J'avoue
un manque d'attirance global pour le cinéma médical, ou pire, les séries
hospitalières. J'ai toujours été fasciné par l'appétence de mes congénères sur
le sujet qui sent le désinfectant, stimule le voyeurisme sur la maladie et la
mort, passionne pour le sang et autres fluides corporels allant de l'urine au
dégueulis… À croire que de voir des acteurs un pied dans la tombe rassure sur
son propre bulletin de santé. 331
épisodes pour Urgences
imaginé par feu Michael Crighton (médecin
de formation et urgentiste). 100 prises de températures et suppositoires entrés
dans les annales ("Très fin M'sieur Claude"). C'est ainsi que le
beau George Clooney, après quelques dizaines
d'intubations vite faites sur le gaz, est devenu une star planétaire et le
chantre du café en dosette. Forcément, avec les gardes de nuit et le stress, la
caféine, ça le connait. Oh, mon préféré : le Dr House ! Longiligne,
famélique, boiteux et mal rasé. 177 épisodes (petit joueur). Désagréable et fat,
un peu camé à cause des douleurs de sa patte folle, il ne porte même pas de
blouse et utilise son stéthoscope quand par hasard il le trouve. Mais attention,
cet interniste, question diagnostic il touche sa bille ! Un gars agonise depuis
des jours face à un staff découragé… Dr House (Hugh Laurie)
se pointe et vous balance en une minute que le type s'est choppé un
rarissimobacter du Tibet en croisant le 39 janvril un pygmée de 27 ans à
l'embarquement du vol AF278 de 19H42 à Macao… Une boîte de Bactrim et l'affaire
est bâchée ! P**n je suis atteint du syndrome de la vacherie folle ce matin… Je
vais consulter.
- Mais moi je les aime bien les Dr
Ross et House M'sieur Claude, vous êtes cruel là….
- Ah, Ah, vous vous feriez bien examiner
par ces toubibs hypnotiques ma chère Sonia, Hummmm ?
- Oh M'sieur Claude, vous me faites rougir…. Mais… vous ne deviez pas nous parler
d'un film sorti en salle ?
- Si, Si, mais il y a longtemps que je
ne n'avais pas commis un petit délire verbal pour rigoler. Parlons du film
français actuellement en salle, en effet.
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Hippocrate est un parcours
initiatique, une odyssée par "Ulysse-Benjamin" à travers la réalité de l'exercice de la
médecine, par un apprenti interne, loin des bouquins d'étude et de l'autosatisfaction
des mandarins au journal TV du 20 Heures. Une "comédie drôle"
annonce l'affiche… Pas certain à mes yeux, plutôt une
tragicomédie ou encore la comédie humaine sous forme d'un huis-clos hospitalier.
Le héros : Benjamin
(Vincent Lacoste), un jeune interne de 23
ans qui débarque un beau matin dans un service de médecine interne (en gros les soins ultimes aux cas désespérés)
dirigé par son propre père (Jacques Gamblin).
Les premiers plans sont à l'image de son désarroi : un Benjamin paumé dans les
sous-sols lugubres et décrépis d'un hôpital de l'APHP* à la recherche de la
lingerie et d'une blouse. Il taille du 2, on lui refile du 4 avec des tâches ; mais
des "tâches propres"
précise la lingère qui a dépassé le stade où l'on s'inquiète de ce genre de détail…
Seconde scène : notre Benjamin planté dans un couloir parcouru en
tout sens par des blouses blanches qui ne voient même pas le jeune homme. Une
blouse blanche de plus ou de moins... Dans le surmenage ambiant, Benjamin
est un ectoplasme, un intrus. Ça pourrait être drôle, c'est pathétique, à
l'image de la descente aux enfers de l'hôpital public dans notre système de
santé.
(*) : Assistance Public des Hôpitaux de Paris.
(*) : Assistance Public des Hôpitaux de Paris.
Hippocrate est une
visite réaliste, un documentaire social plutôt qu'une fiction même si le
scénario bien écrit et solide évite l'ennui d'un reportage didactique. À
travers la vie des équipes médicales, Thomas
Lilti, lui-même médecin généraliste quand il délaisse la caméra, filme les
péripéties des internes confrontés aux démons de l'univers médical.
La
nuit, la solitude, la décision à prendre sur un patient violent, SDF, aux
organes consumés par l'alcool. L'électrocardiographe est en carafe. D'ailleurs
il l'est depuis 6 mois (car le technicien de maintenance n'a pas du être payé
par le trésor public depuis des lustres)… Benjamin est contraint de zapper sur l'ECG en
pleine nuit. Le patient surnommé Tsunami (Thierry Levaret)
de par ses accès de violence n'y survivra pas. Le lendemain, on se sert les
coudes, Papa et les chefs de clinique couvrent le jeune poulain. On baratine la
veuve avec un imbroglio savant ou prédomine une histoire de pancréas. Benjamin
suit le mouvement, tous les mouvements car "c'est la faute à qui, à quoi ?". Le jeune homme
seul qui ne peut reproduire les gestes théoriques appris en amphi ? La direction
de l'hôpital qui pinaille sur les budgets jusqu'à l'absurde ? etc...
Benjamin doit faire
une ponction lombaire. Thomas Lilti se
fiche de la technique et aurait pu choisir n'importe quel acte un peu délicat. Benjamin
hésite, le patient est nerveux, l'atmosphère n'a rien d'héroïque à l'inverse
des séries brocardées plus haut… Arrive Abdel (Reda Kateb),
un médecin algérien déjà expérimenté mais obligé de faire stages sur stages
pour obtenir son équivalence de diplôme, et ainsi travailler en France et faire
venir son épouse et son gamin. Il assiste Benjamin… De la légère vexation de
celui-ci va naître une complicité. De par son âge, Abdel vit mal les délires de
carabins, les soirées alcoolisées pour exorciser la pression des dizaines d'heures
de garde, les tags pornographiques sur tous les lieux de travail ou de repos
cachés des patients.
Thomas Lilti aborde avec
habileté et humanité le problème de la fin de vie, de l'acharnement
thérapeutique, de la loi Leonetti. Mme Richard (Jeanne
Cellard), 88 ans, arrive dans le service avec une fracture du
col du fémur qui tourne mal. Pauvre Mme Richard. Un repère à métastases,
une vie trop longue, trop de souffrance pour continuer de lutter pour prolonger
une vie qu'elle ne veut plus subir. Ses enfants souhaitent la fin de ses souffrances.
La vielle dame sera le déclencheur des passions. Abdel installe la pompe à
morphine pour accompagner l'octogénaire vers la sérénité éternelle. Impensable
pour la chef de clinique Denormandy (Marianne
Denicourt) qui ne veut pas prendre le risque de voir le lit
occupé trop longtemps et souhaite "refiler le bébé" aux services des soins
palliatifs ou… n'importe où. Le choc entre l'humanité et la logistique sous
le regard du rendement. Mme Richard devient l'enjeu des
rivalités : on remplace la pompe par une insupportable sonde gastrique, pour faire croire
qu'elle peut partir en rééducation alors qu'elle est déjà dans un autre monde.
Conflit médical, pleurs de la vielle dame et de sa famille, détresse de Benjamin
qui commence à douter de sa vocation. Le drame final se jouera la nuit comme souvent.
Arrêt cardiaque. Les réanimateurs déboulent et font repartir le cœur… Certes
mais rien d'autre ! Abdel et Benjamin en viennent aux mains avec l'équipe
de jusqu'au boutistes et décideront seuls, en présence des enfants, de mettre
fin à la mascarade. Ils ont franchi la ligne jaune et devront rendre des
comptes… Lesquels ? Je ne raconte jamais la fin des films… Au passage Thomas Lilti égratigne la direction des
Hôpitaux confiée de nos jours à des administrateurs formés à Rennes dans l'EHESP, une école de managers sans
formation médicale. Comme aurait pu le chanter Brel : "Avec
ces gens là, on ne soigne plus… on compte !".
Le
jeu des acteurs est assez réaliste. Ils disparaissent derrière leurs
personnages. Peu de bavardages médicaux auxquels le spectateur n'entendrait rien.
C'est la force du film : des êtres de chair et de sang confrontés à une mission
souvent difficile, parfois impossible, voire contre nature (éthique) du fait des règlements, de la
suprématie du juridique sur l'empathie. Au niveau de la photographie, ce n'est
pas Byzance, mais Thomas Lilti témoigne,
il ne fait pas une œuvre d'art. Beaucoup de caméra portée. C'est un peu
fatiguant mais cela ajoute à la frénésie des situations.
Un film qui porte bien son titre : Hippocrate, un serment qui exige de "diriger les soins à l'avantage du malade en s’abstenant de tout mal".
J'ai bien peur que la citation de Brel que tu as superbement arrangée à ta façon soit définitivement adoptée par notre système de santé qui part à vau-l'eau. J'ai bien aimé ta chronique et vais aller voir de ce pas si cet Hippocrate peut nous soulager de nos maux au moins pendant 1H1/2.
RépondreSupprimerMerci Zorro :o)
SupprimerJ'ai beaucoup donné dans les les lits d’hosto (trop) et j'ai un membre de ma famille qui a fini par lâcher l'affaire dans un service lourd d'un des plus grand hôpitaux parisiens. Marre de courir dans les couloirs pour taxer le service voisin (pas forcément mieux loti) pour trouver des aiguilles qui conviennent, de la panse-menterie ad hoc', etc....
Oui, le film soulage car les personnages refusent de lâcher la bride... Il y a même un petit air de révolte. Je n'en dis pas plus...
La vache ! Il y avait une éternité que Marianne Denicourt n'était plus apparue dans aucun film. Revenue d'entre les morts en quelques sorte.
RépondreSupprimerMmm... Pas sûr tout de même d'aller le voir celui là.