- Vous ne me facilitez pas la tâche M'sieur Claude avec des noms de
compositeurs pareils. Ça se prononce comment ?
- Aucune idée ma chère Sonia, mon finlandais est au point mort. Ce n'est
pas important, par contre la musique de ce Monsieur Madetoja est une
révélation passionnante…
- Oui, je vous l'accorde, j'ai écouté le début… c'est romantique et
poignant… d'ailleurs je dois vous rendre le CD… je l'avais pris sur votre
bureau…
- Ah ben, je peux toujours le chercher … laissez un post-it mon petit,
j'allais accuser M'sieur Rockin… Il fait des audits sur ma production ces
temps-ci…
- Heuuu, vous croyez que Madetoja peut passer pour du blues…
- Tsss, Tsss, allez bosser avant de dire des méchancetés… Non mais
!!!
Et si la Finlande était un
autre pays de la musique ? Les mélomanes pensent immédiatement à
Jean Sibelius, le plus célèbre de tous, dont la
quatrième symphonie (Clic) et le
concerto pour violon
sous l'archet d'Hilary Hahn
(clic) ont été sources de deux chroniques dans le blog. Un immense compositeur
peut en cacher d'autres : force est de constater que l'école musicale de
Finlande est l'une des plus actives de la
Scandinavie (au sens large),
Scandinavie qui inclut aussi l'Islande dont on va reparler dans ces lignes…
Rappelons-nous encore la compositrice
Kaija Saariaho
qui fut notre invitée avec un très bel album contemporain (Clic). On pourra aussi citer
Erkki Melartin (1875-1937), le chef et compositeur
Leif Segerstam
(né en 1944), un colosse aux allures d'ogre et de bûcheron qui a enregistré
les trois symphonies de
Leevi
Madetoja. La boucle est bouclée ! (Si ce n'est pas un enchaînement ça ???)
Leevi Madetoja
voit le jour en 1887 au nord de
la mer Baltique, un port près d'une région de lacs et de forêts, lieux
propices à l'éclosion des légendes nordiques. Pour se former à son art, il
va voyager. Il étudie la composition
à Helsinki
avec
Sibelius
de 23 ans son aîné, puis part de
1910 à
1911 pour
Paris pour travailler sous la
coupe de
Vincent d'Indy
à la Schola Cantorum qui venait
d'ouvrir ses portes pour concurrencer l'académisme du Conservatoire
supérieur. Encore un autre passage à
Vienne de
1911 à
1912 auprès de
Robert Fuchs
(un élève de
Bruckner) et enfin Berlin…
Sa carrière sera triple : d'abord pédagogue à Helsinki, puis chef
d'orchestre, notamment comme assistant de
Robert
Kajanus
le complice de
Sibelius, et enfin compositeur…
Même si
Sibelius
et
Madetoja
sont amis, leurs styles diffèrent sensiblement.
Sibelius
portera pourtant aux nues la
seconde symphonie, le sujet du jour.
Madetoja
sera fortement influencé par la rigoureuse écriture française qu'il
perfectionnera lors de séjours dans nos contrées dans les années
20-30. Si la musique instrumentale occupe une certaine place dans le
parcours de
Leevi Madetoja, c'est pour la voix que le compositeur fournira un travail important :
d'innombrables
chœurs a cappella
et des
mélodies. Comme
Sibelius,
Madetoja
cherche son inspiration dans un cycle de légendes finlandaises connu sous le
nom de Kalevala. Les deux
compositeurs ont écrit chacun une œuvre portant le nom de
Kullervo, un héros du Kalevala aux
aventures dramatiques ; une symphonie-oratorio pour
Sibelius
et une ouverture symphonique pour
Madetoja.
Leevi Madetoja
nous a quitté à Helsinki en
1947.
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On sera sans doute surpris qu'un petit pays comme l'Islande
(325 671 habitants) dispose de deux orchestres symphoniques dont
l'orchestre symphonique d'Islande
qui est reconnu comme l'une des meilleures phalanges de Scandinavie. Fondé
en 1925, cet orchestre voit ses
musiciens faire leurs premières armes dans l'île puis partir se
perfectionner dans les conservatoires réputés du vieux continent. L'ensemble
bénéficie d'une très belle salle moderne à
Reykjavik qui porte le nom de
Harpa. De nombreux chefs
internationaux assurent une soixantaine de concerts par an,
Petri Sakari
est de ceux-là. L'engouement des islandais pour ces concerts peut
s'expliquer par la dureté du climat. Entre les glaces et la lave des volcans
et les longs et ténébreux hivers polaires, quoi de mieux que se réunir dans
un bel auditorium de 1800 places… ?
Petri Sakari
est finlandais ! C'est un disque en famille, témoin de la continuité d'une
culture musicale.
Petri Sakari
commence dès son plus jeune âge des études de violon, puis de hautbois et de
piano. Une formation sur divers instruments des plus favorables à
l'apprentissage de la direction d'orchestre dès
1974 à l'âge de 16 ans.
Il débute sa carrière aux pupitres d'orchestres finlandais comme celui de
Turku, ancienne capitale du pays. Il devient directeur de l'orchestre symphonique d'Islande
en 1988. Un jeune maestro de 30
ans. Il grave une intégrale des symphonies de
Sibelius
pour le label Naxos dans les
années suivantes. Depuis cette époque
Petri Sakari
parcourt la planète pour diriger les orchestres les plus prestigieux, de
Vienne
à
Tokyo
en passant par
Bournemouth…
Outre
Madetoja,
Petri Sakari
a également enregistré pour le label Chandos des œuvres d'un autre compositeur finlandais peu connu :
Aarre
Merikanto
(1893-1958).
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La
seconde symphonie
est, tous genres confondus, l'œuvre la plus ambitieuse du compositeur. Elle
dure 45 minutes et a été écrite dans les années
1916-1918 pour être créée en
1919. Elle reflète l'amour de
son auteur pour son pays, mais aussi ses interrogations existentielles en
cette période où sa patrie traverse une guerre civile opposant les
traditionalistes de la société finnoise et les factions influencées par la
révolution russe marxiste. Elle comporte quatre mouvements. On semble face à
une œuvre à programmes dont
Madetoja
aurait caché les clés indiquant ses intentions expressives en omettant de
sous-titrer les mouvements. Si je voulais guider le lecteur à l'aide de
quatre adjectifs particularisant le climat dominant dans chaque passage,
j'écrirais :
bucolique, méditatif, guerrier, résigné… À chacun d'imaginer ses propres épithètes…
1 -
Allegro moderato
: Pizzicati des cordes graves, trémolos des bois et flûtes, mélodie
chaloupée des violons évoquent les bruissements des feuilles de bouleaux et
de conifères, les clapotis des vagues des lacs des profondes forêts
finlandaises. [0'39] Un sombre et anxieux motif nous renvoie vers les
mystères des contes de grands-mères, légendes qui se cachent dans les
sombres ramures et effarouchent les enfants. Tout l'univers "bucolique" et folklorique se déploie dans ce premier mouvement.
Madetoja
peint de mille couleurs ses développements opposant l'évocation de la
nature, et les enchantements joyeux ou maléfiques du cycle de contes du
Kalevala.
Petri Sakari
éclaire de sa battue bon enfant et précise une orchestration qui fleure bon
ce que l'on pouvait entendre dans la musique française de l'époque,
notamment la
3ème symphonie
de
Magnard
présentée il y a quelques semaines (Clic) et la
symphonie Cévenole
de d'Indy. Rien de surprenant après un passage à la
Schola Cantorum dont les deux
compositeurs français furent des fondateurs… À cette influence française
répond un écho dans les clairs-obscurs inspiré par son maître
Sibelius. Rien d'étonnant à ce que
Sibelius
ait aimé cette œuvre. Ceux qui connaissent la
2nd symphonie
de ce dernier comprendront. Un début d'une poésie somptueusement colorée… Le
niveau de cet orchestre islandais est une bonne surprise, la prise de son
bien équilibrée également.
2 – Andante
: l'andante est directement enchaîné avec l'allegro vers [14']. Le hautbois
et le cor introduisent une douce mélopée nocturne. En hiver les nuits sont
longues en Finlande et l'été, une lueur diaphane
baigne les paysage d'une clarté dorée. On discerne ces jeux de lumières dans
cet andante rêveur. Le hautbois dont le jeu revêt celui d'un soliste de
concertos évoque un lutin, un esprit malin qui rôde dans l'obscurité… Une
marche délicate succède à cette tendre et "méditative" entrée en matière. La musique coule sans aucune lourdeur typique du
romantisme allemand.
Petri Sakari
exige un bel unisson des groupes de cordes et y réussit. Le développement
central se fait pathétique. On songe plutôt aux rougeoiements d'un
crépuscule nordique qu'à une lamentation.
Leevi Madetoja
ne se revendique pas adepte de la métaphysique. Il contemple et nous dépeint
les paysage mordorés d'un été au bord de la Baltique aux diverses heures du
jour et de la nuit. Un passage très proche de l'esthétique d'un
Sibelius.
3 – Allegro non troppo
:
Leevi
Madetoja
avait perdu deux proches lors de la guerre civile. Les premiers accords sont
furieux. La musique est scandée. On rencontre une atmosphère sarcastique que
l'on retrouvera quelques décennies plus tard dans les musiques d'un
Chostakovitch
désespéré de voir son pays plonger dans le stalinisme et l'absurdité de la
guerre. Le morceau évolue vers une marche mécanique et brutale aux accents
"Guerriers". Marche qui se conclut par des déchaînements de cuivres, bois et
percussions décidément très proches de l'écriture du futur compositeur russe
né en 1906.
Petri Sakari
contrôle ses forces symphoniques. La clarté de la direction canalise
l'énergie du violent tissu orchestral et sert parfaitement ce discours
vindicatif. Un tutti vigoureux, suivi du calme de la conclusion du
mouvement, semble annoncer le point d'orgue de l'œuvre. Il n'en est rien,
l'andantino final est, à l'instar de l'andante, enchaîné directement.
4 - Andantino
: ce très court final (5' environ) se veut nostalgique dès les premières
mesures élégiaques dans lesquelles les cordes dominent la mélodie. Il y a
des accents de regret, celui de voir le monde enchanteur décrit dans la
première partie disparaître, une culture périr dans une guerre fratricide.
De mesures en mesures, la "résignation" fait place à la méditation.
On entend au loin sonner un cor sur un rythme lugubre de glas et la musique
s'éteint doucement.
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L'intégralité de la symphonie dans l'interprétation de
Petri Sakari
avec en regard la photo de la salle
Harpa de
Reykjavik.
Hormis cette symphonie n°2, je ne connais rien d'autre de Madetoja , comme si tu prenais le concerto pour deux volons de Wienawski (Itzhak Perlman et Seiji Osawa (EMI 1985), des compositeurs très peut connus qui ont pourtant composé des oeuvres majeurs.
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