LES QUATRE CENTS COUPS pourrait être à François Truffaut ce que CITIZEN KANE fut à Orson
Welles. Rien que ça ? Bon… Évidemment que les deux films n’ont pas
grand-chose en commun dans la forme, leur fabrication, mais ce sont tous deux
des premiers films, et des coups de maître, qui feront considérablement évaluer
les choses. Leurs auteurs étaient aussi très attendus, car déjà célèbres et
turbulents. On pense que Truffaut est né avec LES QUATRE CENTS COUPS, il n’en est rien. Il
était déjà la coqueluche (ou le poil à gratter) du milieu.
Fanatiques
de cinéma, Truffaut et son copain de classe Robert Lachenay (René dans le film),
créent leur premier ciné-club en 1948 (un fiasco…). Recueilli par le critique André
Bazin, après 5 mois de maison de correction, Truffaut est embauché à Travail et
Culture, comme secrétaire, assistant, puis auteur. Bazin crée la revue Les
Cahiers du Cinéma en 1951, Truffaut y participe, avec quelques camarades comme
Eric Rohmer, Jacques Rivette, Jean Luc Godard, Claude Chabrol… Son style fait mouche, il est courtisé de
toutes parts, écrira pour d’autres journaux et revues. Il couvre les festivals,
co-anime celui de Biarritz, et lance une nouveauté : les interviews de
metteur en scène, très longues conversations fouillées, reproduites sur des
dizaines de pages. Il travaille comme assistant de Renoir, Ophuls, Roberto Rossellini,
rencontre Hitchcock, invite à Paris les grands auteurs hollywoodiens. Il n’a
que 23 ans, mais la planète cinéma connait déjà le nom de François Truffaut, sa
fougue, son dogmatisme, son insolence, son caractère emporté et intransigeant.
Son
coup d’éclat est un article fleuve « Une certaine tendance du cinéma
français » (1954), où il fustige avec une rare violence ce qu’on nommait la
Qualité Française, les films de Claude Autant-Lara, René Clément, Clouzot, Verneuil,
Yves Allégret, Jean Delannoy, mais surtout leurs scénaristes. Jean Aurenche,
Pierre Bost, Henri Jeanson, accusés de cynisme bourgeois, de noirceur, d’archétypes
psychologiques issus des années 30, de rechercher la gloire au travers d’adaptations
littéraires académiques, calibrées, aux dialogues ampoulés. Des scénaristes incapables
de traiter de sujets nouveaux, actuels, de représenter à l’écran la jeunesse,
ses élans. L’article est un coup de tonnerre, et Truffaut enfonce le clou trois
plus tard avec sa théorie de la Politique des Auteurs, ce qui lui vaudra de se
faire retirer son accréditation au festival de Cannes de 58 ! On sait qu’il
y retournera en 59, mais cette fois avec un film sous le bras…
Si
aujourd’hui le terme Film d’auteur est devenu péjoratif, désignant un cinéma
intello, nombriliste, parisien, à l’origine il n’en était rien. Pour Truffaut,
le véritable auteur du film n’est pas le scénariste, mais le metteur en scène,
qui construit une œuvre cohérente au cours des années, avec des préoccupations
et un style identifiable. L’archétype de l’auteur, pour toute cette génération,
c’est Alfred Hitchcock. Le cinéma doit se conjuguer à la première personne. La
Nouvelle Vague, le cinéma d’auteur, c’est l’avènement du Je.
Très
tôt François Truffaut s’essaie au cinéma, il écrit et réalise des courts
métrages (dont la première ébauche de ce qui deviendra A BOUT DE SOUFFLE de Godard), il sort LES
MISTONS en 1957, avec déjà une bande de gamins, Gérard Blain et Bernadette Laffont. Pour un
projet de film à sketches, il écrit LA FUGUE D’ANTOINE, l’histoire d’un môme
qui fait l’école buissonnière. C’est à partir de cette trame qu’il développera
LES QUATRE CENTS COUPS avec la collaboration de Marcel Moussy. Il obtient un financement
d'Ignace Morgenstern, dont il a épousé la fille Madeleine. Ironie, Morgenstern
est un célèbre distributeur qui a financé beaucoup de grands succès populaires
dézingués par Truffaut dans ses critiques ! Un argument dont ne se
priveront pas ses détracteurs, le traitant d’arriviste.
LES QUATRE CENTS COUPS est un film autobiographique. Truffaut se
projette dans le personnage d’Antoine Doinel, et son pote René (le double de
Robert Lachenay). Si vous souhaitez savoir à quoi ressemblait l’enfance de
François Truffaut, c’est dans le film. Détesté par sa mère (fille-mère, comme
on disait), rejeté, balloté de foyers en foyers, il ne doit son salut qu’à la
découverte des livres, et de Balzac en particulier. Tout ce qu’on voit dans le
film est réel, l’appartement exigu, la vieille banquette pourrie en guise de
lit, les fugues, les vols, les flics, la taule, le camp de redressement sans
visite des parents…
Mais
si Truffaut est adepte d’un cinéma personnel, il croit aussi au romanesque. Contrairement à Jean Luc Godard qui va radicaliser ses méthodes de tournage,
inventer une nouvelle grammaire, Truffaut reste finalement assez classique dans
la forme. C’est la réussite de ce film. Une incroyable fraîcheur qui laisse
supposer beaucoup d’improvisations, mais en réalité basée sur un scénario solide, une
progression dramatique réfléchie. La musique de Jean Constantin, compositeur et
amuseur, y est pour beaucoup, donnant dans la ritournelle légère, loin des
accents tragiques attendus pour ce genre de sujet.
LES QUATRE CENTS COUPS est cruel, mélancolique, une accumulation de mauvais souvenirs, de
traumatismes, d’injustices (la terrible scène du devoir de classe), qui
deviennent de formidables moments de cinéma, grâce à la mise en scène alerte,
et l’énergie communicative des acteurs. Les premières scènes nous plongent dans
le Paris des années 50, qui n’a rien à voir avec les reconstitutions studio. On
découvre les décors naturels, la lumière naturelle. Regardez Antoine et René
traverser les rues, faisant signe aux voitures de stopper. C’est frais ! C’est vivant ! Comme l’éparpillement des gamins, par
grappe, qui lâchent leur prof de sport, ou la séquence à la foire avec la
centrifugeuse !
Le
dispositif minimal permet cette nouvelle façon de filmer, et pour les acteurs,
de jouer. On ne reconstitue pas, on ne travestit pas, on se sert de ce qui
existe, tel que. Les tournages en décors réels sont la marque de fabrique des
premiers films de la Nouvelle Vague. Pour plus de liberté, Truffaut filme sans
le son, et postsynchronisera ensuite. L’appartement des Doinel était trop exigu
pour accueillir des ingénieurs son ou des perchistes ! On inaugure les
travellings en fauteuil roulant, ou en 2CV désossée (idée que repiquera
Spielberg !). Seule la scène (vers la fin) entre Antoine Doinel et la psychologue
est en son direct, et improvisée par Jean Pierre Léaud, qui répond vraiment aux
questions (de Truffaut).
Comme
cela se faisait, tous les copains participent au film, on y croise Jeanne
Moreau et Jean Claude Brialy, Philippe de Broca, Jacques Demy dans le rôle d’un
flic, Godard et Belmondo prêtent leurs voix. Mais l’atout du film, est
évidement Jean Pierre Léaud, 14 ans, qui subjugue Truffaut lors du casting, par
sa gouaille, son invention, sa répartie. Acteur instinctif, il puise aussi
beaucoup dans son expérience personnelle, turbulente, pour façonner son
personnage. Un des moments les plus fulgurants reste la réplique à son
professeur : « c’est à cause de ma mère, m’sieur – ta mère ?
quoi ta mère ? – elle est morte ! ».
Le
film se termine par un long travelling, la caméra qui suit Antoine Doinel
courant vers la mer, figure de style qui sera reprise des milliers de fois par
la suite. Le gamin arrive sur la plage, il y a l’océan, plus d’issue. Léaud
se tourne vers la caméra, nous regarde, semble nous supplier. Arrêt sur image,
recadrage optique, et Truffaut fixe pour l’éternité l’inquiétude et la
fragilité de son double de fiction. On ne sombre pas dans le mélo, même
si Doinel derrière ses barreaux rappelle le Kid de Chaplin. Doinel a le feu au
ventre, il en prend plein la gueule, mais cherche sans cesse à échapper à sa misérable condition.
Sélectionné
pour Cannes en 1959, le film triomphe, les ennemis d’hier admettent que
Truffaut à frapper un grand coup, on découvre un film nouveau, moderne, vivant, qui émeut autant qu’il force le respect. Il remporte le
prix de la mise en scène, succès public en France dans le monde.
Dégâts
collatéraux : La mère et le beau-père de Truffaut sont effarés par ce qu’ils
considèrent comme un odieux et injuste règlement de compte. La presse s'emmêle, les détracteurs de Truffaut s’en donnent à cœur joie, dénigrent les
méthodes de voyous du réalisateur (devenu riche et encore plus célèbre) qui crache sur ceux
qui l’ont élevé. François Truffaut minimisera la part autobiographique de son
film, pour calmer le jeu, puis coupera les ponts avec la famille.
Le
charme et l'énergie des LES QUATRE CENTS COUPS ne s’altèrent pas avec les années. Le film garde la même
fraicheur, la même inventivité, qui effectivement détonnait des productions
habituelles, et sera source de nombreuses vocations. On compte plus d’une centaine
de premiers films, réalisés l’année suivante. Autre caractéristique, le film
s’inscrit dans un cycle – c’est inédit - puisque Truffaut poursuivra le récit
de sa vie-romancée avec ANTOINE ET COLETTE (1962), BAISERS VOLES (1968),
DOMICILE CONJUGAL (1970) et AMOUR EN FUITE (1979), où les mêmes comédiens
interpréteront les mêmes personnages.
Noir et blanc - 1h40 - scope 2:35
Casting des gamins, qui répondent à Truffaut hors champ.
La bande annonce
ooo
Surement le seul film ou j'accepte le personnage d'Antoine Doinel, je n'ai rien contre Truffaut j'ai aimé beaucoup de ses films comme "La marié etait en noir", "Jules et Jim" ou encore "La femme d'à coté" avec la sublime Fanny Ardant, mais j'ai toujours eu un certain retrait envers Jean-Pierre Léaud comme acteur adulte, j'ai toujours trouvé qu'il jouait de la même manière quelques soit ses films, j'ai revu il y a peut "La chinoise" de Goddard (Complètement hermétique comme film !!)...Ben non ! j'accroche pas ! Il y a qu'un rôle avec lui ou il sort de son éternel registre que j'ai bien aimé, c'est dans son rôle de commissaire déjanté dans "Les keufs" de Josiane Balasko en 1987. Mais sinon "Les quatre cents coups" un grand films avec un bon Antoine Doinel et une belle chronique !
RépondreSupprimerUn sentiment que je partage. JP Léaud "adulte" a un style de jeu qui n'appartient qu'à lui, et ne ressemble à nul autre ! Ca passe dans des films axés sur la comédie, le loufoque, quand il joue les doux-dingues. Chez Godard (avec qui il a tourné beaucoup plus que Truffaut, embarqués tous les deux dans les films politiques, ce que se refusait Truffaut, et sera entre autre à l'origine de leur brouille) c'est encore pire ! Dans "les deux anglaises et le continent" j'ai souvenir que ce n'était pas trop mal, sans doute parce qu'il y parlait en anglais !
RépondreSupprimerJe me suis toujours plus ou moins emmerdé avec ce film, plus à cause aussi de Léaud, acteur crispant aussi pénible qu'un De Funès dans son genre, que de Truffaut.
RépondreSupprimerDans ses films, Léaud, c'est toujours Doinel, même quand il faudrait pas...
Même s'il y a des exceptions notables dans leur filmo, j'ai l'impression que Truffaut s'est bonifié avec le temps alors que Godard devenait de plus en plus inconsistant ...