Paul
Verhoeven a eu deux carrières, chez lui en Hollande dans les années 70, TURKISH DELICES, LE 4eme HOMME, puis à
Hollywood, s’appropriant des films de genre en y distillant tout son mauvais
esprit. Et en signant quelques classiques comme LA CHAIR ET LE SANG, BASIC
INSTINCT, STARSHIP TROOPERS, TOTAL RECALL. Retour au bercail avec BLACK BOOK, et le voilà
maintenant en France. Pourquoi chez nous ? Visiblement son scénario –
écrit en anglais pour un tournage aux USA, à Boston - ne trouvait pas preneur,
jugé trop scandaleux. Et c’est tant mieux ! D’autant que, qui d’autre qu’Isabelle
Huppert pour incarner ce personnage ? Nicole Kidman, comme pressentie ?
Paul Verhoeven, et Isabelle Huppert |
Tout
le film tourne autour de ce personnage central. Michèle gère sa vie, seule,
sans intervention extérieur. Seule l’irruption du violeur n’était pas planifiée,
Michèle fera avec, rentrera l’intrus dans l’équation. Rien n’est normé autour d’elle.
Divorcée, elle fréquente quotidiennement son mari, excellent Charles Berling. Son
amant est le mari de sa meilleure amie, Anne Consigny, trouble aussi, justes
amies ? Michèle a un grand fils, qui va être papa d’un p’tit gars qui n’est
visiblement pas le sien, mais celui de son pote, noir… Tout le monde s’en rend
compte sauf l’intéressé. C’est terrible, car drôle et complètement tragique à
la fois. Et sa mère… excellente Judith
Magre, bourgeoise sexagénaire qui se tape des gigolos, étale sa vie sexuelle, et
va se remarier.
C’est
un film dérangeant au sens où rien ne se passe comme prévu. Aucune situation n’est
banale, aucune réaction prévisible. Michèle n’a pas un caractère pervers. Quoique…
on se demande parfois si elle ne fantasme pas sur son violeur. Et cette scène
où elle se caresse en observant son voisin, Laurent Laffite, à la jumelle. Qui
prend sa douche ? Non, qui installe une crèche dans son jardin, avant
Noël. On la cerne mal, encore une cause dérangeante, car le film n’est pas
psychologique. Verhoeven n’explique pas, n’argumente pas. Michèle est une femme
qui agit, elle est dans l’action, à l’image de la mise en scène, toujours en
mouvement, mais pas désordonnée. Précise.
Il
y a un autre élément qui trouble, c’est l’humour. S’il y a un jeu pervers, c’est
celui de Paul Verhoeven, qui joue avec ses personnages comme un chat avec sa
proie, chat omniprésent dans le film. Verhoeven s’en amuse, plusieurs scènes
sont drôles, grinçantes : le repas de Noël, la voisine catho et son « j’ai
la foi, je peux mettre la messe de minuit ? », voisine jouée par
Virginie Efira, sans doute pas assez exploitée. Les frasques de la maman, la
situation ubuesque du fils et son bâtard. On sourit, mais c’est glacial. Comme
lorsque Michèle raconte son enfance. Ah oui, parce qu’elle est la fille d’un
homme célèbre, qui croupit en prison depuis quarante ans pour avoir massacré 27
personnes pendant une soirée. Elle vit avec ça, ce héros de la famille, et le
raconte avec un tel détachement, précisant qu’il a tué aussi les animaux « mais
pas le hamster… on s’est toujours demandé pourquoi… ».
Le
film tient aussi du thriller. Moins par l’identité du violeur, qu’on devine
assez vite, que par les nouvelles agressions. Pourquoi le violeur revient-il ?
Il y a la relation trouble avec son voisin, les soirées d’orage, les volets qui
claquent… cette scène hitchcockienne, à la cave, « vous voulez que je vous
montre ma chaudière ? ». Franchement, c’est un plan drague, ça ?!
Et puis, à son travail, éditrice de jeux, menant ses troupes à la baguette, elle
est victime d’une plaisanterie de mauvais goût, son visage incrusté dans un
dessin animé, violée par un serpent. Là encore, qui manipule qui ?
Ces
faux semblants, ces jeux de pervers narcissiques, de pouvoir, ces déviances, de
sexualité exacerbée, destructrice, font partie de l’univers de Paul Verhoeven,
depuis ces premiers films, jusque dans BASIC INSTINCT (la froide et
calculatrice Catherine Tramell), SHOW GIRLS. Les personnages de femmes sont
souvent au centre de ses films, menant le monde et donc les hommes (par le bout de
la queue), comme la Rachel de BLACK BOOK.
Ce qui est réussi, c’est que Verhoeven a ramené chez nous sa science de la mise en scène, ses préoccupations, pour en faire un film purement français. On pourrait être chez Chabrol (moins provocateur mais pas moins acide), qui a fortement contribué à façonné Huppert, lui offrant des rôles à sa mesure. On pense à Hanneke aussi, à Buñuel, à Clouzot, voire Joseph Losey. Isabelle Huppert est impériale, elle tient le film, en est le pivot, terrifiante. A quoi elle pense ?
Ce qui est réussi, c’est que Verhoeven a ramené chez nous sa science de la mise en scène, ses préoccupations, pour en faire un film purement français. On pourrait être chez Chabrol (moins provocateur mais pas moins acide), qui a fortement contribué à façonné Huppert, lui offrant des rôles à sa mesure. On pense à Hanneke aussi, à Buñuel, à Clouzot, voire Joseph Losey. Isabelle Huppert est impériale, elle tient le film, en est le pivot, terrifiante. A quoi elle pense ?
Mais
ce n’est pas un thriller à l’américaine (comme l’affiche bêtement premier degré
et ripolinée pourrait le laisser entendre), un truc hystérique avec femme désaxée, genre
le lourdingue LIAISON FATALE. C’est plus pervers, on y rentre par étape, les
couches se superposent, plus le film avance plus il fascine par tant de dérèglements
concentrés autour d’une même femme ! D’autant qu’il s’y passe beaucoup de
choses, ça bouge, ça vie. On peut aussi être outré et ne pas rentrer dedans, ce
serait dommage.
Si
on met de côté TRICKED, expérience cinéma communautaire via internet, Verhoeven
n’avait pas tourné depuis 10 ans. Agé de 77 ans, il n’a rien perdu de son
mordant. ELLE n’est pas un film facile au sens où il ne répond pas aux canons
habituels, prend le spectateur à contre-pied. A quoi se raccrocher ? Jusqu’à
cette dernière réplique de Virginie Efira, « merci pour ce que vous avez
fait pour mon mari, j’ai la foi vous savez, ça va aller… ». Comme si rien
ne s’était passé, comme si tout ça était normal.
couleur - 2h10 - scope 2:35
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