samedi 9 mai 2015

LALO : Symphonie Espagnole – VIEUXTEMPS : Concerto n°5 – Sarah CHANG – Par Claude Toon



- Eh eh, M'sieur Claude, il y avait longtemps que nous n'avions pas eu la visite d'une jolie violoniste sans doute surdouée comme d'hab' ?
- Absolument Sonia, elle a donné ses deux premiers concerts avec les Philharmonies de Los Angeles et New-York à l'âge de 8 ans !!!
- Vous vous payez ma tête !? L'album d'aujourd'hui date de l'époque de la maternelle pendant que vous y êtes…
- Non de 1995. Sarah avait 15 ans, et j'ai retenu cette gravure pour son originalité et sa qualité. Je n'ai jamais parlé de Lalo et de Vieuxtemps dans le blog…
- Chang suggère une origine chinoise pour cette artiste, comme Yuja Wang, la pianiste aux robes microscopiques ?
- Pas tout à fait, américaine d'origine coréenne… ET puis, Sonia, nous allons écouter de la musique avant de parler chiffons…
- Heuuu… oui M'sieur Claude... Désolée… Je prépare l'article tout en écoutant…

Une fée s'est penchée en 1980 sur le berceau de la jeune américaine née de parents coréens. À 3 ans, avec sa mère, elle pianote. À 4 ans : premier violon, un 1/16 pour ses petites menottes. Enfant prodige, à 8 ans elle subjugue Zubin Mehta qui lui offre son premier concert avec la Philharmonie de New-York. Le très pointilleux Riccardo Muti tombe très peu de temps après sous le charme et l'engage pour une soirée avec l'orchestre de Philadelphie dont il est directeur. Le conte de fée se confirme…
La jeune fille intègre à 5 ans la Juilliard School en jouant au mieux le 1er concerto de Max Bruch. Mais au-delà de la précoce virtuosité, il faut travailler sérieusement l'expressivité. Elle sortira diplômée de la prestigieuse institution en 1999.
Elle enregistre à 12 ans son premier CD titré "Debut" pour EMI et consacré à des œuvres de Sarasate et Elgar. Depuis 1992, Sarah a constitué une remarquable discographie de plusieurs dizaines d'albums dans des genres très variés : de Vivaldi à Brahms en passant par les grands concertos romantiques de Dvorák ou Bruch, voire plus rares, comme le concerto peu connu de Richard Strauss. Sarah a également signé de beaux disques proposant des arrangements surprenants mais très populaires : Chopin, Liszt, Sibelius
Bien entendu, sa carrière a pris une dimension internationale avec les meilleurs orchestres de la planète dirigés par les chefs les plus en vue. Elle rend visite à la France. Ainsi, on a pu l'entendre dans le Concerto de Brahms avec Kurt Masur et l'Orchestre National de France en 2012 au TCE. Elle se produit également comme soliste dans des concerts et enregistrements dédiés à la musique de chambre.

Pour cet album, Sarah Chang est accompagnée par l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam et le Philharmonia Orchestra, deux phalanges très haut de gamme dirigées par le chef suisse Charles Dutoit, un artiste qui a fait la une du blog dans une interprétation remarquable d'une symphonie de Albert Roussel à Montréal (Clic).
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Henri Vieuxtemps : Concerto pour violon N°5
Henri Vieuxtemps jeune
Né en 1820 en Belgique, le violoniste et compositeur Henri Vieuxtemps sera l'un des virtuoses les plus célèbres du XIXème siècle, certains de ses amis comme Robert Schumann le comparant même à Paganini. Comme nombre des violonistes de notre temps présentés dans ce blog, le jeune homme est surdoué et joue en public dès l'âge de 6 ans !
Il perfectionne son jeu dans son pays natal et en Allemagne. Mais c'est à Vienne et à Paris qu'il travaille la composition dans les années 1835-1836.
On le rencontre de 1843 à 1845 en Amérique puis il séjourne six ans à Saint-Pétersbourg où il crée un conservatoire de violon attaché à la cour du tsar Nicolas I. Quatre premiers concertos datent de cette époque. Les deux décennies suivantes, tout en exerçant son art, il enseigne à la fois à Bruxelles et à Francfort. L'un de ses élèves les plus illustres sera Eugène Isaïe.
Victime d'une attaque à 51 ans, il doit abandonner sa carrière de virtuose mais conserve ses activités de pédagogue. Il disparaît en 1881 lors d'un séjour en Algérie. Marié à la pianiste viennoise Joséphine Eder, on compte dans sa descendance le compositeur français Marcel Landowski.
Le virtuose Vieuxtemps a éclipsé le compositeur et c'est un peu dommage. Seuls ses 7 concertos font encore les beaux jours des violonistes (Hilary Hahn vient d'enregistrer le 4ème). Certes, son œuvre ne rivalise pas avec celle d'autres virtuoses-compositeurs de son époque comme Chopin ou Liszt et même Paganini. Son catalogue comportant une soixantaine d'opus mérite une résurrection.

Le 5ème concerto de Vieuxtemps est sans doute son œuvre à la fois la plus surprenante, et la plus réussie. Elle témoigne de l'évolution spectaculaire qu'a connue l'art du violon depuis Paganini. Surprenant, car extrêmement concis, l'ouvrage conserve sa forme tripartite, mais les mouvements sont enchaînés sans rupture. Il ne dure qu'une petite vingtaine de minutes et fut écrit en 1861… pour un concours du conservatoire de Bruxelles ! Sa tonalité est la mineur.

Charles Dutoit

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L'introduction Allegro non troppo reflète les styles émotionnels romantiques de mise en cette époque. La musique se déploie à partir d'un thème nostalgique ponctué de notes de hautbois et flûte un peu plaintives. Une ouverture assez développée pour un concerto aussi bref. Le violon fait son entrée par des arpèges suivis immédiatement de motifs sereins et poétiques qui contrastent avec la gravité de l'introduction. Bien entendu, le phrasé exige une grande virtuosité, mais Sarah Chang joue la carte de la poésie, ne cherche pas à briller. Elle est subtilement soutenue dans cette démarche par Charles Dutoit qui n'alourdit en aucun cas son orchestre. Vieuxtemps se souciait beaucoup de ne pas attribuer un rôle prépondérant au soliste ou à l'orchestre. Objectif tenu par les deux artistes. L'orchestration quoique classique fait appel à tous les pupitres. La jeune violoniste enchante par un legato aérien, des aigus d'une grande pureté même pour les notes les plus hautes sur la chanterelle. Le discours est varié et explique l'intérêt que Berlioz porta au compositeur dans lequel il voyait un refus de l'académisme. Ô, ne cherchons pas de métaphysique beethovénienne dans cette musique, mais j'avoue ressentir un plaisir plus marqué qu'à l'écoute d'un concerto "brillantissime" de Paganini (question de goût, naturellement). Il existe deux cadences conclusives possibles pour terminer l'Allegro. Sarah choisit un passage d'une difficulté inouïe avec abondance de jeux sur double cordes. Vertigineux mais, là encore, place à la sensibilité, à l'absence d'excès de vibrato. Fulgurant !
Le violon soutenu par des pizzicati des cordes de l'orchestre nous berce dans un adagio tendre et nocturne. L'équilibre soliste-orchestre est particulièrement remarquable. La partie de violon s'accorde des velléités romanesques. D'une grande légèreté, l'orchestre se veut ludique et chamarré. Quant au final, il ne dure en tout et pour tout qu'une minute et un chouia. J'aime les compositeurs qui font bref quand ils n'ont pas matière à faire traîner les choses. Un dialogue vif-argent achève ainsi en quelques mesures joyeuses ce très beau concerto.
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Édouard Lalo : Symphonie Espagnole


Édouard Lalo
Édouard Lalo doit à la symphonie Espagnole (en réalité un concerto en 5 parties) et à deux concertos pour violon et violoncelle le fait qu'il ne soit pas totalement oublié. Bien que célèbre au XIXème siècle grâce à ses talents de compositeur chambriste et d'orchestrateur, sa production est restée encore trop discrète.
Par ailleurs, né en 1823 à Lille, le compositeur et violoniste fera ses études dans cette ville et n'intégrera jamais le sacrosaint Conservatoire de Paris, la voie royale pour se faire connaître. À la fois instrumentiste et compositeur, Lalo ne s'imposera jamais comme un maître face à Berlioz ou à Saint-Saëns. Petit maître ? Oui, et on lui doit deux belles partitions : Cette Symphonie Espagnole souvent jouée et gravée par les virtuoses de l'archet et un opéra : Le Roi d'Ys.
La Symphonie Espagnole marque le début de l'intérêt des compositeurs français pour les mélodies et la culture ibérique. Carmen de Bizet sera créé en 1875, un an après la symphonie. Cette mode se prolongera jusqu'au siècle suivant avec par exemple l'heure Espagnole et le Boléro de Maurice Ravel… Cela dit, si la discographie de la Symphonie Espagnole reste pléthorique, enrichir celle de la musique de chambre serait justifié. Lalo est mort en 1892. Il est donc le contemporain de Henri Vieuxtemps. Le CD du jour permet ainsi de rendre justice à l'école de violon Franco-Belge très active à l'époque.

La symphonie fut écrite à l'intention de Pablo de Sarasate qui était espagnol a contrario de Lalo quoiqu'on en est dit (peut-être de lointains ancêtres lors de l'occupation des Flandres au XVIIIème siècle). Dans cette œuvre flamboyante, Lalo exploite des thèmes et des rythmes de danses espagnoles.
Une vigoureuse introduction de quelques mesures est confiée à l'orchestre. Le violon prend la main immédiatement avec un motif principal inimitable, dansant, sensuel… donc espagnol, le pays du soleil et du flamenco (Heuu, c'est une métaphore). Dans ce mouvement très symphonique dans sa forme, Sarah Chang impose le jeu élégant et vif déjà entendu dans la première œuvre du programme. Charles Dutoit illumine avec habileté le chant du violon. Tout cela sonne martial, très matador. L'art d'orchestrateur de Lalo se manifeste par la variété des couleurs, l'absence de pathos germanique même si le compositeur ne dédaignait pas ce qui se composait outre-Rhin.
Pablo de Sarasate
Tiens, j'ai oublié de préciser la structure de la symphonie : 1) Allegro non troppo – 2) Scherzando : Allegro molto – 3) Intermezzo : Allegretto non troppo – 4) Andante – 5) Rondo : Allegro.
Comme toutes les œuvres instrumentales qui s'affranchissent d'inspiration philosophique, littéraire ou spirituelle, il n'est pas très utile de commenter de manière très approfondie cette composition. Nous entendons une musique de fête, de plaisir sonore aux accents chorégraphiques. À noter que Lalo sera aussi l'auteur d'un ballet : Namouna que Debussy trouva excellent (Pour que Debussy encense la concurrence…). Il sera pourtant boudé par le public de l'opéra.
La vitalité de l'Allegro ne se relâche pas, ni dans le Scherzando, ni dans l'Intermezzo. La musique oscille entre des pas de danses et des phrases plus langoureuses. Une  musique fantasque. Le violon se lance dans des jeux de séduction en complicité avec un orchestre brillant et léger, éclairé des tintements du triangle dans le Scherzando, tandis que l'intermezzo évoque les déhanchements virils d'un hidalgo. Dans les deux oppositions : féminin/masculin, le jeu de Sarah Chang accuse une articulation facétieuse, une exaltation de courtisan. Pour préciser, les rythmes de danses sont successivement : seguidilla, habanera avec ses lignes sinueuses…
L'andante apporte une tonalité plus sombre, une mélopée élégiaque du violon qui s'éclaircit de mesure en mesure. L'introduction du Rondo final est très connue : une marche des bois scandée par la répétition obsédante d'un motif du basson en crescendo-decrescendo ouvre le bal au violon. Une saltarello se mêle à la reprise de la malagueña de l'Allegro initial. Lalo impose une virtuosité diabolique au violon. Le phrasé de la jeune Sarah est d'un velouté léger et voluptueux. Une version parfaite à mon sens. La concurrence est si nombreuse que je ne citerai pas de disque particulier…

Par contre, je ne peux que conseiller trois albums tout à fait originaux de Sarah Chang. Un album "Sweet Sorrow" entièrement dédié à des petites pièces et arrangements. Un régal pour les amateurs de violons charmeurs. Le concerto de Richard Strauss, même si ce n'est pas un must du compositeur bavarois, trouve ici une excellente interprète, d'autant qu'elle est particulièrement bien accompagnée par Wolfgang Sawallisch. Enfin Sarah Chang a participé à une gravure collégiale de bon aloi dans des œuvres, elle-aussi plus rares, le Sextuor de Dvorák et Souvenirs de Florence de Tchaïkovski.

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3 commentaires:

  1. J'ai le CD où elle interprète le concerto N°1 de Max Bruch et également un de Brahms. A l'écoute on peut affirmer que Mlle Chang ne possède pas qu'un joli minois

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    1. Merci Guy Williams pour ce tuyau. Je viens d'écouter ce CD sur Deezer… Superbe

      1 – J'adore la direction élégante de Kurt Masur (comme souvent avec ce chef)
      2 – Pour Sarh Chang : jeu de violon nerveux et volontaire dans le sens engagé, aucun pathos. C'est encore plus incisif que dans le CD de ce jour…

      Je vais ajouter cet album dans la discographie alternative consacrée au concerto de Brahms par Hilary Hahn – Neville Marriner, un article écrit il y a quelques mois…

      :o)

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  2. Waa ! quelle attaque de l'archet de cette jeune violoniste dans la symphonie Espagnole, on dirait David Oïstrakh à sa grande époque. Quand au concerto n°5 d'Henri Vieuxtemps, je découvre et j'aime beaucoup, un petit coté Brahms pas désagréable. Les compositeur Belge n'ont pas laissés une profonde empreinte dans la musique, peut être hormis César Franck. Une jolie découverte avec une bien jolie artiste !

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