samedi 13 septembre 2014

Leevi MADETOJA – Symphonie N° 2 – Petri SAKARI – par Claude Toon



- Vous ne me facilitez pas la tâche M'sieur Claude avec des noms de compositeurs pareils. Ça se prononce comment ?
- Aucune idée ma chère Sonia, mon finlandais est au point mort. Ce n'est pas important, par contre la musique de ce Monsieur Madetoja est une révélation passionnante…
- Oui, je vous l'accorde, j'ai écouté le début… c'est romantique et poignant… d'ailleurs je dois vous rendre le CD… je l'avais pris sur votre bureau…
- Ah ben, je peux toujours le chercher … laissez un post-it mon petit, j'allais accuser M'sieur Rockin… Il fait des audits sur ma production ces temps-ci…
- Heuuu, vous croyez que Madetoja peut passer pour du blues…
- Tsss, Tsss, allez bosser avant de dire des méchancetés… Non mais !!!

Et si la Finlande était un autre pays de la musique ? Les mélomanes pensent immédiatement à Jean Sibelius, le plus célèbre de tous, dont la quatrième symphonie (Clic) et le concerto pour violon sous l'archet d'Hilary Hahn (clic) ont été sources de deux chroniques dans le blog. Un immense compositeur peut en cacher d'autres : force est de constater que l'école musicale de Finlande est l'une des plus actives de la Scandinavie (au sens large), Scandinavie qui inclut aussi l'Islande dont on va reparler dans ces lignes… Rappelons-nous encore la compositrice Kaija Saariaho qui fut notre invitée avec un très bel album contemporain (Clic). On pourra aussi citer Erkki Melartin (1875-1937), le chef et compositeur Leif Segerstam (né en 1944), un colosse aux allures d'ogre et de bûcheron qui a enregistré les trois symphonies de Leevi Madetoja. La boucle est bouclée ! (Si ce n'est pas un enchaînement ça ???)
Leevi Madetoja voit le jour en 1887 au nord de la mer Baltique, un port près d'une région de lacs et de forêts, lieux propices à l'éclosion des légendes nordiques. Pour se former à son art, il va voyager. Il étudie la composition à Helsinki avec Sibelius de 23 ans son aîné, puis part de 1910 à 1911 pour Paris pour travailler sous la coupe de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum qui venait d'ouvrir ses portes pour concurrencer l'académisme du Conservatoire supérieur. Encore un autre passage à Vienne de 1911 à 1912 auprès de Robert Fuchs (un élève de Bruckner) et enfin Berlin
Sa carrière sera triple : d'abord pédagogue à Helsinki, puis chef d'orchestre, notamment comme assistant de Robert Kajanus le complice de Sibelius, et enfin compositeur…
Même si Sibelius et Madetoja sont amis, leurs styles diffèrent sensiblement. Sibelius portera pourtant aux nues la seconde symphonie, le sujet du jour. Madetoja sera fortement influencé par la rigoureuse écriture française qu'il perfectionnera lors de séjours dans nos contrées dans les années 20-30. Si la musique instrumentale occupe une certaine place dans le parcours de Leevi Madetoja, c'est pour la voix que le compositeur fournira un travail important : d'innombrables chœurs a cappella et des mélodies. Comme Sibelius, Madetoja cherche son inspiration dans un cycle de légendes finlandaises connu sous le nom de Kalevala. Les deux compositeurs ont écrit chacun une œuvre portant le nom de Kullervo, un héros du Kalevala aux aventures dramatiques ; une symphonie-oratorio pour Sibelius et une ouverture symphonique pour Madetoja.
Leevi Madetoja nous a quitté à Helsinki en 1947.
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On sera sans doute surpris qu'un petit pays comme l'Islande (325 671 habitants) dispose de deux orchestres symphoniques dont l'orchestre symphonique d'Islande qui est reconnu comme l'une des meilleures phalanges de Scandinavie. Fondé en 1925, cet orchestre voit ses musiciens faire leurs premières armes dans l'île puis partir se perfectionner dans les conservatoires réputés du vieux continent. L'ensemble bénéficie d'une très belle salle moderne à Reykjavik qui porte le nom de Harpa. De nombreux chefs internationaux assurent une soixantaine de concerts par an, Petri Sakari est de ceux-là. L'engouement des islandais pour ces concerts peut s'expliquer par la dureté du climat. Entre les glaces et la lave des volcans et les longs et ténébreux hivers polaires, quoi de mieux que se réunir dans un bel auditorium de 1800 places… ?
Petri Sakari est finlandais ! C'est un disque en famille, témoin de la continuité d'une culture musicale. Petri Sakari commence dès son plus jeune âge des études de violon, puis de hautbois et de piano. Une formation sur divers instruments des plus favorables à l'apprentissage de la direction d'orchestre dès 1974 à l'âge de 16 ans.
Il débute sa carrière aux pupitres d'orchestres finlandais comme celui de Turku, ancienne capitale du pays. Il devient directeur de l'orchestre symphonique d'Islande en 1988. Un jeune maestro de 30 ans. Il grave une intégrale des symphonies de Sibelius pour le label Naxos dans les années suivantes. Depuis cette époque Petri Sakari parcourt la planète pour diriger les orchestres les plus prestigieux, de Vienne à Tokyo en passant par Bournemouth
Outre Madetoja, Petri Sakari a également enregistré pour le label Chandos des œuvres d'un autre compositeur finlandais peu connu : Aarre Merikanto (1893-1958).
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La seconde symphonie est, tous genres confondus, l'œuvre la plus ambitieuse du compositeur. Elle dure 45 minutes et a été écrite dans les années 1916-1918 pour être créée en 1919. Elle reflète l'amour de son auteur pour son pays, mais aussi ses interrogations existentielles en cette période où sa patrie traverse une guerre civile opposant les traditionalistes de la société finnoise et les factions influencées par la révolution russe marxiste. Elle comporte quatre mouvements. On semble face à une œuvre à programmes dont Madetoja aurait caché les clés indiquant ses intentions expressives en omettant de sous-titrer les mouvements. Si je voulais guider le lecteur à l'aide de quatre adjectifs particularisant le climat dominant dans chaque passage, j'écrirais : bucolique, méditatif, guerrier, résigné… À chacun d'imaginer ses propres épithètes…

1 - Allegro moderato : Pizzicati des cordes graves, trémolos des bois et flûtes, mélodie chaloupée des violons évoquent les bruissements des feuilles de bouleaux et de conifères, les clapotis des vagues des lacs des profondes forêts finlandaises. [0'39] Un sombre et anxieux motif nous renvoie vers les mystères des contes de grands-mères, légendes qui se cachent dans les sombres ramures et effarouchent les enfants. Tout l'univers "bucolique" et folklorique se déploie dans ce premier mouvement. Madetoja peint de mille couleurs ses développements opposant l'évocation de la nature, et les enchantements joyeux ou maléfiques du cycle de contes du Kalevala. Petri Sakari éclaire de sa battue bon enfant et précise une orchestration qui fleure bon ce que l'on pouvait entendre dans la musique française de l'époque, notamment la 3ème symphonie de Magnard présentée il y a quelques semaines (Clic) et la symphonie Cévenole de d'Indy. Rien de surprenant après un passage à la Schola Cantorum dont les deux compositeurs français furent des fondateurs… À cette influence française répond un écho dans les clairs-obscurs inspiré par son maître Sibelius. Rien d'étonnant à ce que Sibelius ait aimé cette œuvre. Ceux qui connaissent la 2nd symphonie de ce dernier comprendront. Un début d'une poésie somptueusement colorée… Le niveau de cet orchestre islandais est une bonne surprise, la prise de son bien équilibrée également.

2 – Andante : l'andante est directement enchaîné avec l'allegro vers [14']. Le hautbois et le cor introduisent une douce mélopée nocturne. En hiver les nuits sont longues en Finlande et l'été, une lueur diaphane baigne les paysage d'une clarté dorée. On discerne ces jeux de lumières dans cet andante rêveur. Le hautbois dont le jeu revêt celui d'un soliste de concertos évoque un lutin, un esprit malin qui rôde dans l'obscurité… Une marche délicate succède à cette tendre et "méditative" entrée en matière. La musique coule sans aucune lourdeur typique du romantisme allemand. Petri Sakari exige un bel unisson des groupes de cordes et y réussit. Le développement central se fait pathétique. On songe plutôt aux rougeoiements d'un crépuscule nordique qu'à une lamentation. Leevi Madetoja ne se revendique pas adepte de la métaphysique. Il contemple et nous dépeint les paysage mordorés d'un été au bord de la Baltique aux diverses heures du jour et de la nuit. Un passage très proche de l'esthétique d'un Sibelius.

3 – Allegro non troppo : Leevi Madetoja avait perdu deux proches lors de la guerre civile. Les premiers accords sont furieux. La musique est scandée. On rencontre une atmosphère sarcastique que l'on retrouvera quelques décennies plus tard dans les musiques d'un Chostakovitch désespéré de voir son pays plonger dans le stalinisme et l'absurdité de la guerre. Le morceau évolue vers une marche mécanique et brutale aux accents "Guerriers". Marche qui se conclut par des déchaînements de cuivres, bois et percussions décidément très proches de l'écriture du futur compositeur russe né en 1906. Petri Sakari contrôle ses forces symphoniques. La clarté de la direction canalise l'énergie du violent tissu orchestral et sert parfaitement ce discours vindicatif. Un tutti vigoureux, suivi du calme de la conclusion du mouvement, semble annoncer le point d'orgue de l'œuvre. Il n'en est rien, l'andantino final est, à l'instar de l'andante, enchaîné directement.

4 - Andantino : ce très court final (5' environ) se veut nostalgique dès les premières mesures élégiaques dans lesquelles les cordes dominent la mélodie. Il y a des accents de regret, celui de voir le monde enchanteur décrit dans la première partie disparaître, une culture périr dans une guerre fratricide. De mesures en mesures, la "résignation" fait place à la méditation. On entend au loin sonner un cor sur un rythme lugubre de glas et la musique s'éteint doucement.
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L'intégralité de la symphonie dans l'interprétation de Petri Sakari avec en regard la photo de la salle Harpa de Reykjavik.

1 commentaire:

  1. Hormis cette symphonie n°2, je ne connais rien d'autre de Madetoja , comme si tu prenais le concerto pour deux volons de Wienawski (Itzhak Perlman et Seiji Osawa (EMI 1985), des compositeurs très peut connus qui ont pourtant composé des oeuvres majeurs.

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