samedi 5 mars 2016

Ernest CHAUSSON – Poème de l'amour et de la mer – Felicity LOTT & Armin JORDAN – par Claude Toon



- B'jour M'sieur Claude, une bien belle voix dans ce bureau, un article lyrique en vue ? un opéra ?
- Non Sonia, un grand lied symphonique du compositeur français Ernest Chausson sur des poèmes de son ami Maurice Bouchor…
- Felicity Lott, une soprano si mon oreille ne me trompe pas… Vous n'en avez jamais parlé de cette dame me semble-t-il ?
- Non en effet, d'ailleurs je ne chronique pas assez l'art lyrique dans ce blog, il faut que je remédie à cela !
- Oh, mais je me rappelle un article passionnant consacré à Wagner chanté par un bien beau mec…
- Humm petite coquine, vous faites allusion à Jonas Kaufmann… Mais il y a eu aussi des articles sur de grandes chanteuses dites donc : de Sabine Devieilhe à Jessye Norman !!!

Ernest Chausson (1855-1899)
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Nous avons rencontré le compositeur français Ernest Chausson par deux fois dans le blog. Tout d'abord pour sa magnifique et pathétique Symphonie dirigée par le chef français Yan Pascal Tortelier (Clic). Cette chronique avait permis de cerner la personnalité humaine et musicale de ce compositeur né en 1855 mais mort tragiquement d'une chute de vélo à 44 ans en 1899. Rencontre aussi pour un très joli poème pour violon et orchestre sous les doigts de la jeune Julia Fischer accompagnée par le regretté Yakov Kreizberg à l'occasion de la parution d'une attachante anthologie de quatre pièces concertantes, disque réunissant également des œuvres similaires de Josef Suk, Ralph Vaughan-Williams et Ottorino Respighi (Clic).
Pendant la vie brève de cet homme fortuné de naissance, son souci de la perfection l'a conduit à limiter son catalogue à seulement 39 numéros d'opus. Chausson a légué à la postérité au moins trois chefs-d'œuvre. Les deux cités ci-dessus et le Poème de l'amour et de la mer. J'écrivais en 2014 : "et surtout, un long "lieder symphonique", Le poème de l'amour et de la mer. […] Par ses dimensions (30'), et sa structure tripartite, cet ouvrage exceptionnel a influencé l'Adieu, dernier des Chants de la Terre de Mahler, l'une des œuvres mythiques de l'histoire de la musique…"
La composition s'étend de 1882 à 1892 : il a donc fallu près de dix ans pour que le compositeur écrive ce que l'on peut considérer comme une nouveauté dans le monde la musique vocale. En général, les lieder (en français, on préfère le mot "Mélodies"), comme nos chansons actuelles, durent quelques minutes, que ce soit dans le duo voix-piano ou après orchestration (souvent dans une seconde étape). Il n'y a pas d'exemple antérieur de lieder aussi ambitieux qui me vienne à l'esprit. Si, Les nuits d'été de Berlioz, mais il s'agit là d'une association de mélodies diverses liées par une simple unité orchestrale (Clic). Par la suite, Mahler, en effet, mais aussi Chostakovitch plus tardivement reprendront le concept, ce dernier dans sa 14ème symphonie et des cycles comme la Suite sur des sonnets de Michel-Ange. Les quatre derniers Lieder de Richard Strauss ne forment qu'une magnifique compilation, un aboutissement ultime de pièces différentes, sans réelle cohésion (Clic). Pareil pour les Wesendonck Lieder de Wagner cités par Sonia. (Clic)

Les enregistrements du Poème de l'amour et de la mer sont assez nombreux, mais j'ai une exigence par rapport à l'interprétation : la qualité de la diction française. D'où mon choix pour l'enregistrement de Felicity Lott et du chef Suisse Armin Jordan déjà présenté dans un CD consacré à Paul Dukas (Clic). À noter que le maestro a également gravé cette œuvre avec Jessye Norman, mais aller savoir pourquoi, mauvaise prise de son ou manque de travail avec un répétiteur, on comprend difficilement les peroles !! Je reviendrai sur le sujet dans la discographie alternative…
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Felicity Lott (née en 1947)                           Armin Jordan (1932-2006)
Dame Felicity Lott (la cantatrice a été anoblie par la Reine Elisabeth II) est une soprano d'origine britannique née après la fin du conflit mondial. Dès son plus jeune âge, elle se passionne pour la musique : piano, violon et chant à l'université de Londres. Par ailleurs l'artiste obtient des diplômes en langue française et même en latin… Elle fréquentera le conservatoire de Grenoble (classe de chant) pendant un séjour en France.
Francophone et amoureuse de notre pays, rien de surprenant d'entendre Felicity Lott si bien maîtriser la diction dans le chant français, que ce soit dans le domaine de la mélodie (Debussy, Duparc, Poulenc, Berlioz, Chabrier, Fauré…) que dans l'opéra.
Bien entendu, elle va connaître également une belle carrière sur les scènes lyriques mondiales en interprétant des rôles aussi divers et difficiles que "La Maréchale" du Chevalier à la rose de Richard Strauss ou Pamina de la Flûte enchantée de Mozart.
La richesse de son répertoire en français lui a apporté les titres de chevalier des Arts et Lettres, de chevalier de la Légion d'honneur et de docteur honoris causa de la Sorbonne. Il n'y a donc pas que les chanteuraillons pour minettes nubiles qui ont droit aux honneurs !
La discographie de Felicity Lott est vertigineuse, notamment au service du patrimoine de la mélodie française, mais aussi pour l'opéra romantique et la musique baroque…

Le chef suisse Armin Jordan (voir article Dukas) dirige ici le prestigieux Orchestre de la Suisse Romande.
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Caricature de Maurice Bouchor
Maurice Bouchor, ça vous parle ? Non ? Moi oui ! Car je fais partie de la génération des têtes blondes (j'étais brun) qui faisait cinq dictées par semaines (et non pas deux par an), les textes étant fréquemment puisés dans l'œuvre de cet écrivain et poète contemporain de Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, etc. qui, eux, ont laissé un souvenir marquant dans les esprits littéraires ou pas. Outil de maltraitance orthographique de l'éducation laïque, gratuite et obligatoire, le poète en est devenu maudit à sa manière. Une plume moins forte que les génies cités, mais pas inintéressante pourtant.
Maurice Bouchor (1855-1929), écrivain, dramaturge et poète est l'ami de Chausson et l'auteur d'un recueil de poèmes appelé "Poèmes de l'amour et de la mer". En 1882, Le compositeur va commencer la mise en musique de trois poèmes extraits des écrits de son ami et assemblés sous le titre : La fleur des eaux. L'accompagnement se fait au piano. La genèse de la seconde mélodie "La mort de l'amour" attendra 1887 et l'orchestration, l'écriture de l'interlude et la "compilation" n'auront lieu qu'en 1890… La partie finale "Le temps des lilas" donnera naissance à une mélodie séparée en 1886. Quand je dis que Chausson aimait prendre son temps et peaufiner, vous me croyez ?
L'ouvrage complet prévu pour "voix moyenne" ne sera créé qu'en 1893 à Bruxelles, d'abord pour voix de ténor, puis à Paris pour voix féminine. La partition est symétrique : deux mélodies d'une douzaine de minutes séparées par un interlude orchestral. La cohérence thématique et musicale est cependant de premier ordre.

Gustave Courbet (Vague)
L'orchestration est traditionnelle du romantisme : 2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, harpes et cordes. Une formation légère d'esprit beethovénien.

1 - La fleur des eaux : Chausson, à la notation de tempo à l'italienne, a préféré noter "calme" la première mélodie. Une onde des cordes se déploie dans une aube naissante. Les tonalités n'étant pas les mêmes pour les différentes portées, on ressent un climat de mystère dès les premières mesures. Des accords flûtes, hautbois et clarinettes rejoints par les bassons jettent quelques traits d'un soleil opalescent sur le ressac orchestral des cordes. Un premier thème nonchalant se fait entendre au violon, repris par toute la petite harmonie. Chausson ne compose aucunement de manière classique. Ce thème sera le leitmotiv de tout le morceau. L'influence impressionniste dans cette introduction ne fait aucun doute. L'écriture du compositeur suit la phonétique du texte de Bouchor et souligne chaque intention émotionnelle cachée derrière les vers. Ainsi après l'imploration ardente "Faites-moi voir ma bien-aimée !", l'orchestre connait un crescendo pathétique ff où se mêlent arpèges des vents et des harpes soutenus par des tenues des cuivres et de discrets roulements de timbales. L'orchestre devient témoin passionné des péripéties rencontrées par le narrateur (le texte, conjugué au masculin, sous-entend le récit d'un jeune homme).
La technique du poème symphonique avec voix obligé permet d'obtenir des effets dramatiques et tendres qui s'affrontent pour illustrer les métaphores poétiques ou assurer de courts intermèdes entre les divers poèmes originaux. Dans chacune des parties domine une idée force : l'attirance vers l'idéal féminin "Car une belle enfant était sur le rivage" puis la séparation (un marin ?) et la douleur de voir la mer rompre les liens de l'amour naissant. À l'optimisme sensuel chanté dans les premières strophes, va succéder la mélancolie. Ainsi le climat enchanté initial va gagner en rudesse tragique dès les vers "Quel son lamentable et sauvage va sonner l'heure de l'adieu !".
Chausson développe mille idées et motifs sans abandonner son leitmotiv qui paraitra de nouveau dans la coda, l'expression de la gravité symbolisant la passion perdue étant obtenue par le timbre sévère des trombones. Une cohérence stylistique et la variation sans cesse renouvelée des émotions récompensent tant d'années de travail.

Max Levogt (Les lilas)
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Felicity Lott semble habitée par le texte, pouvant colorer les passages émouvants de sa voix fluide, sans effet opératique hors de propos dans les mélodies. Dans les passages plus tragiques, la voix n'est jamais prise en défaut sur les forte puissants et racés. La direction de Armin Jordan éclaire chaque trait, équilibre les pupitres, notamment la petite harmonie toujours en danger d'être voilée par les cordes dans ce type d'orchestration.

2 – Interlude : Après l'affrontement entre la joie et la mélancolie de la fleur des eaux, l'interlude assure un changement de décor vers la mort de l'amour, suite de poèmes marquée par la dualité entre l'allégresse du retour, puis de nouveau la tristesse du départ de l'être aimé, définitif cette fois : "L'inexprimable horreur des amours trépassés". Tempo indiqué : "lent et triste". Un solo du basson soutenu en douceur  par les violons et altos portant sourdines évoque un ciel cendré, lourd, porteur de vague à l'âme. Un thème plus léger, qui sera repris dans la dernière partie, adoucit le climat d'une fugace lueur cristalline. Il est entonné par un violon solo puis par un cor. L'interlude très court [2'35], se conclut par une élégiaque et morne mélopée aux cordes. On pense au plat pays de Brel… Plus romantique et sentimental que ces mesures ? Difficile…

3 – La mort de l'amour : Un air radieux (tempo : "vif et joyeux") avec ses trilles des flûtes illumine le premier texte "Bientôt l'île bleue et joyeuse / Parmi les rocs m'apparaîtra ;". Un chant festif pour accueillir le retour du bateau. Un premier pas vers la nostalgie "Sombre et solennel" se part de couleurs orchestrales qui retrouvent une certaine noirceur et un discours plus fougueux qui accompagne le désenchantement du second passage : "Le vent roulait les feuilles mortes". Chausson accélère sa musique, la ligne de chant et l'accompagnement gagnent en violence. Un chant de détresse, refusant dans un premier temps toute résignation jusqu'au vers fatidique : "Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux : l'oubli", la voix de la soprano s'éteignant sur ce dernier mot terrible dans un orchestre réduit aux simples cordes pp. Un intermède orchestral précipite la chute.
Dans cette musique très pure s'exprime une douleur inextinguible. La perte de tout espoir : "Le temps des lilas et le temps des roses / Ne reviendra plus à ce printemps-ci ;". Un solo de violoncelle, reprenant le motif funeste annoncé dans l'interlude, introduit le poème conclusif. Pourtant, un sourire perce, distillant un espoir. Malgré l'anathème : "Notre fleur d'amour est si bien fanée", un printemps ne peut-il pas renaître ? L'orchestre se ranime, le chant perd son ton affligé et grisâtre. Merveilleuse et saisissante Felicity Lott se jouant avec tant de facilité de toutes les inflexions. Un dernier retour du violoncelle accompagne le dernier vers de cet ode à l'amour, et à la mer qui, hélas, peut aussi le contrarier : "Le temps des lilas et le temps des roses / Avec notre amour est mort à jamais". Armin Jordan cisèle tous les détails harmoniques du flot orchestral, sans jamais couvrir la voix de la soprano.

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Gladys Swarthout (1900-1969)
La discographie alternative d'une œuvre lyrique n'échappe pas à la subjectivité, à la sensibilité pour tel ou tel timbre de voix. Les plus talentueuses sopranos ou mezzos se sont attaquées à cette merveille d'émotion et de lyrisme. Le disque Janet BakerJohn Barbirolli n'est disponible que dans un gros coffret anthologique. Dommage !
Plusieurs disques anciens restent légendaires : Pierre Monteux donnait en 1952 une version échevelée chantée par Gladys Swarthout, une soprano américaine qui ne déméritait pas même si de nos jours, plus personne ne roule les "r" de cette façon, une qualité de diction bluffante, UN disque mythique (RCA6/6).
En 1955, autre vision plus intimiste et lumineuse : la soprano grecque Írma Kolássi accompagnée par Jean Fournet dirigeant la Philharmonie de Londres sont très appréciés des amateurs de ce cycle, malgré une prise de son monophonique bien terne (Accord – 5/6). On pourrait encore citer Victoria de Los Angeles, un disque de 1969, une interprétation extravertie. Une œuvre vraiment bien servie ! Même Kathleen Ferrier l'a chantée avec John Barbirolli en 1951. Soyons clair, même avec mon estime pour ce témoignage historique : techniquement... c'est inécoutable, sniff.

Je m'interroge toujours et encore sur le disque de Jessye Norman. L'orchestre de Monte Carlo est dirigé avec pesanteur par Armin Jordan de nouveau et, bien que parfaitement spatialisé, le discours de la cantatrice reste peu compréhensible malgré une ligne de chant soyeuse et lumineuse. Et le regret est d'autant plus grand que cinq mélodies sur des textes de grands poètes comme Leconte de Lisle ou Théophile Gauthier complètent le CD et ne présentent pas ce problème. Mystère technique ? Grrr ! Pour les amateurs de belle ligne de chant et en lisant le texte, pas de souci, une valeur sûre, pour les autres une relative déception à anticiper (Erato – 4/6).
Parmi les parutions du XXIème siècle, ma préférence va à la prestation de 2005 de la soprano américaine Susan Graham accompagnée par Yan Pascal Tortelier et l'orchestre de la BBC. La direction fine, toute en clair-obscur et somptueuse du chef et la voix chaude de la soprano tendance mezzo (élocution assez distincte) distille un rêve éveillé. Prise de son exceptionnelle. La critique est restée partagée. Perso, j'apprécie la puissance romantique qui se dégage. (Warner – 5/6). (Écoute sur YouTube)
- Heuu M'sieur Claude, je viens d'avoir Google au téléphone, il n'y a plus de place pour continuer votre article !!!
- Humm, c'est vrai, je me suis emballé sur cette affaire...

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La fleur des eaux

L'air est plein d'une odeur exquise de lilas,
Qui, fleurissant du haut des murs jusques en bas,
Embaument les cheveux des femmes.
La mer au grand soleil va toute s'embraser,
Et sur le sable fin qu'elles viennent baiser
Roulent d'éblouissantes lames.

O ciel qui de ses yeux dois porter la couleur,
Brise qui va chanter dans les lilas en fleur
Pour en sortir tout embaumée,
Ruisseaux, qui mouillerez sa robe,
O verts sentiers,
Vous qui tressaillerez sous ses chers petits pieds,
Faites-moi voir ma bien-aimée!

Et mon cœur s'est levé par ce matin d'été;
Car une belle enfant était sur le rivage,
Laissant errer sur moi des yeux pleins de clarté,
Et qui me souriait d'un air tendre et sauvage.

Toi que transfiguraient la Jeunesse et l'Amour,
Tu m'apparus alors comme l'âme des choses ;
Mon cœur vola vers toi, tu le pris sans retour,
Et du ciel entr'ouvert pleuvaient sur nous des roses.



Quel son lamentable et sauvage
Va sonner l'heure de l'adieu !
La mer roule sur le rivage,
Moqueuse, et se souciant peu
Que ce soit l'heure de l'adieu.

Des oiseaux passent, l'aile ouverte,
Sur l'abîme presque joyeux ;
Au grand soleil la mer est verte,
Et je saigne, silencieux,
En regardant briller les cieux.

Je saigne en regardant ma vie
Qui va s'éloigner sur les flots ;
Mon âme unique m'est ravie
Et la sombre clameur des flots
Couvre le bruit de mes sanglots.

Qui sait si cette mer cruelle
La ramènera vers mon cœur?
Mes regards sont fixés sur elle ;
La mer chante, et le vent moqueur
Raille l'angoisse de mon cœur.

La mort de l'amour

Bientôt l'île bleue et joyeuse
Parmi les rocs m'apparaîtra ;
L'île sur l'eau silencieuse
Comme un nénuphar flottera.

À travers la mer d'améthyste
Doucement glisse le bateau,
Et je serai joyeux et triste
De tant me souvenir bientôt!

Le vent roulait les feuilles mortes ;
Mes pensées
Roulaient comme des feuilles mortes,
Dans la nuit.

Jamais si doucement au ciel noir n'avaient lui
Les mille roses d'or d'où tombent les rosées !
Une danse effrayante, et les feuilles froissées,
Et qui rendaient un son métallique, valsaient,
Semblaient gémir sous les étoiles, et disaient
L'inexprimable horreur des amours trépassés.

Les grands hêtres d'argent que la lune baisait
Etaient des spectres : moi, tout mon sang se glaçait
En voyant mon aimée étrangement sourire.

Comme des fronts de morts nos fronts avaient pâli,
Et, muet, me penchant vers elle, je pus lire
Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux: l'oubli.

Le temps des lilas et le temps des roses
Ne reviendra plus à ce printemps-ci;
Le temps des lilas et le temps des roses
Est passé, le temps des œillets aussi.

Le vent a changé, les cieux sont moroses,
Et nous n'irons plus courir, et cueillir
Les lilas en fleur et les belles roses ;
Le printemps est triste et ne peut fleurir.

Oh! joyeux et doux printemps de l'année,
Qui vins, l'an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d'amour est si bien fanée,
Las! que ton baiser ne peut l'éveiller !

Et toi, que fais-tu ? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d'ombrages frais ;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais.


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