mercredi 5 novembre 2014

POPA CHUBBY "I'm feelin' Lucky" (2014), by Bruno



     Souvenez-vous. Après deux disques autoproduits et sortis localement (à New-York), en 1995, l'énôrme Popa  Chubby déboule et rue dans les brancards avec son look de Rapper (de Brooklyn) et son "Booty & the Beast".
L'album est unanimement salué (à l'exception des nostalgiques qui considère que le Blues a achevé sa mue dans les 60's) et permet à son inventeur de partir en Europe conquérir un nouveau public. Popa Chubby, de son vrai nom Ted Horowitz, ne déçoit pas sur les planches. Au contraire, son engagement, sa sincérité, son accessibilité (1), et surtout la qualité de sa prestation, séduisaient - presque - immanquablement ceux qui avaient loupé le train en marche.
 

   Les albums suivants, en l'occurrence "One Million Broken Guitars" et "Brooklyn Basement Blues", confortent son nouveau statut du Roi de New-York... en matière de Blues-Rock. Pas chien pour un sou, Ted profite même de l'élan de sa nouvelle notoriété pour tenter d'entraîner dans son sillage des vieux potes New-yorkais de galères. En quatre années, Popa Chubby est devenu un incontournable de l'univers Blues-Rock. Mais, en 2000, il semble accuser le coup de son travail harassant avec l'inégal "How'd a White Boy Get the Blues ?" qui alterne entre le bon, l'excellent même (qui justifient à eux seuls l'acquisition de ce disque qui a tout de même su convaincre), et le passable, le titre sans saveur. La suite ne fait qu'accentuer la tendance. Ce poids-lourd du Blues-rock semble vouloir inonder le marché de disques où apparaît son nom (seul ou en collaboration), battant ainsi le fer tant qu'il est chaud. Hélas, la quantité prime sur la qualité. Combien de ses compositions auraient gagné à mûrir avant d'être enregistrées ? D'autant que bon nombre sont grevés par des soli à rallonge où le débit de notes supplante l'émotion. Un comble pour un gaillards qui sait pourtant construire un solo en total adéquation avec le groove et l'harmonie. Malgré tout, Popa parvient à se maintenir à flots, grâce à sa présence physique et son engagement en concert, son assiduité sur les scènes des clubs et des festivals d'Amérique du Nord et d'Europe, mais aussi parce qu'il y a toujours au moins une poignée de très bons titres sur ses disques. 

     Toutefois, à force de babiller à l'aide de sa gratte, il finit par lasser et perd en conséquence une bonne partie de ses fidèles des années 90. Certains des premiers fans ont même totalement  décroché, ayant perdu toute curiosité pour ses dernières réalisations. On ne peut faire un bon disque avec une minorité de bonnes chansons ; c'est d'autant plus regrettable que ses disques sont inutilement remplis à ras bord, dépassant allègrement les 60 minutes. Une générosité, ou une boulimie de l'enregistrement compulsif, qui nuit à sa pérennité. Du gâchis, sachant que ses disques auraient été bien meilleurs en faisant le tri, en se mettant au régime de chansons, en se recentrant sur l'essentiel, en se désintoxiquant d'un papotage intempestif. Du gâchis.

     Et puis, en 2013, c'est pratiquement une résurrection. Ce bon vieux Horowitz, qui a alors 53 ans au compteur, paraît essayer de maîtriser ses démons, de freiner ses tics de guitar-hero en pilotage automatique. "Universal Breakdown Blues" est considéré comme un retour au son âge d'Or, soit celui de ses trois premiers opus. Une galette qui a son lot de bonnes sensations.


   Avec "I'm Feeling Lucking" il confirme ses efforts pour revenir à un certain niveau de qualité. On peut même le considérer comme meilleur que son prédécesseur. Même si, à mon sens, il ne parvient toujours pas à égaler les trois disques de référence sus-nommés.

On retrouve le Popa Chubby funambule qui prend plaisir à flirter avec des genres affiliés, des satellites du Blues, tout en restant profondément enraciné dans un Blues-Rock hérité de Freddy King. Des genres qui avaient quitté la maison sans jamais couper le cordon ombilical et d'autres qui ont acquis un caractère singulier, imprégnés de la forte personnalité de leur géniteur. Un Blues-rock qui peut pencher indifféremment vers des sonorités plus Heavy, Classic-Rock, Funk ou même Rap, ou encore... tout simplement plus traditionnel (2).

Ce nouvel essai débute sur un "Three Little Words" d'où émanent quelques senteurs parfumées du "Smooth" de Santana, où on a le plaisir de déguster une wah-wah chantante et maîtrisée, bien calée sur le rythme. 

Le rafraîchissant "One Leg at a Time" s'inspire des Blues enjoués et vivifiant du BB King des 60's et le Rock-Jump Blues du Little Big Band de Colin James.  Avec un solo concis et bien dans le rythme et un clavier qui propulse le titre dans une ambiance 70's New-Yorkaise. 

"Rollin' And Tumblin'" (de Hambone Willie Newbern, enregistré en 1929, mais popularisé par Muddy Waters en 1950) est mué en Hard-Blues plombé par un orgue Hammond avec une slide qui dérape sur les cordes à la manière d'un Rod Price, voire d'un Pete Wells. Le tempo y a été ralenti dans le but de rendre cette pièce plus pesante, voire un brin menaçante.


  "Come to Me" taillé pour et avec Dana Fuchs qui fait ici une prestation digne de Janis Joplin, à qui elle est si souvent comparée d'ailleurs. De sa voix brûlante comme la braise, Dana fout le feu à cette pièce, et en fait un des points d'orgue de l'album. Et puisque l'on parle d'orgue, ce dernier, justement, est très présent, comme dans les grandes formations de Soul-blues-rock des années 60 et 70 ; on pense notamment à Leon Russell. Devant la présence torride de Dana, on sent un Popa émoustillé qui évacue ses émotions dans un solo guilleret, mais viril (Pop a chubby). A l'instar du duo Hart-Bonamassa, celui de Fuchs-Chubby/Horowitz pourrait faire un tabac, tout en étant un peu plus brut et cru.


"I'm a Pittbull (nothin' but Love)" pille sans vergogne le riff du "Joker" de Steve Miller ; non pour le reconstruire tel quel, mais pour l'amener dans un espace plus propice à un Southern-Rock bluesy, notamment en ayant éliminé toutes aspirations Pop.

Avec "Too Much Information", Popa fait plus dans l'intimiste. Une ballade qui, en dépit d'une guitare un peu enrobée de Phase (3) apportant une couleur 70's prononcée et d'un piano respirant le doigté de feu-Billy Powell (Lynyrd Skynyrd), s'inscrit dans un registre à mi-chemin entre Springsteen et les Allman Brothers en mode Soul-Blues. Une chanson qui respire bien plus les grands espaces américains que les zones urbaines asphyxiés de gaz carboniques.  

"The Ways it is" suit cette nouvelle tendance abordée par Popa, qui paraît tout à fait lui convenir d'ailleurs, fleure la bonne chanson Rock US pour routiers et la working class man. Bob Seger n'est pas loin.

Voilà sept pièces de grande qualité qui hissent "I'm Feeling Lucky" sur la tribune des albums réussis de l'imposant New-yorkais.
 Le funky "I'm feeling lucky" (aux paroles humoristiques) n'est pas mal mais semble ici à l'étroit et devrait plutôt prendre toute son ampleur en concert.

Comme sur le précédent, ce sont les claviers qui apportent ce petit plus, certes discret mais qui procurent une saveur supplémentaire. Des claviers relevant, épiçant des compositions de Blues-rock qui pourraient se révéler fades, ou sinon en adoucissant d'autres trop brutes pour glisser sans accroches dans les conduits auditif. 

     Par contre, je ne comprend pas le but recherché par Popa et Mike Zito où une guitare noyée par une fuzz stridente vient fortement pénaliser leur slow-blues "Rock on Bluesman" (déjà qu'à la base il n'est pas terrible, trop conventionnel). Tandis que "Save You Own Life" se traîne comme une limace ankylosée, semblant s’empêtrer dans un Heavy-Blues-rock-psyché de Cro-Magnon en surpoids.

Cela fait longtemps que Popa Chubby a les atouts pour se placer dans le peloton de tête des Blues-rockers, et ce n'est pas cet album, plutôt bien réussi, qui pourrait le contredire. Au contraire. Ce qui lui manque c'est un physique avantageux (John Mayer ou KWS ?) et look plus classieux et étudié (comme Joe Bonamassa ?). Mais cela ne rentre pas dans ses considérations. Son souhait : faire de la musique et de bons concerts.


Tracklist :
1. Three Little Words – 5:12
2. I’m Feelin’ Lucky  - 3:59
3. Rock On Bluesman – featuring Mike Zito –  7:36
4. One Leg At A Time – 3:31
5. Rollin’ N’ Tumblin’ – 6:41
6. Come To Me – featuring Dana Fuchs – 6:12)
7. Save Your Own Life – 4:47
8. I’m A Pitbull (Nothing But Love) – 3:36
9. Too Much Information – 5:32
10. The Way It Is – 5:19

Personnel : Basse : Francesco Beccaro ;  claviers : Dave Keys ; batterie : Chris Reddan.

     Cet album fête par la même occasion les vingt-cinq ans de carrière sous son pseudonyme. C'est la raison du CD bonus qui survole en dix titres son existence de musicien pré-Chubby. Une ère qui aurait pu (due ?) rester cachée, sous terre. Déballer les titres maladroits de Bloodelot ou de NoXcuse démontre soit un sincère et honnête gaillard qui n'hésite pas à dévoiler qu'il n'a pas toujours été aussi bon, qu'il a dû évoluer et travailler ; soit d'un certain égo qui force à croire que tout ce qu'il touche se mue en or. Même les bouses.
La guitare est noyée dans un effet de flanger synthétique, parfois d'un chorus envahissant.
Seul intérêt de ce CD-bonus : montrer le chemin parcouru par Ted en un peu plus d'une décennie, et que tout n'arrive pas tout cuit, qu'il faut du travail et de la persévérance. 
En tout cas, voilà, encore une fois (cela devient vraiment courant ses derniers temps) un CD supplémentaire absolument dispensable. Un truc que l'on ne réécoutera jamais plus, qu'il est même difficile d'écouter, ne serait qu'une fois, intégralement.

Tracklist / CD Bonus (25 Years) :
1. Elemental Time – 2:34 – Bloodclot
2. Smoke Break – 4:13 – Bloodclot
3. Video Venus – 4:07 – Noxcuse
4. My Relation – 2:23
5. Drop The Beat – 3:07 – Bloodclot
6. I Can’t Fix You – 4:58
7. Mike The Cop – 3:23 – From City Opus with Joe Labelle
8. I’m Giving Up – 3:36
9. Steef Jam – 11:07
10. Popa Chubby Is An Old Ass Man – 5:48 – Popa Chubby and Street Doc


(1) L'homme, bien que visiblement exténué par sa longue prestation, restait un bon temps à son stand pour signer divers autographes, serrage de paluches et échange de courtes banalités en bonus. Du moins, c'était encore le cas il y a quelques années (au moins jusqu'à ses concerts en hommage à Hendrix, en 2006-2007).
(2)  Pour Horowitz, en matière de musique "Traditionnel" correspond au Blues de Freddy King, d'Albert Collins, voire d'Albert King. Les racines de son Blues prennent leur source au crépuscule des années 60.
(3) Au sujet des effets, généralement, il se contente d'un minimum. Son truc s'est surtout alterner entre un ampli Marshall et un Fender, et l'utilisation d'un booster genre Tube Screamer et un Delay.  Plus, évidemment, à l'occasion, une wah-wah (à ses débuts une Cry-baby). Plus récemment, avec l'album "Universal Breakdown Blues", il se serait enticher des petites pédales Mooer. On a pu voir sur scène qu'il emploie les potentiomètres de ses guitares et ceux de son booster pour rendre sa guitare plus mordante ou l'adoucir. Sur son dernier clip, il montre un court instant son nouveau rig qui comporte une Octavia, une overdrive signature Robin Trower de chez Fulltone, un delay Flashback X4 et une reverb Arena de TC Electronic, et une Wah-Wah  Jimi Hendrix 70th Anniversary Tribute de Dunlop.




Bon, c'est "facile" de faire le critique alors que les musiciens se sont cassé le cul pendant des mois à composer et à enregistrer. Alors laissons la parole à ce bon vieux Ted :

Autres articles / Popa Chubby :
"The Booty & the Beast" (1995) et ... trois ans plus tard "Two Dogs" (2017)

5 commentaires:

  1. Assez d'accord avec toi, le cd bonus ne vaut strictement rien! C'est un bon Popa dans la droite ligne des deux précédents. Et surtout Ouf fini les longs bavardages indigestes! Par contre je déteste pas le morceau avec Mike Zito, même si à la première écoute la guitare de Popa vrille les oreilles, et puis là y'a de la basse.......Ah Ah !

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    1. Oui, JP, et d'la bonne. Popa a toujours su s'entourer de très bons musiciens. Du genre forgé par la scène.
      Quant à "Rock on Bluesman", rien à faire, Impossible à écouter (et le disque a pourtant tourné en boucle hier après-midi). Toutefois,certainement que sans cette guitare stridente la chanson passerait bien mieux. C'est conventionnel mais pas mauvais.

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  2. Bof, bof franchement très décu de cet opus, je l'ai recu en cadeau d'anniversaire mais il va partir aux Puces. LE CD bonus est comme tu le dis au mieux maladroit au pire un foutage de gueule avec son assemblage hétéroclite de titres remixés à la va vite d'une époque qui je pense n'intéresse personne dans les fans de Blues du bonhomme. Pour le reste du disque des lyrics pas franchements inspirés et des titres que l'on a déjà l'impression d'avoir entendu. La guitare est certes volubile mais pour tisser un discours à la limite du rabâchage. A côté le dernier Lucky peterson est un monum,ent de sobriété et d'humilité Lol !!! Je m'étais arrêté au Live at FIP mais je vois que j'ai bien fait. Je reste un grand fan de " The Beauty and The Beast" (qui d'ailleurs pour ce que j'ai lu, Popa s'en démarquer car trop produit à son goût) et surtout le "It's Chubby Time" qui contenanit d'excellents morceaux balancés avec une énergie brute et sauvage !

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  3. Effectivement, et assez bizarrement, Popa a longtemps critiqué la production de Tom Dowd, tout en avouant avoir beaucoup appris à ses côtés.
    Toutefois, par la suite, il revint sur ses impressions et fini par encenser le travail de Tom Dowd. J'ai parfois l'impression que les paroles de Popa vont plus vite que sa pensée. Qu'il se laisse emporter par son propre débit de paroles sans trop faire attention à ce qu'il raconte ; du moins dans le détail (c'est typiquement "grande gueule" américaine ça, non ?).
    Mais pour en revenir au fameux "The Beauty and The Beast", je pense que Popa lui reprochait d'avoir un son différent de celui qu'il avait sur scène.
    Au sujet de "It's Chubby Time", Popa considère qu'il s'est planté au niveau de la production, qu'il n'est pas parvenu à lui insuffler une ambiance plus Bluesy.

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  4. D'accord à peu près sur tout. Vu deux fois en concert. A galvaudé son talent en faisant de l'abattage.

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