- Merci pour votre papier
M'sieur Claude, je m'en occupe. Ah, un Schubert ! "Tragique" indique
une œuvre sombre, sans doute écrite vers la fin de sa vie, la maladie venue…
- Non, tout au contraire
Sonia, une symphonie du jeune Schubert de 19 ans. Une musique exaltée et
dramatique d'où ce sous-titre bizarre pour cette œuvre jamais jouée ni publiée
de son vivant…
- Oui comme beaucoup
d'ouvrages de Schubert d'après ce que j'ai lu depuis des années… Heu, Marc Minkowski
n'est pas un spécialiste du baroque cela dit ?
- Oui, mais comme
Harnoncourt et Herreweghe, le chef d'orchestre étend son répertoire vers la
période classique et même romantique comme ici…
- Ses interprétations
n'ont-elles pas prêté le flanc à la polémique ? J'ai ouï dire que des critiques
malveillants brocardaient Minkowski à propos de cette intégrale ?
- Si jouer Schubert sur
des instruments anciens ne coule pas de source Sonia, il faut reconnaître une
verve à ses gravures qui ont enchanté les mélomanes, notamment anglo-saxons…
Schubert vers 20 ans |
Je
ne l'ai pas précisé à Sonia, mais si elle savait ce que je pense par moment des
critiques… Comme toujours, la nouveauté fait peur et une certaine presse
spécialisée, très minoritaire dans ce cas, a commis divers brûlots sur ces live
à Vienne, là où il faut s'enflammer pour une musique animée par un feu mélodique
et instrumental qui crépite. Quant aux invectives de trois lignes et sans
argumentation sur les parutions, propos insultants parfois qui canonnent des
bordées de fautes d'orthographes dans les blogs ou sur Amazon, pas de
commentaires… Moi aussi, Il y a des œuvres ou des interprétations que je trouve
platounettes voire ch**es. Je n'en parle pas, car pourquoi juger ? Ou alors, je
m'octroie une petite entorse facétieuse comme cet été pour la rugissante Ouverture de
1812 de Tchaïkovski
qui… en rigolait lui-même du style fanfaronnant. Deblocnot = partage des
passions, dont acte !
Revenons
à Schubert.
Si
la symphonie n°8
"Inachevée" et la n°9 "la grande"
ont su gagner rapidement la faveur du public, ce n'est pas le cas pour les six
premières symphonies de jeunesse. Si le compositeur était le prince de la mélodie,
de la musique de chambre et des pièces pour piano, l'univers symphonique semble
avoir tardé à être maîtrisé par le jeune viennois.
Sur
les six premières
symphonies composées entre 1813
et 1818 (16 à 21 ans), seules la 2ème
et la 6ème seront créées du
vivant de Schubert. La publication
officielle des partitions attendra 1884
et, même à cette époque, certains compositeurs comme Brahms
considèrent ces œuvres comme mineures, comprendre par-là de simples témoignages
des premiers essais orchestraux de Schubert
peu dignes de figurer dans les programmes des concerts. La 4ème symphonie ne
sera créée qu'en 1849, 20 ans après
la mort de Schubert.
C'est
par la démocratisation du microsillon que l'on va découvrir ce patrimoine. Si
les enregistrements des deux dernières symphonies sont pléthoriques, seuls des
chefs de renom et de grand talent ont mis leur notoriété au service de la
découverte de ces symphonies. Soyons objectifs, on ne trouve pas dans ces pages
l'énergie d'un Mozart, la fantaisie d'un Haydn ou la maturité d'un Beethoven. Mal jouées, ces partitions
semblent engoncées dans l'académisme de la forme sonate et ses réexpositions. L'interprète
doit faire preuve d'une intelligence fine pour égayer le discours par une direction
allègre et empreinte de panache. Fin des années 60, Karl
Böhm avait su le faire avec une approche d'orfèvre dont il avait
le secret. D'autres ont suivi avec plus ou moins de bonheur. Que dire de Marc Minkowski 40 ans plus tard ?
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Marc Minkowski (né en 1962) |
Contrairement
au chef historique Fritz Reiner qui avait dû
suivre des cours pour apprendre à faire la gueule en permanence, il est quasi
impossible de trouver une photo renfrogné du jovial Marc
Minkowski qui affiche éternellement un
sourire généreux, même la baguette à la main !
Marc Minkowski
a commencé sa carrière très jeune comme basson dans des orchestres baroques
renommés : Les Arts florissants de William Christie, le Clemencic
Consort ou encore la Chapelle
Royale de Philippe
Herreweghe.
Il
devient chef d'orchestre sans formation initiale. Enthousiaste, mais conscient
qu'un métier aussi difficile s'apprend, il part pour Boston suivre les cours de
Charles Bruck, grand amateur de musique
moderne, à la Pierre Monteux Memorial School.
De
retour en France, à seulement 19 ans en 1982, il fonde l'orchestre baroque Les
musiciens du Louvre auquel on adjoindra en 1996 le nom de Grenoble, ville de
résidence de la phalange.
Très
rapidement, le jeune chef va acquérir un grand savoir-faire dans
les univers baroque et classique grâce à un talent inné pour dépoussiérer la matière sonore,
le recours à un jeu franc, clair et sans maniérisme.
Le
répertoire du maestro est vaste : de Bach
à Mozart, mais s'évade aussi très largement vers l'âge
romantique et même moderne comme Stravinski.
La carrière de Marc Minkowski
a pris une ampleur internationale et la discographie est riche.
Les musiciens du Louvre Grenoble est menacé de disparaitre
cette année, le maire Michel Destot
(EÉLV) ayant décidé de lui couper les vivres ! À suivre…
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Vienne vers 1800 (Carl Schütz) |
Ceux
qui découvriront cette symphonie, et peut-être même ceux qui en sont familiers,
doivent se demander d'où sort ce sous-titre "Tragique"
pour cette œuvre qui n'évoque ni gravité ni détresse, pas au sens mahlérien des
deux termes : la peur de la mort. Ce n'est pas un surnom tardif mais un choix de
Schubert. 1816 est une année de Lieder, on les compte par dizaines. Schubert sait très bien que la
reconnaissance d'un compositeur passe par l'écriture de symphonies, les plus
imposantes et dramatiques possibles, dans cette Vienne qui connaît les premiers soubresauts du romantisme. Ce manque
de notoriété lui pèse et fait de l'année 1816
une période dépressive et pessimiste. Comme Mozart,
Schubert utilise peu les tonalités
mineures. Mais subjugué comme le tout Vienne par la fabuleuse 5ème "du
destin" de Beethoven
de 1808, Schubert
retient le Ut mineur, tonalité pathétique, et souhaite disposer d'une
orchestration élargie par rapport à celle des trois premières symphonies déjà
écrites. Ut mineur, un grand orchestre, la nouvelle symphonie sera
"tragique". Mais Schubert
n'est à cet époque ni sourd ni vieillissant, amer mais encore confiant, l'œuvre
va sonner avec dramatisme certes, mais avec tant de lyrisme que le mot
"tragique" semble à la fois justifié et excessif…
L'orchestration
est très similaire à celle de la symphonie
"héroïque" de Beethoven : 2/2/2/2, 4 cors, 2
trompettes, 2 timbales et les cordes.
4
cors ! En la bémol, en mi bémol, en ut. Je coupe les cheveux en quatre dirait
Sonia. Et bien non car choisir ces tonalités qui élargissent la tessiture globale
des cors va avoir une influence déterminante sur la sonorité du groupe des
cuivres… Je vais y revenir.
Maison natale de Schubert XXXX |
1 – Adagio molto – Allegro
Vivace
: Un grondement de tonnerre de l'orchestre à l'unisson introduit la symphonie.
Un sombre tutti suivi d'une marche solennelle et rythmée, dans laquelle entre
les coups de timbales s'entrelacent dans les ténèbres les cordes et les vents. Oui,
on ne peut nier l'effet tragique et éprouvant de ce sombre adagio. Schubert s'inspire-t-il du même effet
introductif que ceux de la symphonie
N° 103 de Haydn
ou de la symphonie
N°7 de Beethoven
: une inquiétante résignation avant de lancer une tentative de réconciliation
dans l'allegro ?
[2:33]
Une surprise, qui n'en est pas une quand on connaît bien l'écriture
schubertienne : envolée de l'allegro dans l'insolite mi bémol majeur ! Le flot
musical devient vaillant, emporté, déchaîne une lutte farouche entre divers
motifs plutôt allègres. Le contraste émotionnel avec la douloureuse
introduction est saisissant. La musique est fortement rythmée, les traits de
cordes agressifs. Le climat se veut tendu et nerveux. Comme souvent chez Schubert, on peut trouver la structure du
mouvement répétitive, conséquence d'une mise en pratique pure et dure de la
forme sonate, mais la force épique qui se dégage de ce torrent orchestral nous
entraîne avec passion dans la tourmente. Tout l'intérêt de la direction de Marc Minkowski
est d'appuyer le trait, de gommer tout faux romantisme éthérée à cette œuvre qui
doit tant au classicisme dans la forme, et à la sauvagerie thématique d'un Beethoven que Schubert
idolâtre. On pourra ne pas raffoler des sonorités rugueuses des instruments
historiques, voire douter de leur justesse, mais bon sang, quel flamme !! Schubert, le prince de la musique de
chambre, apporte à travers ses développements un élan prométhéen, notamment dans les puissants accords des cors. Et c'est
là que l'utilisation d'un cor en mi (qui sonne dans le grave comme un trombone)
trouve une place judicieuse dans l'orchestration. Et bien entendu, le jeune
homme jongle les modes majeurs et mineurs, dont le sol mineur. Des joutes de
tonalités qui seront sa signature et ouvrent une petite porte vers un
chromatisme moderne. Quel âge ? Ah oui : 19 ans… Bon Ok, quelques emprunts de
petits motifs de Beethoven. Plagiat ou
admiration, je vote pour l'hypothèse 2 !
2 – Andante : [9:43] Dans une symphonie dite
tragique, on est en droit d'attendre une marche funèbre comme dans l'"héroïque"
de Beethoven. Que nenni, une marche
peut-être, mais une promenade et de plus dans le la bémol majeur plutôt serein.
Pour un tissu orchestral plus léger, les deux cors graves et les timbales ont
pris congé. Les cordes entonnent une mélopée; le hautbois solo, intervient pour
chanter une élégiaque romance, un thème repris par les violoncelles puis les
flûtes. Aucun climat pastoral cependant plutôt une profonde réflexion intime sur
la raison d'être du compositeur.
[11:48]
Brusque transition en fa mineur avec accélération de tempo. Une idée sombre et angoissée,
une oppression étreint la poitrine de Schubert.
Ce second mouvement alterne la sérénité introductive avec un second groupe thématique
enfiévré. Marc Minkowski
marque avec fermeté et conviction les contradictions passionnelles de cet
andante. Schubert ne retrouvera une
telle ambition dans la durée et le pathétisme que bien plus tard, dans la symphonie Inachevée
et bien sûr dans la grande
symphonie en Ut.
3 – Menuetto. Allegro vivace – Trio : [19:6] On a
souvent écrit à juste raison que Schubert rencontrait des difficultés pour
terminer ses symphonies, comme si tout avait été dit dans les deux mouvements
initiaux. Inutile de jouer aux chercheurs d'or pour retrouver la fin de la
symphonie "Inachevée", Il est quasiment certain que Schubert a jeté
quelques mesures sur une partition pour la beauté du geste et n'y est jamais
revenu. Les tentatives musicologiques destinées à compléter ce chef d'œuvre le
dénaturent de piètre manière, là ! On rencontre ce manque de talent pour conclure
triomphalement sa symphonie. Un menuet ?! Comme à l'époque de Mozart jeune. Un
thème assez allant puis pour le trio un air dansant presque un air de cour avec
un solo de flûte. Certes l'alacrité de Marc
Minkowski égaille le discours, mais quel
banalité. Enfin juste 3 minutes…
4 - Allegro [22:22] – Le final
se lance frénétiquement par un effet de vagues scandé par les instruments dans
un registre grave. Est-ce une tentative de redonner une atmosphère de tragédie
initialement prévue ? On peut en douter dès le second motif survolté. Schubert développe un (trop ?) long perpetuum
mobile un peu vain pour ne pas dire lassant. Impossible d'échapper à la forme
sonate basique. Quelques facéties tentent d'émerger mais trop rarement pour
captiver l'auditoire et permettre de classer cette ultime partie comme une
production de la cour des grands. Mais, la déception reste quand même mince
grâce à un Marc Minkowski
qui fait chanter son orchestre, cherchant à colorer tel ou tel motif, vivifiant
le phrasé par des contrastes p et f bien soulignés et agrestes. Un mouvement un peu vide
mais très festif et puis quel exemple du talent de l'orchestration et du dynamisme par Schubert.
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Le
cycle complet avec les 6 symphonies de jeunesse de Schubert est souvent disponible en
intégrale, principalement dans des coffrets de 4 CD. La valeur sûre reste celle
de Karl Böhm enregistrée fin des années 60
début 70. Avec une Philharmonie de Berlin dopée par Herbert von Karajan, son directeur de l'époque, Böhm,
l'autre illustre maestro autrichien, donne à la puissante phalange une sonorité
aérienne inattendue à l'époque. Et puis Karl Böhm
insuffle une pensée schubertienne faite d'intimisme, de respiration et de
trouble. Même le final répétitif devient élégant sous sa baguette. (Dgg – 6/6 pour l'intégrale, 5 pour la 4ème
symphonie.)
En
CD isolé et à prix doux, Carlo
Maria Giulini, à la tête de l'orchestre symphonique
de Chicago (lui aussi brillant et sans emphase), offre une
lecture grandiose mais sans pathétisme outrancier. Quel souffle, mais peut-être
un peu sage voire hautain. (Dgg – 5/6.) En complément de cette 4ème, une "symphonie inachevée" d'une beauté et d'une grandeur crépusculaires.
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Je pensais aussi qu'avec dans la dénomination "Tragique", une histoire avec la mort prédominait l'esprit de Schubert puisqu'en 1817 il écrira le lieder "La jeune fille et la mort". Pourtant il n'en est rien et le lyrisme et les envolées schubertienne sont présentes. J'ai toujours trouvé dans ses symphonies un petit coté "nostalgique" à l'oreille qu j'aime beaucoup (Mais chacun conçoit selon son oreille et sa façon de concevoir une oeuvre). Hormis ça, je connaissais la version de K.Böhm mais je dois avouer que je préfère la version de Minkowski (Une histoire d'âge peut être ?).
RépondreSupprimerJe viens d'écouter l'intégrale par Minkowski sur Deezer et pas uniquement la 4… Même la 9ème (8 ?) retrouve couleurs et légèreté. Un régal. Du coup Böhm reste à Paris avec quelques gravures isolées comme Carlos Kleiber dans la 3 et la 8, comme Böhm à Dresde dans la 9 et en live, un CD rare. Herbert Blombstedt, également excellent à Dresde, commenté dans l'article sur "l'inachevée" va constituer un élément de la discothèque savoyarde en cours… Il faut gagner de la place ;o)
Supprimerhttp://www.deezer.com/album/9426968