- Eh eh,
M'sieur Claude, il y avait longtemps que nous n'avions pas eu la visite d'une
jolie violoniste sans doute surdouée comme d'hab' ?
- Absolument
Sonia, elle a donné ses deux premiers concerts avec les Philharmonies de Los
Angeles et New-York à l'âge de 8 ans !!!
- Vous vous
payez ma tête !? L'album d'aujourd'hui date de l'époque de la maternelle pendant
que vous y êtes…
- Non de
1995. Sarah avait 15 ans, et j'ai retenu cette gravure pour son originalité et
sa qualité. Je n'ai jamais parlé de Lalo et de Vieuxtemps dans le blog…
- Chang suggère une origine chinoise pour cette artiste, comme Yuja Wang, la pianiste aux robes microscopiques ?
- Pas tout à fait,
américaine d'origine coréenne… ET puis, Sonia, nous allons écouter de la musique
avant de parler chiffons…
- Heuuu… oui M'sieur
Claude... Désolée… Je prépare l'article tout en écoutant…
Une fée s'est penchée en 1980 sur le berceau de la jeune américaine née de parents coréens.
À 3 ans, avec sa mère, elle pianote. À 4 ans : premier violon, un 1/16 pour ses
petites menottes. Enfant prodige, à 8 ans elle subjugue Zubin
Mehta qui lui offre son premier concert avec la Philharmonie de New-York.
Le très pointilleux Riccardo Muti tombe très peu
de temps après sous le charme et l'engage pour une soirée avec l'orchestre de Philadelphie
dont il est directeur. Le conte de fée se confirme…
La jeune fille intègre à 5 ans la Juilliard School en jouant au mieux le 1er
concerto de Max Bruch.
Mais au-delà de la précoce virtuosité, il faut travailler sérieusement
l'expressivité. Elle sortira diplômée de la prestigieuse institution en 1999.
Elle enregistre à 12 ans son premier CD titré "Debut"
pour EMI et consacré à des œuvres de
Sarasate et Elgar.
Depuis 1992, Sarah a constitué une
remarquable discographie de plusieurs dizaines d'albums dans des genres très
variés : de Vivaldi à Brahms en passant par les grands concertos
romantiques de Dvorák ou Bruch, voire plus rares, comme le concerto
peu connu de Richard Strauss. Sarah a également signé de beaux disques
proposant des arrangements surprenants mais très populaires : Chopin, Liszt,
Sibelius…
Bien entendu, sa carrière a pris une dimension internationale avec les meilleurs orchestres de la planète dirigés
par les chefs les plus en vue. Elle rend visite à la France. Ainsi, on a pu
l'entendre dans le Concerto de Brahms avec Kurt
Masur et l'Orchestre National
de France en 2012 au TCE. Elle se produit également comme
soliste dans des concerts et enregistrements dédiés à la musique de chambre.
Pour cet album, Sarah Chang
est accompagnée par l'orchestre du Concertgebouw
d'Amsterdam et le Philharmonia
Orchestra, deux phalanges très haut de
gamme dirigées par le chef suisse Charles Dutoit,
un artiste qui a fait la une du blog dans une interprétation remarquable d'une
symphonie de Albert Roussel à Montréal (Clic).
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Henri
Vieuxtemps : Concerto pour violon N°5
![]() |
Henri Vieuxtemps jeune |
Né en 1820
en Belgique, le violoniste et compositeur Henri Vieuxtemps
sera l'un des virtuoses les plus célèbres du XIXème siècle, certains de ses
amis comme Robert Schumann le comparant
même à Paganini. Comme nombre des
violonistes de notre temps présentés dans ce blog, le jeune homme est surdoué et joue
en public dès l'âge de 6 ans !
Il perfectionne son jeu dans son pays natal et en Allemagne.
Mais c'est à Vienne et à Paris qu'il travaille la composition dans les années 1835-1836.
On le rencontre de 1843 à 1845 en Amérique
puis il séjourne six ans à Saint-Pétersbourg où il crée un conservatoire de
violon attaché à la cour du tsar Nicolas I. Quatre premiers concertos datent de cette
époque. Les deux décennies suivantes, tout en exerçant son art, il enseigne à
la fois à Bruxelles et à Francfort. L'un de ses élèves les plus illustres sera Eugène Isaïe.
Victime d'une attaque à 51 ans, il doit abandonner sa
carrière de virtuose mais conserve ses activités de pédagogue. Il disparaît en 1881 lors
d'un séjour en Algérie. Marié à la pianiste viennoise Joséphine
Eder, on compte dans sa descendance le compositeur français Marcel Landowski.
Le virtuose Vieuxtemps
a éclipsé le compositeur et c'est un peu dommage. Seuls ses 7 concertos font encore les beaux jours des violonistes
(Hilary Hahn vient d'enregistrer le 4ème). Certes, son œuvre ne
rivalise pas avec celle d'autres virtuoses-compositeurs de son époque comme Chopin ou Liszt
et même Paganini. Son catalogue
comportant une soixantaine d'opus mérite une résurrection.
Le 5ème
concerto de Vieuxtemps
est sans doute son œuvre à la fois la plus surprenante, et la plus réussie.
Elle témoigne de l'évolution spectaculaire qu'a connue l'art du violon depuis Paganini. Surprenant, car extrêmement concis,
l'ouvrage conserve sa forme tripartite, mais les mouvements sont enchaînés sans
rupture. Il ne dure qu'une petite vingtaine de minutes et fut écrit en 1861… pour un concours du conservatoire
de Bruxelles ! Sa tonalité est la mineur.
![]() |
Charles Dutoit XXXXXXXX |
Le violon soutenu par des pizzicati des cordes de
l'orchestre nous berce dans un adagio tendre et nocturne. L'équilibre
soliste-orchestre est particulièrement remarquable. La partie de violon s'accorde
des velléités romanesques. D'une grande légèreté, l'orchestre se veut ludique
et chamarré. Quant au final, il ne dure en tout et pour tout qu'une minute et
un chouia. J'aime les compositeurs qui font bref quand ils n'ont pas matière à
faire traîner les choses. Un dialogue vif-argent achève ainsi en quelques
mesures joyeuses ce très beau concerto.
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![]() |
Édouard Lalo |
Par ailleurs, né en 1823 à Lille, le compositeur et violoniste fera ses études dans
cette ville et n'intégrera jamais le sacrosaint Conservatoire de Paris, la voie
royale pour se faire connaître. À la fois instrumentiste et compositeur, Lalo ne s'imposera jamais comme un maître
face à Berlioz ou à Saint-Saëns. Petit maître ? Oui, et on lui
doit deux belles partitions : Cette Symphonie
Espagnole souvent jouée et gravée par les virtuoses de l'archet
et un opéra : Le Roi d'Ys.
La Symphonie
Espagnole marque le début de l'intérêt des compositeurs français
pour les mélodies et la culture ibérique. Carmen
de Bizet sera créé en 1875, un an après la
symphonie. Cette mode se prolongera jusqu'au siècle suivant avec par exemple l'heure Espagnole et le Boléro de Maurice
Ravel… Cela dit, si la discographie de la Symphonie
Espagnole reste pléthorique, enrichir celle de la musique de
chambre serait justifié. Lalo
est mort en 1892. Il est donc le
contemporain de Henri Vieuxtemps. Le CD du
jour permet ainsi de rendre justice à l'école de violon Franco-Belge très
active à l'époque.
La symphonie fut écrite à l'intention de Pablo de Sarasate qui était espagnol a
contrario de Lalo quoiqu'on en est dit (peut-être
de lointains ancêtres lors de l'occupation des Flandres au XVIIIème
siècle). Dans cette œuvre flamboyante, Lalo
exploite des thèmes et des rythmes de danses espagnoles.
Une vigoureuse introduction de quelques mesures est
confiée à l'orchestre. Le violon prend la main immédiatement avec un motif principal
inimitable, dansant, sensuel… donc espagnol, le pays du soleil et du flamenco
(Heuu, c'est une métaphore). Dans ce mouvement très symphonique dans sa forme, Sarah Chang impose le jeu élégant et vif déjà
entendu dans la première œuvre du programme. Charles
Dutoit illumine avec habileté le chant du violon. Tout cela
sonne martial, très matador. L'art d'orchestrateur de Lalo
se manifeste par la variété des couleurs, l'absence de pathos germanique même
si le compositeur ne dédaignait pas ce qui se composait outre-Rhin.
![]() |
Pablo de Sarasate |
Comme toutes les œuvres instrumentales qui
s'affranchissent d'inspiration philosophique, littéraire ou spirituelle, il
n'est pas très utile de commenter de manière très approfondie cette
composition. Nous entendons une musique de fête, de plaisir sonore aux accents
chorégraphiques. À noter que Lalo
sera aussi l'auteur d'un ballet : Namouna
que Debussy trouva excellent (Pour que Debussy encense la concurrence…).
Il sera pourtant boudé par le public de l'opéra.
L'andante apporte une tonalité plus sombre, une
mélopée élégiaque du violon qui s'éclaircit de mesure en mesure. L'introduction
du Rondo final est très connue : une marche des bois scandée par la répétition obsédante
d'un motif du basson en crescendo-decrescendo ouvre le bal au violon. Une saltarello
se mêle à la reprise de la malagueña de l'Allegro initial. Lalo impose une virtuosité diabolique au
violon. Le phrasé de la jeune Sarah
est d'un velouté léger et voluptueux. Une version parfaite à mon sens. La
concurrence est si nombreuse que je ne citerai pas de disque particulier…
Par contre, je ne peux que conseiller trois albums tout à fait originaux de Sarah Chang. Un album "Sweet Sorrow" entièrement dédié à des petites pièces et arrangements. Un régal pour les amateurs de violons charmeurs. Le concerto de Richard Strauss, même si ce n'est pas un must du compositeur bavarois, trouve ici une excellente interprète, d'autant qu'elle est particulièrement bien accompagnée par Wolfgang Sawallisch. Enfin Sarah Chang a participé à une gravure collégiale de bon aloi dans des œuvres, elle-aussi plus rares, le Sextuor de Dvorák et Souvenirs de Florence de Tchaïkovski.
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J'ai le CD où elle interprète le concerto N°1 de Max Bruch et également un de Brahms. A l'écoute on peut affirmer que Mlle Chang ne possède pas qu'un joli minois
RépondreSupprimerMerci Guy Williams pour ce tuyau. Je viens d'écouter ce CD sur Deezer… Superbe
Supprimer1 – J'adore la direction élégante de Kurt Masur (comme souvent avec ce chef)
2 – Pour Sarh Chang : jeu de violon nerveux et volontaire dans le sens engagé, aucun pathos. C'est encore plus incisif que dans le CD de ce jour…
Je vais ajouter cet album dans la discographie alternative consacrée au concerto de Brahms par Hilary Hahn – Neville Marriner, un article écrit il y a quelques mois…
:o)
Waa ! quelle attaque de l'archet de cette jeune violoniste dans la symphonie Espagnole, on dirait David Oïstrakh à sa grande époque. Quand au concerto n°5 d'Henri Vieuxtemps, je découvre et j'aime beaucoup, un petit coté Brahms pas désagréable. Les compositeur Belge n'ont pas laissés une profonde empreinte dans la musique, peut être hormis César Franck. Une jolie découverte avec une bien jolie artiste !
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