Sous
le titre français légèrement racoleur, LE CANARDEUR, se cache le premier film
de Michael Cimino. Un cas, celui-là, un météore, vite évacué du système
hollywoodien, une réputation de junkie mégalo, qui ruina à lui seul United Artists en 1981, et qui après ce premier essai, enchainera
VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (1978), LA PORTE DU PARADIS (1980) et L’ANNÉE DU
DRAGON (1985). Ca laisse rêveur. La suite est plus anecdotique. Je vous reparlerai de
LA PORTE DU PARADIS un de ses jours…
En
attendant ses trois chefs d’œuvre, Michael Cimino est réalisateur de pub, et
scénariste au cachet. C’est par ce biais qu’il croise la route de Clint
Eastwood, qui via sa boite de production Malpaso, avait posé une option sur un de ses scénarios : THUNDERBOLT
AND LIGHTFOOT (le titre en V.O. qui se traduit par Coup de tonnerre et Pieds de biche). Quand John Milius, qui écrivait le deuxième opus de L’INSPECTEUR
HARRY / MAGNUM FORCE (1973), lâcha l’affaire pour passer à sa première réalisation,
DILLINGER, Eastwood fait logiquement appel à Cimino pour achever le script. L'année suivante, Eastwood lance la production de LE CANARDEUR,
mais Cimino insiste sur un point : quand je vends un scénario à un
producteur, c’est pour le réaliser moi-même. Confier un film avec Eastwood
en vedette à un puceau venu de la pub, ça craint, mais okay, Clint joue le jeu,
il produira et laissera carte blanche à Cimino pour le reste.
Sous
ces dehors "virils" ce film s'apparente plus à une ballade désenchantée. Qui
commence fort, lorsqu’on voit un type entrer dans une église, et défourailler
sur le curé en plein sermon ! Le curé est en réalité John
"Thunderbolt" Doherty, célèbre braqueur de banque, en semi-retraite, qui cherche à retrouver un magot planqué 10 ans plus tôt dans une école de campagne. Il échappe à son assaillant grâce à un jeune gars, Lightfoot. Ensemble, ils tracent la route, mais c’est sans compter deux anciens
complices de Doherty, Red et Eddy, persuadés d’avoir été trahis, et bien
décidés à se venger…
LE
CANARDEUR tient à la fois du polar, du road movie, du buddy movie, du western
moderne, du film initiatique… Michael
Cimino y a mis beaucoup de choses, ce n’est pas qu’un simple film d’action. Mais
de l’action, y’en a ! De la castagne, des poursuites, et bien sûr, le
hold-up central du film, minutieusement préparé, avec finition au canon de 20mm
(d'où son surnom "Coup de tonnerre") la fuite, les règlements de
compte… Michael Cimino nous emballe tout ça avec efficacité, quelques plans renvoient à l'univers des films de gangsters des années 40. Cimino affiche un sens du cadre, de la composition, du rythme, qui augure du meilleur. On pense à Aldrich, Ford, voire Pekinpah (en moins caractériel). C’est viril, on mord la poussière, un film de mec. Mais pas que, justement.
C’est aussi un film sur une Amérique qui change, et les espoirs qu'on a placés en elle. Thème récurrent du cinéaste pour ses films à venir, revisiter l'Histoire, les vagues d'immigration, l'intégration des communautés. Cimino place son action hors
des villes, dans les splendides paysages du Montana, décor de western, où on hurle "Geronimo!" quand on charge l'ennemi... en voiture. Dès le premier plan (superbe, cadre immense, scope couleur, l'église, la bagnole et le nuage de poussière, puis cut sur l'intérieur de la chapelle, la symétrie) on voit un parking devant l'église, quelques voitures et... un cheval. C'est aussi un film sur la cohabitation des générations.
Doherty et Red ont fait la guerre de Corée, Lightfoot, lui, est de la génération hippie. Il aimerait se faire apprécier et respecter par les anciens, jouer au grands. Il en rajoute, attire l'attention, se fait mousser dans son récit fantasmé de la fille aux seins nus. Enthousiaste, il se grise d’aventures avec Doherty, qui lui-même retrouve ses élans de jeunesse. Comme lorsque que Lightfoot lève deux filles et les ramène à la piaule. On sent l'ancienne génération un peu dépassée, déphasée. Lorsque les gangsters débarquent en pleine nuit dans la maison du directeur de la banque, que la mère supplie : oh, pitié, ne faites pas de mal à mon bébé... le bébé en question a 16 ans, et s’envoie son boyfriend à l’étage du dessus !
Doherty et Red ont fait la guerre de Corée, Lightfoot, lui, est de la génération hippie. Il aimerait se faire apprécier et respecter par les anciens, jouer au grands. Il en rajoute, attire l'attention, se fait mousser dans son récit fantasmé de la fille aux seins nus. Enthousiaste, il se grise d’aventures avec Doherty, qui lui-même retrouve ses élans de jeunesse. Comme lorsque que Lightfoot lève deux filles et les ramène à la piaule. On sent l'ancienne génération un peu dépassée, déphasée. Lorsque les gangsters débarquent en pleine nuit dans la maison du directeur de la banque, que la mère supplie : oh, pitié, ne faites pas de mal à mon bébé... le bébé en question a 16 ans, et s’envoie son boyfriend à l’étage du dessus !
Lightfoot
a une sexualité ambiguë (si toutefois il en a une) accentuée par le travestissement. Car pour faire diversion lors d'un hold-up, il doit se déguiser en femme, et aguicher un gardien libidineux. Lightfoot passe plusieurs scènes habillé en robe. Vision amusante, truculente, grotesque, et soudain terrible, quand il se fait tabasser par Red, qui lui fait certainement payer sa
jeunesse, son insolence.
LE
CANARDEUR renvoie aussi à un passé révolu pour les personnages, une jeunesse perdue ou gâchée. Le fait que le butin soit planqué dans une école, n'est pas anodin. Et
l’attitude très ado attardé de Lightfoot, face au sexe notamment. Lorsque Red
de Eddy doivent se trouver du boulot, ils sont marchands de glaces en
triporteur, et injuriés par les gamins du quartier ! Lorsqu’après le
casse, on se planque dans un drive-in, on y regarde un dessin animé… Cimino ne laisse rien au hasard.
Ce
qui fait aussi le réussite du film, ce sont les acteurs. George Kennedy joue Red,
toujours à grogner, teigneux, mauvais, il excelle dans ce genre de rôle. Son
complice Eddy est joué par Geoffrey Lewis, lui aussi habitué des rôles d’ahuris,
pas vraiment méchant (on le verra souvent partenaire d’Eastwood). Doherty c’est
Clint Eastwood, pas bavard, mais plus humain qu’à l’accoutumée, un
rôle de transition. Et Lightfoot, c’est le débutant Jeff Bridges. En court de
tournage, il devenait évidemment que ce personnage allait focaliser l’attention,
un tel point que l’équipe a supplié Cimino de réécrire la fin du film… Bridges
donne une dimension très attachante à ce jeune chien-fou, adopté par le vieux
truand, qui rêvait de mythes américains, et se prend ce rêve en pleine gueule.
La
fin est magnifique (on pense à THELMA ET LOUISE), le ciel bleu et le soleil font
place à lumière blafarde des petits matins, comme un retour de gueule de bois,
les deux mecs en Cadillac intérieur rouge-sang. LE CANARDEUR donne à voir un nouveau talent, Jeff Bridges, dans un film sacrément attachant autant qu'efficace, et surtout, donne à voir un cinéaste qui va se révéler un des plus brillants de sa génération.
couleur - 1h55 - format scope 2:35
La bande annonce (un peu crapoteuse... pas mieux !)
o
Désenchanté, c'est le mot. Film qu'on revoit avec plaisir.
RépondreSupprimerEt qu'on revoit, re re voit, re re re voit....
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