samedi 9 janvier 2016

DEMAIN (2015) – de Cyril Dion & Mélanie Laurent – Par Claude Toon



Cyril Dion et Mélanie Laurent
La majorité des films ou documentaires traitent de la possible extinction de l'humanité (la 6ème extinction de la vie depuis l'apparition de la vie), par maltraitance de notre bel écosystème. La particularité de Demain est de montrer des voies de solutions efficaces, déjà opérationnelles, échappant au gadget comme récupérer l'eau de pluie pour préparer son café, même si l'idée en elle-même n'est pas stupide. Une vision positiviste. idyllique voire naïve, penseront certains, ils ont tort, car… pourquoi pas ?
Nous avons tous vu nombre de films mortifères, quoique militants, nous filant la nausée face à des mouettes agonisantes engluées de pétrole, des mines de charbons, cuivre, nickel ou autres, dégueulant des montagnes de boues toxiques excluant toutes cultures pour des siècles ou euthanasiant la faune marine. Le smog étouffant de Pékin, Etc. Oui, nous simples mortels savons que la surchauffe et l'épuisement de la Terre avancent au pas de charge. Nous sommes dubitatifs face au branlebas de combat de la COP21, et pour certains d'entre nous, surtout les citadins, légèrement paumés quant à notre possible contribution active pour éviter le pire, sans pour autant rejeter en bloc les avancées technologiques utiles. Car oui, taper ces phrases ou les lire consomment une petite centaine de watts, sans compter l'énergie bouffée par les serveurs du net…
Une approche catastrophiste et alarmiste des risques a connu de grands films comme Une vérité qui dérange de Al Gore. Le réalisateur, perdant de l'élection US de 2000 contre George Bush, tire à boulet rouge sur les multinationales et leurs complices de la politique obsédés à servir la haute finance et l'actionnariat, quitte à faire vivre nos enfants du futur dans une planète torride à la Mad Max ou pire…
L'idée de Demain a germé en 2012 dans l'esprit de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Le film prend la forme d'un reportage, d'un parcours sur toute la planète. Les deux réalisateurs n'apparaissent jamais sauf dans quelques plans brefs lors de l'entrée dans un village ou une entreprise qu'ils visitent avec l'équipe de tournage. Ils interviennent en voix off en tant que narrateurs pour assurer les enchaînements. Ainsi les deux réalisateurs et leurs quatre comparses nous entraînent vers la France et l'île de la Réunion, le Danemark, la Finlande, la Belgique, l'Inde, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Suisse, la Suède et l'Islande… Des pays développés, des pays en difficulté comme l'Islande ou émergeant comme l'Inde.

Champ de permaculture à Détroit
XXXX
L'une des premières interventions d'un spécialiste anglais du sujet fait remarquer, assez amusé, que l'anéantissement planétaire est une obsession au tréfonds de notre inconscient collectif. En témoigne le nombre incalculable de films de fiction où notre espèce bipède est rayée de la carte stellaire par : des épidémies, des zombies, des aliens, des robots, des météorites, mais rarement par la gabegie, la dictature économique, l'épuisement des ressources (comme par exemple : Soleil vert), je vous laisse compléter, ça ne manque pas. L'avènement des effets spéciaux numériques et, semble-t-il, le sadomasochisme collectif des spectateurs (comme dirait Carl Yung), permettant le tournage de blockbusters catastrophes spectaculaires aux budgets pharaoniques… La force de ce documentaire est de tourner le dos au catastrophisme

Demain est construit en six chapitres thématiques : l'alimentation, l'énergie, les déchets, l'économie, la politique, l'éducation. Au passage, les témoignages d'experts au langage simple et pédagogique égratignent sans polémique et avec une rare pertinence les conséquences des actions d'une civilisation consumériste et d'un soi-disant système démocratique, système gangrené par les marionnettes politiciennes au service des banques et magnats de l'industrie.
L'horrifique carrière de pétrole bitumeux d'Alberta (128 000 km2)
Mais l'objectif affiché de Demain est surtout de mettre en avant hommes, femmes et collectifs imaginatifs et de bonne volonté qui ont travaillé concrètement sur divers projets touchant l'une des six activités humaines énumérées avant. Des projets de sauvetage immédiat et prometteurs pour l'avenir à court et long terme.
On ne peut pas parler de scénario pour ce film comme à propos d'une fiction. Pourtant, le montage dispense un suspens dans le sens où l'on est rapidement intrigué par chaque surprise à venir lors des différentes séquences. J'ai aimé la photographie du film. Des cadrages qui mettent en valeur chaque sujet. On échappe à la caméra portée parkinsonienne qui vous fiche le mal de mer en cinq minutes. Le caméraman est un as ou il utilise un pied (c'est encore très utile) ou encore il déteste le style Blair Witch.

Bien entendu, il y a fugitivement des vues monstrueuses de saccages diaboliques. Un exemple extrait du chapitre "énergie". Cette mine canadienne d'extraction à ciel ouvert de pétrole bitumeux semble surgir d'un cauchemar (Photo). Cette horreur à une taille proche de celle de l'Angleterre ! Des millions d'arbres résineux ont disparu pour laisser passer excavatrices et camions de 100 tonnes. Pourquoi  ? Les pays de l'OPEP ont laissé flamber les prix du brut depuis 40 ans. Ces sables noirâtres et gluants sont devenus vaguement rentables. Ce n'est plus vrai, mais le mal est fait, un océan boréal de végétation a disparu… C'est l'un des rares exemples vomitifs montrés dans le film, mais Dieu que j'ai eu mal, moi qui aime tant les forêts savoyardes… (N'est-ce pas Vincent ?)

Charles et Perrine Hervé-Gruyer dans leur champ de permaculture
Deux autres exemples passionnants. En 40 ans, Détroit (photo ci-dessus), la métropole de la construction automobile, a perdu deux tiers de sa population. Cette grande ville du Michigan a été déclarée en faillite en 2008. Seuls les ouvriers les plus pauvres sont restés (chômage à 50%). Leur niveau de vie ne leur permet plus de s'alimenter de produits frais réservés à une minorité des milieux affairistes. Les habitants ont remonté leurs manches et créé des jardins de taille respectable qu'ils cultivent avec la technique de la permaculture. Comprendre par ce mot : pas de tracteur, enrichissement des terrains vagues au fil du temps, production locale et saine. On apprend au passage qu'un produit alimentaire parcourt en moyenne 2400 km sut la planète. Vous savez : les pommes du chili, les fraises au mois de janvier. J'ai même vu des oignons de Nouvelle-Zélande ! Bordel, ça pousse partout comme du chiendent les oignons. Pour revenir à Détroit, la ville est devenue à moitié autosuffisante avec cette initiative urbaine. Elle pourrait l'être complètement vers 2035. Des jardins au milieu d'une ville fantôme surprennent, mais nous assistons à la naissance dans une grande métropole de l'agriculture au milieu du béton et en plus… c'est rentable. 
Autre exemple : deux ex cadres français ont imaginé d'exploiter une parcelle de taille raisonnable dans laquelle les plantes sont cultivées en symbiose, comme dans la nature, l'antithèse de la monoculture intensive. Tout d'abord, c'est très beau : le raisin grimpant surplombe les plans de tomates qui protègent à leur tour d'une lumière trop vive le basilic poussant au ras du sol. Le couple n'utilise que du matériel simple et efficace imaginé par eux-mêmes et fonctionnant à l'huile de coude. Pas de tracteur, ni de produits couteux. On pourrait en rigoler, évoquer Rousseau. Et bien leur champ a un taux de rentabilité agricole 4 fois plus élevé qu'un champ de même surface en culture intensive. Après quelques années difficiles, le couple dégage un revenu net de 54 000 € / an. De quoi pulvériser bien des idées reçues et faire l'admiration de votre rédacteur, le plus mauvais jardinier du monde ! J'ai vu en Tunisie, à Djerba*, où l'eau est précieuse, des centaines de potagers de ce type.
(*) À condition de sortir de l'hôtel, de la plage ou du spa et de marcher au moins 500 mètres.
Helsinki : une école, des plantes, du bois...
Ce film a fait un bide en salle avec moins de 100 000 entrées en première semaine. Il faut dire que le sortir en décembre dans quelques salles vs Star Wars 7 n'est peut-être pas une idée de génie, surtout vu le prix des places. Le film paye aussi l'approche catastrophiste et culpabilisante des documentaires habituels. Comme le dit le narrateur en introduction : le public en a marre de voir ces sujets inquiétants, même si justement Demain prend le contrepied. Il faudra qu'il soit au programme des lycées. À ce propos, la dernière partie consacrée à la démarche éducative met en avant, entre autres, une école d'Helsinki où l'on rejette la compétition, l'élitisme et l'opposition (très à la mode dans l'hexagone) entre les talents manuels et intellectuels. Une scène amusante montre des garçonnets tricoter et des fillettes bricoler… je savais que le système éducatif finlandais était au top. En France, sans fréquenter les grandes Écoles, point de salut…
J'ai beaucoup aimé Demain dans le sens où parfois, à 64 balais, je m'inquiète pour l'avenir de mes enfants et des petits enfants à venir. Bien entendu Demain ne passe pas sous silence le combat à mener pour secouer un système économique et politique irresponsable et à bout de souffle. Les chapitres économiques et politiques sont édifiants même si un tantinet techniques et simplistes. Au passage, bravo aux islandais (vous verrez pourquoi).

À défaut d'une large diffusion en salle, attendons le DVD. Vraiment, c'est à voir.




2 commentaires:

  1. Pessimiste je suis !

    Quand je vois ce que provoque, comme frénésie, le débuts des soldes autour de chez moi (bonjours les bouchons et le pique de pollution !), je me dis que cette masse là ne se responsabilisera jamais de rien du tout. A moins que l'on ne s'attaque directement a son argent et a son portefeuille.

    Comme disait Michel Jonasz dans ce très beau texte "Les fourmis rouges": Quand y aura plus sur la terre que du beurre fondu, avec le dernier soupir du dernier disparu... Dernier boom de la dernière guerre, dernière ville sous la poussière et dernier espoir perdu, etc.

    Oui Claude ! Alarmiste je suis. Car demain finalement c'est déjà aujourd'hui depuis longtemps. Mais plus pour longtemps au train ou vont les choses.

    Fu*k ! :-)

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  2. Mais tu as raison Claude, allons voir ce joli film plein d'optimisme qui montre clairement que LES solutions existent.

    Moi je vais m'écouter un petit Mylène en attendant. ;-)

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