Dans
le jazz aussi il y a des albums live de référence, comme le At Newport (1956) de
Duke Ellington, Ella in Berlin (1960) d’Ella Fitzgerald, Art Blakey au Birdland
(1954), le Köln Concert (1975) de Keith Jarrett, le Jazz at Massey Hall (1953)
réunissant Gillespie et Charlie Parker, accompagnés de Mingus, Powell et Max
Roach. Un must. Et ce CONCERT BY THE SEA, de 1955, par Erroll Garner.
Ce
disque est né du hasard. Le concert a été
organisé par Jimmy Lyons, promoteur de spectacle, à Carmel, petite bourgade
côtière californienne, qui jouxte Monterey. Un bled célèbre pour avoir été
administré par Clint Eastwood, aujourd’hui une suite de résidences luxueuses
bordées de grillages électrifiés et surveillées par des caméras. A Carmel, comme
il ne faut pas gâcher l’harmonie rectiligne des pelouses devant les maisons, les
boites aux lettres sont interdites. On se déplace au bureau de poste, en Humer
quand il pleut.
Et
puisqu’on parle de Clint, souvenez-vous de sa première réalisation, UN FRISSON
DANS LA NUIT, où il est dj radio, et une fan psychopathe lui demande de passer « Misty »
la ballade d’Erroll Garner, toutes les nuits. En V.O. c'était PLAY MISTY FOR ME. Et c’était tourné à... Carmel.
En 1955, Carmel abrite une base militaire, avec une église vacante, et c’est là
que le concert sera joué (le 19 septembre). Dans la salle y’a un étudiant, fan de jazz, venu avec un magnéto à bande, et qui enregistre la soirée. C’est un hobby, il
conserve amoureusement ses enregistrements, n’en faisant profiter que ses potes. Martha
Glaser, manager de Garner, repère le type, le chope à la fin du concert, demande à écouter les bandes, puis à les graver, malgré la faible qualité
technique qui rendait la section rythmique inaudible. Et ce soir-là, Garner
avait hérité d’un piano mal accordé, ce qui n’arrangeait rien. De la soirée Glaser gardera 11 titres, qui sortiront en 33 tours l'année suivante. Elle en écoulera 225 000
exemplaires. Trois ans plus tard, CONCERT BY THE SEA avait généré 1 million
de dollars, et trônait au sommet des records de vente.
Erroll
Garner aussi est un personnage atypique. Autodidacte, qui commence à se produire
en trio au début des années 40. Il n’écrit ni le lit la musique. Il compose à l’oreille,
et mémorise. Il était petit, on le voit souvent sur un tabouret rehaussé,
perché presque au-dessus du clavier. Il avait surtout une technique ébouriffante,
défiant toutes les conventions ! Il descend de Duke Ellington, Art Tatum,
Count Basie, et pour tous les pianistes et jazzmen de cette génération, une oreille vers Ravel ou Debussy. Une main gauche hallucinante, très forte en rythmique, et la droite qui
virevolte à n'en plus finir. Il avait un truc unique, jouer en décalage. En musique, parfois,
on appelle le batteur à jouer juste avant ou après le temps, une manière de pousser un soliste,
ou au contraire de le tenir en bride. Erroll Garner pouvait jouer sur le temps
de la main gauche, mais avant, ou après, de la main droite. Il était à l’aise
en swing comme en latin, un boogie frénétique ou ballade aérienne, jouant aussi
sur les dissonances be-bop (il a joué avec Charlie Parker, mais n’est pas à
ranger dans cette chapelle) avec un tel sens du rythme, qu’il se passait
souvent du duo contrebasse/batterie.
avec Eddie Calhoun |
La
réédition de ce disque propose le concert intégral, sur deux cd. Et sur un
troisième, le disque original, complété d’une interview radio de 15 minutes. De
11, on passe à 22 titres. C’est vrai que la contrebasse aurait pu être plus
présente, comme la batterie, d’autant qu’elle est jouée le plus souvent au
balais. Mais ne chipotons pas, on a affaire à un enregistrement amateur de
1955, et cette patine renforce l’écoute. Que des reprises ou presque, dans ce
concert, qui débute par le « Night and day » de Cole Porter. « I’ll
remember april » déchaine les passions, le public est vivant, présent,
normal, le micro était dans la salle ! Ca swingue sec, on entend
constamment Erroll Garner marmonner sur la mélodie, comme le faisait Oscar
Peterson, auquel on pense, la filiation est certaine, même si Peterson est plus
ancré dans le blues.
avec Martha Glaser |
Erroll
Garner est accompagné par Denzil Best à la batterie, (aussi trompettiste,
bassiste et pianiste, ben voyons, tant qu’à faire…) malheureusement décédé
jeune, en chutant dans le métro. A la contrebasse, Eddie Calhoun, venu de chez
Ahmad Jamal, sera compagnon de route de Garner pendant 10 ans. Dommage,
effectivement, qu’on ne les entende pas plus, au sens, participer. Ils sont justes
derrière en renfort, mais ne prennent pas les devants. Seul petit regret.
Ce CONCERT BY THE SEA est un morceau de bravoure autant qu’une belle sucrerie, ça coule tout seul. Notons la belle pochette, aux couleurs primaires, avec cette fille qui s’oxygène les poumons. Nous on s’oxygène les oreilles. C’est l’image qui colle à la peau de ce pianiste immense, très technique, mais qui par son swing, et son visage irradié de bonheur, semble délivrer une musique facile, accessible. C’est tant mieux.
On écoute un extrait de ce disque, puis une vidéo de Garner, sur son thème fétiche, "Misty".
Ce CONCERT BY THE SEA est un morceau de bravoure autant qu’une belle sucrerie, ça coule tout seul. Notons la belle pochette, aux couleurs primaires, avec cette fille qui s’oxygène les poumons. Nous on s’oxygène les oreilles. C’est l’image qui colle à la peau de ce pianiste immense, très technique, mais qui par son swing, et son visage irradié de bonheur, semble délivrer une musique facile, accessible. C’est tant mieux.
On écoute un extrait de ce disque, puis une vidéo de Garner, sur son thème fétiche, "Misty".
CD 1 + CD 2 = réédition du concert complet (105') / CD 3 = pressage original (41') + interview (15') d'Errol Garner, faite à l'issue du concert.
; 000
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire