mercredi 15 juin 2016

SAXON "Strong Arm of the Law" (septembre 1980), by Bruno



     Au sujet du Hard-Rock (terme qui s’avère malheureusement trop réducteur, voire même parfois mal-approprié, qui, encore aujourd’hui, peut être une barrière, une source d’a priori pour ceux qui ne s’y sont jamais vraiment intéressés de près), on a principalement parlé des nouveautés de ces dernières années (actualité oblige) et de ceux de la décennie des années 70 (probablement la plus intéressante pour ce style). Mais peut être pas suffisamment de ceux de la décennie suivante, celle des années 80. Soit celle qui correspond à son apogée, tant médiatique, qu’en terme de vente et de succès. C’est la décennie de son explosion avec notamment la conquête de la New Wave Of British Heavy-Metal, puis de l’émergence de diverses branches. C’est également la décennie qui marque une certaine radicalisation de cette musique. Les racines Blues sont ignorées, (parfois moquées même, bien qu'elles reviennent forcément à travers nombre de compositions), la nouvelle source d’inspiration étant alors les pionniers de cette musique. On passe au niveau supérieur dans la lourdeur, dans la rapidité d’exécution, dans l’agressivité déployée (souvent artificiellement). La saturation naturelle des amplis à lampes ne suffit plus, et les Fuzz et autres Overdrives (généralement plutôt de puissants boosters), considérées par les nouveaux barbares comme trop légères, sont mises au placard (ou carrément bazardées) et remplacées par des pédales de distorsions (« distortion »)  nettement plus charnues (remember les potards à onze ?). C’est parfois une stérile surenchère. C’est aussi une plongée dans une forme d’uniformisation avec une majorité de groupes qui se cantonnent à un style, ou bien n’osent pas s’écarter de temps à autres de leur terrain de prédilection, de crainte de s’attirer les foudres de leur public, (ou/et) de leur label, et même de la presse. Une rétrogradation des esprits ? C’est probable, d’autant plus que l’on peut aussi retrouver ce cloisonnement dans les autres styles de musique.
     Difficile dorénavant de retrouver la richesse et la versatilité d’un Bad Company, d’un Humble Pie, d’un Led Zeppelin ou d’un Thin Lizzy.
     Cependant, dans cette énorme bousculade de combos de chevelus hirsutes, parés de cuir, de clous et de jeans, se proclamant plus puissants – tantôt plus sales aussi - et voulant jouer plus fort que son voisin, il y en a quelques uns qui sont parvenus à s’extirper de la masse. (à savoir que derrière leurs allures de pseudo-guerriers post-apocalyptique croisées entre les Warriors de Walter Hill, le Mad Max de George Miller et autres accoutrements sado-maso agrémentés de résidus punk, il y avait de simple gamins, ou "grands-zenfants", faisant généralement preuve d'une franche camaraderie entre musiciens, comme s’ils faisaient partie d’une grande famille – bien plus en Europe qu’aux USA où l’esprit de compétition est souvent souhaité, et plus généralement dans la première moitié de cette décennie -).
  Second chapitre abordé sur cette NWOBHM. Après MAMA'S BOYS (clic/lien), un des fleurons de ce mouvement : SAXON.





     Plus ou moins oublié de nos jours, Saxon fut pourtant, à l'aube des années 80, un des chefs de file de la NWOBHM. Le groupe fut même dépositaire d'un son : le "red noise", qui servit de mètre étalon à toute une jeune cohorte de louveteaux avides de nouvelles sensations métalliques.

     Tout comme Iron Maiden, Motörhead et Praying Mantis, l'histoire de ce quintet prend naissance dans les années 70, précisément en 1976 à Barnsley dans le Yorkshire, alors sous le patronyme provocateur Sons of a Bitch. Pas très vendeur, ils changent pour un Saxon. Un patronyme qui pourrait être aussi mal pris par une partie de la population du Royaume-Uni, notamment de la part des Écossais, des Gallois et des Irlandais dont une importante frange considère toujours les Saxons comme des envahisseurs, des barbares colonisateurs
     Un premier effort est gravé en 1979. Un disque éponyme bien moyen, encore très marqué par sa décennie, manquant de maturité, et ne sachant pas vraiment quelle direction emprunter. Cela penche parfois même vers une forme Heavy de Rock-progressif. Toutefois, on entrevoit d'intéressantes possibilités. Les ventes sont plus que timides mais heureusement pour eux, leur label croit en eux et leur offre les moyens nécessaires pour un second essai dans de bonnes conditions (1). 
G à D : Oliver, Dawson, Biff, Quinn & Gill

     La seconde salve fait mouche. Avec "Wheels of Steel" le groupe trouve sa voie. Plus vraiment Hard-Rock mais pas absolument Heavy-Metal non plus. Un Heavy-Metal qui garde encore des liens avec certains schémas de Hard-Rock ; en l'occurrence celui d'un Heavy-boogie soutenu dont le maître incontesté reste Status-Quo. Un peu comme si Judas-Priest se mettait au Boogie, ou l'inverse (Status Quo au Heavy Metal) avec un batteur qui a calqué son jeu sur celui de Philty Animal Taylor (le Hun hirsute de la tête de moteur). Ce ne sera donc pas une surprise quand, quelques années plus tard, Pete Gill remplacera Taylor au sein de Motörhead. On peut aussi y déceler l'emprunte de Slade, notamment dans la forme de certains refrains avec ce souci de l'accroche et du communicatif, reflétant parallèlement quelque chose issue du prolétariat ; dans la conception aussi de riffs à la base rock'n'roll.

     Saxon c'est avant tout la voix singulière, aiguë tout en restant virile, de Peter "Biff" Byford qui perce aisément le son imposant érigé par les murs d'amplis Marshall. Une voix aidée par une réverbération qui lui confère un peu plus d'ampleur et de présence. Le chant cultive l'art de l'hymne fédérateur et minimaliste, cherchant l'équilibre entre un air martial et une mélodie aisément mémorisable.
Ensuite, c'est une paire de guitaristes soudés et complémentaires, dont le credo est de pondre des riffs imparables et évidents. Simples, efficaces et immédiatement mémorisables. Graham Oliver (Gibson, généralement des SG Custom, blanches de préférence (2) et Paul Quinn (plutôt Fender Stratocaster, surtout aux débuts, casquette puis implants) ne sont pas de grands techniciens, cependant ils ont déjà la qualité de savoir se montrer humbles dans leur jeu, à savoir de ne pas jouer ce qu'ils ne maîtriseraient pas. L'"à peu près" ne les intéressent pas (ce ne sont ni des Punks ni des présomptueux). Ce qu'ils font, ils le font bien, pour ne pas dire impeccablement. Soutenus par une grosse et large disto qu'ils laissent rugir après chaque chorus et riff, ils construisent un édifice inébranlable et génèrent une force et une consistance qui donnent à Saxon une puissance digne d'un bombardier. Un son "bouclier" qui se construit sur deux guitares inséparables au timbre distinctif. 

G à D : Gill, Oliver, Biff, Dawson & Quinn
Quant à Steve Dawson, dire qu'il est un bassiste du genre minimaliste (du moins à cette époque), est un euphémisme. (3)

     Le groupe tourne incessamment depuis des années, ce ne sont plus n'ont plus des louveteaux ; ils approchent tous la trentaine. C'est la ligne droite. C'est le moment où les doutes commencent à obséder. On se pose des questions. Continuer et vivre sa passion mais sans être sûr du lendemain, ou tout arrêter et essayer de trouver une source de revenu stable, alimentaire, mais alors probablement sans espoir d'un avenir confortable. En allant à l'encontre de sa personnalité, de ce pour quoi il nous semble être venu au monde. D'autant que depuis quelques années, le chômage ne cesse de s’accroître. C'est pourquoi que lorsque le succès finit par taper à leur porte, ces galériens préfèrent battre le fer tant qu'il est chaud, plutôt que se reposer sur leurs lauriers. Pas de vacances pour la bande à Biff. Au contraire, trop heureux de voir le bout du tunnel, ils redoublent d'effort. Profitant d'un engouement qu'ils n'espéraient peut-être plus, profitant du tsunami de la New Wave Of British Heavy-Metal - qu'ils ont participé à ériger - à peine trois mois après la sortie de leur second disque, ils envoient en pâture une nouvelle galette : "Strong Arm of the Law"
Biff, Dawson, Quinn et Gill

    Un disque nettement plus Heavy-Metal que son prédécesseur. 
     Suivant l'exemple de leur deuxième opus, le quintet attaque fort avec un titre dur, un titre d'acier entraîné à toute vitesse par une batterie version "char d'assaut". Une entrée en matière agressive, lancée comme un missile tomahawk. Un proche cousin du "Motorcycle Man" (de "Wheels of Steel") qui est rapidement devenu un classique du groupe repris sur scène (présent sur les live "The Eagle has landed", "Donington live tracks", "BBC Sessions" et "Greatest hits live"). Cependant, le groupe avouera qu'initialement "Heavy Metal Thunder" n'était pas aussi rapide. Ce serait l'ingé-son qui aurait un tantinet accéléré la bande. Quoi qu'il en soit, ce morceau devient rapidement emblématique, et une référence de la NWOBHM.
Si les cordes métalliques de "To Hell and Back Again" ralentissent un peu le tempo et insufflent un soupçon de mélodie, Pete Gill, lui, imperturbable, reste en mode Turbo (traumatisé par "Overkill").
Le titre éponyme parle de la vie dure des stéréotypes, précisément des a priori dont souffraient les jeunes rockers chevelus. Les paroles, assez naïves, content une expérience personnelle : l'arrestation du groupe par un policier zélé qui, se fiant à leur look et la musique qu'ils jouent, était persuadé de trouver des stupéfiants sur eux. "Strong Arm of the Law" est un bon exemple de la manière qu'a Saxon de travailler sur des refrains fédérateurs aptes à faire chanter le public. Paroles simples et rythme mnémonique. Un titre qui ressort en single en 1981, et qui fit longtemps parti de leurs hymnes incontournables.
Pur instant Heavy-Metal avec "Taking Your Changes" qui semble dans un premier temps s'immerger dans une forme de Speed-Metal avant d'être repris par une ébauche de mélodie portée par le chant. Les soli sont bien imprégnés de la marque de Fast Eddie Clarke.
"20 000 FT" suit sur la lancée. Un titre très marqué, encore un, par Motörhead, et qui dut marquer les esprits des membres d'une future et proche nouvelle scène Métôl, tant nombres d'ingrédients propres au Speed-Metal, et autres Thrash-metal, y sont présents. 
Enchaîné par des barrissements d'une sombre créature des profondeurs (créés à l'aide d'un pédalier pour basse de Dawson), "Hungry Years" s'impose doucement et sûrement. Introduit par des arpèges surgissant de la brume, ce titre renoue avec le Rock'n'Roll de leurs débuts dont certains espaces musicaux peuvent évoquer les Australiens d'AC/DC.
     La pièce la plus longue, avec ses 6 minutes 30 - pour clôturer la galette. Un riff droit, sobre, binaire et tranchant, proche de l'univers des Scorpions nouvelle formule, de l'après Roth, porte à bout de bras un "Dallas 1 PM" idéal pour faire instantanément headbanger le public. Sur la version américaine, c'est ce titre qui ouvre l'album. Et pour cause, les paroles énumères, en peu de mots, l'assassinat de J.F. Kennedy et du malaise qui s'ensuivit. Encore un classique de Saxon.
D à G : Biff, Oliver, Dawson et un bras de Quinn

     Avec deux disques à succès en un an, Saxon devient une référence incontournable. Un des portes étendard de cette NWOBHM. Le logo distinctif se retrouve irrémédiablement dessiné sur les sacs US, les blousons en jeans et les treillis, ou alors cousus aux côtés des Scorpions, AC/DC, Iron Maiden, Motörhead et Trust. Les hardos apprentis gratteux apprenaient les riffs de "747 (Stranger in the Night)", "Wheels of Steel", "Dallas 1 P.M." et "Princess of the Night", qui doivent faire désormais partie du vocabulaire des étudiants et officiants en riffs d'acier (d'autant plus qu'ils sont très accessibles).

     Malheureusement, Saxon n'a pas tiré la leçon des groupes de la fin des années 60 et du début 70. Ces groupes que l'on avait pressés comme des citrons, et qui avaient finis, épuisés, par se disloquer en plein vol, par se crasher lamentablement. La bande de Barnsley aurait dû marquer une pause pour se ressourcer. Mais avait-elle eu le choix ? De 1979 à 1986, quand elle n'est pas en studio en train d'enregistrer (généralement assez vite), est constamment sur la route. C'est un cycle incessant, disque-tournée-disque. Seule l'année 1982 a été exempté d'heures de studio grâce à la sortie du live, "The Eagle Has Landed" (qui fut un sujet de discorde avec le label car le groupe aurait souhaité un double). Mais pas de concert (dont le Monsters of Rock de Donington). 
Le succès est là, mais les tournées en Europe s'avèrent éreintantes et pas nécessairement lucratives par rapport aux efforts fournis. Et c'est donc bien légitimement que le marché du continent Nord-américain fait saliver. Le groupe fait alors d'énormes concessions et se calque sur les productions US. Production ad hoc et look qui va avec  ... on passe chez le coiffeur pour brushing à la mode (Hair Metal ... zobe, on attribue une musique à une coupe de cheveux. C'est la décadence des esprits. L'abrutissement des masses) et se la joue poseurs et danseuses. Sur les clips, les membres affichent des mines béates de niais ravis (le fun naturel des Van Halen est passé par là et tout le monde les imite pour tenter d'attirer la sympathie du public. Putain, les mecs ! Soyez vous-même ! Merde !). Certains sont à peine reconnaissables. 

     Ce nouveau son est considéré comme une trahison par les fans, et même la presse n'épargne pas le groupe du "Red Noise". Et quand Saxon vire FM, une majorité se détourne d'eux. Le reprise de "Ride Like the Wind" de Christopher Cross n'ayant fait qu'amplifier le désintéressement des fans européens (album "Destiny" de 1988). Progressivement, à partir de "Power and the Glory", les ventes diminuent à la maison, au Royaume-Uni, pour progresser notablement aux USA. Les membres historiques quittent un à un le navire (mais Dawson, lui, c'est sa femme qui le pousse à ranger sa basse. Elle en a marre de la vie en tournée de son mari).


     Plus tard, Saxon, peut être un peu perdu, déstabilisé par le succès perdu, tombe dans le pièges des archétypes du Heavy-Metal band, se retrouvant parfois même le sujet de moqueries. Par un manque évident de moyen, Biff aurait fait des entrées théâtrales à la manière d'Eric Bloom du BÖC  ou de Rob Halford de Judas, soit sur un deux roues ; cependant, sur un engin bien moins proche d'une grosse cylindrée ronflante et rugissante (vroummm - vrAaoumm) ... qu'une mobylette. 
Steve Dawson servit de modèle à Harry Shearer lorsqu'il composa le personnage de Derek Smalls, le bassiste moustachu laconique et un peu simplet de la comédie Spinal Tap
Pas rancunier le Dawson (ou preuve d'humilité), puisque l'acteur sera invité à écrire la préface du livre "Saxon, Drugs & Rock'n'Roll - The Real Spinal Tap", écrit par Graham Oliver et Dawson, relatant des anecdotes issues de leurs années en tournée.

     Cependant, plus de trente-cinq plus tard, ce "Strong Arm of the Law", ainsi que "Wheels of Steel" (dont le titre éponyme parle de bagnole, une Ford Chevy 68, et non de moto) et "Denim and Leather" (à mon sens bien moins bon), ont gardé leur facteur sympathie auprès des métallovores
C'est une grosse influence pour des groupes tels que Metallica, Running Wild, Megadeth, Pantera et Mötley Crüe..
 Si Saxon s'est vue dépasser par des jeunes loups, il demeure un des rares combos de la NWOBHM encore en activité.


(1) Leur label n'est autre que Carrere, la boîte de Claude Ayot, spécialisée dans la chanson française (et pas que dans du bon ... loin de là), qui tente alors une incursion dans le marché Hard-Rock. Expérience qui ne renouvellera pas en dépit de résultats qui durent être meilleurs que de ceux de Véronique Jannot, de Topaloff et de Rika Zaraï.

(2) Il y a la fameuse Gibson SG blanche avec l'effigie d'Hendrix dessinée sur le corps. Plus tard, il est endossé par la marque Vintage. Il utilise une Metal Axxe Raider (d'inspiration Jackson et Charvel). Vintage lui confectionne deux modèles signatures : une SG, blanche, avec vibrato et une Flying V, blanche aussi. En grand fan d'Hendrix, il utilisait aux débuts du groupe une Stratocaster pour gaucher, qu'il dut, à cause d'un manque de moyens financiers, se résoudre à vendre. Aujourd'hui, il est à la recherche de cette Stratocaster qu'il estime avoir une certaine valeur (d'autant plus qu'à l'époque les modèles gauchers n'étaient pas légions), vendue à un certain Bill des îles Shetland. Mais pas nécessairement pour la racheter.



Autres articles / SAXON (lien/clic) : SAXON - "Unleashed the Beast" (1997)

6 commentaires:

  1. Pas vraiment les pires dans le genre. Filiation blues/boogie encore assez marquée en effet.

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    1. Non, "pas les vraiment les pires dans le genre" (hé, hé ,hé), car effectivement, on a eu par la suite quelques belles caricatures.
      Une des revues spécialisées (Enfer Mag, j'crois bien) de l'époque créa d'ailleurs une rubrique : "Et pourtant ils tournent...".
      Tout d'un coup, on avait la quantité (en matière de Hard-Rock et autres affiliés "métalliques") mais plus vraiment la qualité. Ce qui, finalement, a tué le mouvement.

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  2. Cela faisait longtemps que je n'avais pas bavé sur un tel post !
    Bravo le Corse....

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    1. Argh... j'pique un fard. Merci.

      (et en même temps, merci pour ce mini-concert de Ruby Starr. Chanteuse dont je surveille régulièrement une réédition d'au moins un de ses disques en CD. Tiens, je n'y avais pas fait cas, mais il y a pas mal de Ruby Starr dans la jeune Colleen Ronnison de No Sinner)

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  3. SAXON un très rare groupe de la NWOBHM qui assure encore emmené par un super Biff; d'ailleurs un des meilleurs groupes de la journée de samedi au festival Download, et qui remettra ça lors d'une tournée française en fin d'année avec Girlschool, d'autres survivant(e)s de cette vague métallique

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  4. Les seuls habilités à piquer un fard sont les Bretons. Pas les Corses.

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