l'auditoire et permettre de classer cette ultime partie comme une production de la cour des grands. Mais, la déception reste quand même mince grâce à un Marc Minkowski qui fait chanter son orchestre, cherchant à colorer tel ou tel motif, vivifiant le phrasé par des contrastes p et f bien soulignés et agrestes. Un mouvement un peu vide mais très festif et puis quel exemple du talent de l'orchestration et du dynamisme par Schubert.
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Le cycle complet avec les 6 symphonies de jeunesse de Schubert est souvent disponible en intégrale, principalement dans des coffrets de 4 CD. La valeur sûre reste celle de Karl Böhm enregistrée fin des années 60 début 70. Avec une Philharmonie de Berlin dopée par Herbert von Karajan, son directeur de l'époque, Böhm, l'autre illustre maestro autrichien, donne à la puissante phalange une sonorité aérienne inattendue à l'époque. Et puis Karl Böhm insuffle une pensée schubertienne faite d'intimisme, de respiration et de trouble. Même le final répétitif devient élégant sous sa baguette. (Dgg – 6/6 pour l'intégrale, 5 pour la 4ème symphonie.)
En CD isolé et à prix doux, Carlo Maria Giulini, à la tête de l'orchestre symphonique de Chicago (lui aussi brillant et sans emphase), offre une lecture grandiose mais sans pathétisme outrancier. Quel souffle, mais peut-être un peu sage voire hautain. (Dgg – 5/6.) En complément de cette 4ème, une "symphonie inachevée" d'une beauté et d'une grandeur crépusculaires.
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2 commentaires:

  1. Je pensais aussi qu'avec dans la dénomination "Tragique", une histoire avec la mort prédominait l'esprit de Schubert puisqu'en 1817 il écrira le lieder "La jeune fille et la mort". Pourtant il n'en est rien et le lyrisme et les envolées schubertienne sont présentes. J'ai toujours trouvé dans ses symphonies un petit coté "nostalgique" à l'oreille qu j'aime beaucoup (Mais chacun conçoit selon son oreille et sa façon de concevoir une oeuvre). Hormis ça, je connaissais la version de K.Böhm mais je dois avouer que je préfère la version de Minkowski (Une histoire d'âge peut être ?).

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    1. Je viens d'écouter l'intégrale par Minkowski sur Deezer et pas uniquement la 4… Même la 9ème (8 ?) retrouve couleurs et légèreté. Un régal. Du coup Böhm reste à Paris avec quelques gravures isolées comme Carlos Kleiber dans la 3 et la 8, comme Böhm à Dresde dans la 9 et en live, un CD rare. Herbert Blombstedt, également excellent à Dresde, commenté dans l'article sur "l'inachevée" va constituer un élément de la discothèque savoyarde en cours… Il faut gagner de la place ;o)

      http://www.deezer.com/album/9426968

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