vendredi 5 juin 2015

MICHAEL BLOOMFIELD, la story, par Luc B.



Serait-ce le plus célèbre guitariste de Blues pas connu ? Pas pour les amateurs du genre, en tout cas, pour qui Mike Bloomfield est un héros. Mais pas un guitar-héro, parce que ce n’était pas dans le tempérament du monsieur, loin de là, gêné qu’il était, lui le petit bourgeois juif de parents new yorkais, de se frotter au Blues des Noirs américains.  

Il nait dans le north-side de Chicago, les beaux quartiers (son père était dans les affaires, j'ai cru comprendre qu'il avait une marque de cafetière !). Mais ce sont les stations de radio du south-side qu'il écoute, celles du quartier chaud, noir, qui diffusent du Rhythym'n'blues. Ses parents lui offrent une guitare le jour de sa bar-mitzvah. Il grandit à une époque où les bluesmen du Sud rural remontent vers les villes industrielles, pour y forger un style musical qui fera fureur. Il apprend ses plans de guitare en regardant, pour de vrai, les Muddy Waters ou les Buddy Guy, à l’œuvre dans les clubs de Blues du coin. Ce qui s’appelle aller à bonne école, contrairement à ses confrères anglais, qui vers la même époque, ne peuvent se référer qu’aux disques de Howling Wolf ou Freddy King, qui circulent sous le manteau.

Ses parents l'inscrivent dans une école privée pour parfaire son éducation, mais Mike Bloomfield découvre au même moment la culture beatnick... et y'a pas photo ! Au début des 60's, il monte son propre club, le Fickle Pickel, où il invite des musiciens de folk ou de bluegrass, n'hésitant pas à les rejoindre sur scène à l'occasion. Parmi les spectateurs, deux blancs-becs de ses amis : Nick Gravenites et Charlie Musselwhite. Le premier sera plus tard compagnon de route de Janis Joplin, le second harmoniste dans le Muddy Waters Band.

avec le Paul Butterfield Blues Band
Il est alors repéré par John Hammond, découvreur de talents (Dylan, Léonard Cohen, Aretha Franklin, Billie Holliday, Springsteen…) et embauché chez Columbia records. Il travaille comme musicien de studio, où il va pouvoir encore peaufiner sa technique. En 1965, il intègre le THE PAUL BUTTERFIELD BLUES BAND, du nom de cet harmoniciste natif lui aussi de Chicago (décédé par overdose à Woodstock en 1987), et premier groupe multi racial du genre. C’est deux-là, Bloomfield et Butterfield, font partie de ces jeunes blancs qui se passionnent pour le Blues, comme aussi Peter Wolf qui officiera dans le J. Geils band, à une époque où les Beatles dominent le monde, et où les Stones n’en sont qu’à publier des albums de reprises.

Mike Bloomfield ne reste pas longtemps avec Paul Butterfield, le temps de publier trois albums qui font dates dans l’Histoire, pendants américains des premiers albums de John Mayall en Angleterre. Bloomfield y croise le manche avec Elvin Bishop, autre guitariste de blues, blanc, et leurs solos virtuoses épatent tout le monde. Le style est tranchant, concis, à l’économie, voir la version explosive du « I got my mojo working » de Muddy Waters,  ou « Born in Chicago » et s’aventure parfois vers la musique modale, dans de longues plages qui préfigurent le Rock Psychédélique qui pointe son nez du côté de San Francisco, dans le « East West » de 13 minutes. Le jazz n’est pas loin avec la reprise du standard de Nat Adderley « Work Song » (repris en français par Claude Nougaro). Avec THE PAUL BUTTERFIELD BLUES BAND, Bloomfield acquiert une sacrée réputation, qui arrivera aux oreilles de Bob Dylan. Le héraut folkeux tourne la page de l’acoustique, électrifie sa musique, et cherche des accompagnateurs pour le festival de Newport, et sa bombe atomique « Highway 61 revisited ».

avec Bob Dylan
Mike Bloomfield se retrouve donc en studio, notamment sur l’historique « Like a rolling stone » où il rencontre le claviériste Al Kooper. A l’origine Al Kooper était guitariste (il pratique toujours, en plus du clavier, comme Lucky Peterson ou Steve Winwood), davantage intéressé par la production. Il était en cabine lorsque Dylan et son groupe attendaient d'enregistrer « Like a rolling stone ». Il manquait l’organiste. Kooper se serait alors glissé dans le studio, installé derrière l’orgue en douce, sans connaitre le morceau. D’où ce décalage dans son jeu, raconte-t-il, car il devait d’abord écouter les autres jouer, pour savoir quel accord plaquer ensuite ! Revenons à Bloomfield, qui grâce à Dylan gagne encore en popularité.

Il se lance dans un projet de super-groupe, réunissant autour de lui son pote et chanteur Nick Gravenites, le batteur de soul Buddy Miles (qui jouera ensuite pour Jimi Hendrix), le bassiste de folk Harvey Brooks, l’organiste Barry Golberg, et une section de cuivres. Le groupe se baptise THE ELECTRIC FLAG, et Bloomfield y a comme projet de réunir l’ensemble des composantes de la musique américaine. Les cuivres donneront une couleur jazzy à certains titres, un peu de folk, du rock, beaucoup de soul, des effets progressifs et psychédéliques (le clavecin sur « She should have just », les dérapages du long « Another country ») et bien sûr du Blues. 

THE ELECTRIC FLAG sera du festival de Monterey en 1967. Le premier album qui sort en mai 1968 « Long time comin’ » débute par une version survoltée de « Killing Floor » de Howling Wolf, où Bloomfield se prend trois grilles de chorus, vlan, prends ça dans les dents. J’adore le « Groovin’ easy » ou « Wine » un shuffle festif est swinguant à souhait, un blues qui vient des tripes « Texas ». Un bon album, varié, énergique, mais parfois grandiloquent, Gravenites au micro n’y allant pas de main morte !

The Electric Flag
Comme tous les groupes nés de la rencontre de grandes personnalités, les dissensions se font sentir très vite. Mike Bloomfield quitte le navire, et le groupe sortira l’année suivante un second album sans lui, « An american music band », tout est dit dans le titre. Bloomfield renoue avec Al Kooper (qui a intégré Blood, Sweat & Tears) pour un disque qui fera date, une fois de plus : « Super Session ». Basé sur le modèle des disques de Jazz, il s’agit de longues jams en studio, un répertoire improvisé, auquel se joint le guitariste Stephen Stills. Ensuite, les bandes sont mixées avec des overdub de cuivres, et autre effets sonores, échos et traficotages en tout genre, qui ont bien vieillis aujourd’hui, comme dans « You don’t love me » quasi insupportable. Mais leur version de « Season of the witch » de Donavan, est un sommet, 11 minutes de crescendo au groove impeccable, et « Albert’s Shuffle » un must pour s’entrainer au 12/8 à la batterie. 

Le disque est un succès incroyable, Bloomfield en passe de devenir une idole, au même titre qu’Eric Clapton avec Cream. La suite, on en a parlé ici même [ on clique ici ] sera « The Live Adventures of Mike Bloomfield et Al Kooper », enregistré live au Fillmore West, au cours de quatre soirées, où les musiciens improvisent sur des reprises bluesy. Elvin Bishop et le jeune Carlos Santana sont de la partie, lorsque Bloomfield, trop éreinté par le manque de sommeil et la dope, ne peut monter sur scène.

Al Kooper, Mike et Stephen Stills, la "Super Sessions"
Comme Eric Clapton, Mike Bloomfield vit très mal le succès. Il dira que cela peut s’apparenter à de l’idolâtrie. Le public perçoit de l'artiste une image qui n'est pas la bonne. Commence pour lui une longue descente aux enfers, il décide de ne plus faire de scène, devient accro à l’héroïne, et se met à composer des musiques de films, y compris des films pornos à trois balles, pour avoir de quoi payer sa came (notamment pour les frères Mitchell, les auteurs du légendaire "Derrière la porte verte" avec Marylyn Chambers, Rockin' tu me rendras mon dvd... Claude me l'a demandé aussi. D'ailleurs, c'est pas le mien mais celui de Philou). 

Aucun projet n’aboutit réellement dans ce début des années 70. Son album solo « It’s not killing me » dans lequel on retrouve de belles pièces blues, jazzy ou folk, est un échec, alors qu’il est dans la lignée des Kooper/Bloomfield. Suivra « Trumvirate » enregistré en 1973 avec Dr John au piano et John Hammond Jr à la guitare, un magma progressif curieux et limite prétentieux, qui ne m’a pas convaincu. Il va refaire une apparition dans le groupe THE ELECTRIC FLAG en 1974, et participer au groupe KGB, avec Ray Kennedy au chant, Barry Golberg à l’orgue et Carmin Appice à la batterie.

son dernier album en 1981
Bloomfield fuit de plus en plus le système, préférant reprendre sa guitare acoustique et se produire en club. En 1976, sollicité par le magazine Guitar Player, il enregistre un disque de démos techniques « If You Love These Blues, Play 'Em as You Please », (dont Bruno a racheté le stock invendu) et accepte de revenir en studio pour des séances de blues-rock, pour le plaisir, sans chercher à promouvoir quoi que ce soit. Un de ces disques sort du lot, « Crusin’ for a brusin’ » en 1981. C’est presque émouvant d’écouter ce disque, on y retrouve tout le style Bloomfield, aux sonorités très sixties, son amour immodéré pour le blues et la soul y est intact, et en totale décalage avec l’industrie musicale de l’époque. Ce qui aurait pu être le disque du retour, sera son dernier. Mike Bloomfield est retrouvé mort d’une overdose dans sa voiture, le 15 février 1981.         

Mike Bloomfield n’aura finalement eu qu’une période activité intense assez courte, et toujours en collaboration avec d'autres musiciens, de 1965 à 1970. Mais 5 années qui ont sacrément compté, entre la période Paul Butterfield, la période Dylan, Kooper, et le disque « Super sessions » que beaucoup ont rangé sur l’étagère « culte ». Le jeu de Bloomfield puise aux racines du Chicago Blues, il a été un des premiers (le premier ?) guitaristes blancs à s’y frotter, à percer, à être reconnu par ses pairs. Son caractère introverti, sa méfiance du succès, son addiction à la drogue l’ont empêché d’accéder au statut qu’il méritait largement. Lui s’en foutait, et nous aussi ! 

L’important c’est son jeu, sa vitalité, l’émotion qu’il distillait dans chaque note. Il a certainement été, pour moi, celui qui m’a fait découvrir et aimer le blues, au même titre que Clapton, et avant même de découvrir les maîtres de la guitare Noirs, comme Albert Collins, Freddy King, ou Buddy Guy. Le best-of « Bloomfield, a retrospective » (photo en intro de l'article) paru en 1983, donne a très bon aperçu du monsieur.

Très peu (aucun ?) document vidéo digne de ce nom en stock, à part celui-ci, dont on se contentera, avec Electric Flag "Wine".



Un extrait d'un documentaire, disponible en entier sur le web, mais sans sous-titre.
 

2 commentaires:

  1. Grand artiste!
    Une excellente compilation retraçant l'ensemble de sa carrière est sortit en 2014 : "From His Head To His Heart To His Hands"
    Au début de la Story, ce n'est pas Charlie Musselwhite au lieu de Charles Musselwhite?

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  2. Charlie, effectivement... Arrrgh, j'étais pas loin !
    Merci de ton passage.

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