- Houuuu M'sieur Claude…
Il y a comme un p'tit air de guinguette pianistique dans votre bureau !!! Un
compositeur classique qui valse ?
- Ah oui, pour le moins
ma chère Sonia, Chopin himself dans une intégrale des valses par notre
compatriote Jean-Marc Luisada…
- C'est ce beau garçon à
l'air d'éternel étudiant ? Séduisant ma foi !!!!
- On se calme mon petit.
Jean-Marc Luisada est un grand artiste qui a signé il y a plus de 20 ans deux
références indémodables pour les valses et les mazurkas…
- Vous m'invitez M'sieur
Claude ???
- Tsss Tsss, gamine,
attention on y va……. 1, 2, 3, 1, 2, 3… suivez le rythme….1, 2, 3, 1, 2, 3…
1985, concours Chopin de Varsovie : les français Marc Laforêt et Jean-Marc Luisada remporte les 2nd
et 5ème prix (sur 6). Ne me demandez pas ce que sont devenus les
quatre autres lauréats, personne n'en sait rien. C'est l'effet concours, une
médaille brillante parfois sans lendemain. Marc Laforêt
s'est fait une petite place dans l'univers impitoyable des virtuoses. Jean-Marc Luisada connaît une carrière
exceptionnelle !!
Jean-Marc Luisada voit le jour en Tunisie en 1958 et commence l'étude du piano dès
l'âge de 6 ans. L'enfant est doué et intègre dans un premier temps le
conservatoire de Paris (classe de Dominique Merlet)
puis la prestigieuse école Yehudi Menuhin.
Suivent des cours de perfectionnement auprès de Nikita
Magaloff (grand interprète de Chopin)
et de Paul Badura-Skoda.
Jean-Marc Luisada va transformer les lauriers du concours
Chopin de Varsovie. En 1991, il bouscule la discographie
établie avec son enregistrement des 17 Valses
(dont 3 posthumes souvent oubliées) et en 1992, second séisme avec
un double album consacré aux mazurkas
du maître polonais… Son secret : insuffler de la poésie et un délicat lyrisme
dans des partitions qui prêtent facilement à la virtuosité éclatante mais
vaine.
Son
jeu est innovant car Jean-Marc
Luisada est un jeune homme de son temps, cool, la tignasse en
bataille, cinéphile, cultivé, original. Pourtant ce n'est pas un dandy. Et même
si l'artiste voue un culte pour l'ami Chopin,
tant sa carrière que sa riche discographie témoignent de son goût pour
l'éclectisme. Et de citer quelques trésors pour toute discothèque de bon aloi :
-
La transcription du Concerto n° 1 de Chopin pour ensemble de chambre et le quintette de Dvorák
avec le quatuor Talich,
-
Les chants du Rhin, une perle de Bizet rarement enregistrée, et 6 nocturnes de Fauré,
-
Les virevoltantes Goyescas (portraits de Goya) de Granados.
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La
Pologne, George Sand, le jeune homme
romantique (et romanesque,) la coqueluche des salons parisiens, la mort
prématurée à 39 ans… Tout cela a été détaillé dans deux articles précédents : l'un
consacré aux ballades sous les doigts de
la jeune virtuose française Lise de la Salle
(Clic), un second présentant 2 Scherzos et des nocturnes
par Nelson Freire (Clic). Les œuvres imposantes déjà commentées,
parfois dramatiques, laissent à penser que l'image du génie tourmenté colle à
la peau de Chopin. Et pourtant, le
divertissement et le plaisir de l'écriture des valses
et des mazurkas apparaissent comme
une suite de refuges paisibles, d'expression de vitalité juvénile tout au long
de l'existence du pianiste compositeur.
Le
catalogue complet des valses écrites par Chopin
reste un casse-tête pour les musicologues puisque seulement huit ont été
éditées de son vivant. Aux 14 valses qui portent un numéro d'opus et une date
d'écriture officielle de nos jours, Luisada
a ajouté 3 opus posthume à son programme. On trouve des enregistrements avec
d'autres valses découvertes depuis 1990. Il en existerait 28 ! Laissons les
musicologues à leurs recherches…
La
conception des valses s'étend de 1829
(Chopin a 19 ans) jusqu'à 1848, un an avant sa mort. Elles sont
soit isolées au sein de sa production (Opus 18 ou "Grande
valse brillante") ou regroupées par 2 ou trois (Opus 64 par
exemple). Hormis quelques unes, ces valses ne sont pas destinées à la danse
mais ont vocation à distraire. Il est important de souligner que sans
l'invention des pianos à double échappement (une amélioration technique du
mécanisme des marteaux) par les français Sébastien
Erard puis Ignace Pleyel vers 1821, Chopin
n'aurait pas pu composer ses partitions. Le compositeur pouvait donner libre
court à sa virtuosité diabolique grâce à la rapidité de répétition des notes
offerte par ces pianos.
Après
ces quelques précisions techniques et historiques, écoutons quelques valses
magnifiées par Jean-Marc Luisada.
Grande Valse Brillante
opus 18
: elle date de 1833 et par sa
longueur (5 minutes environ), c'est la plus développée composée par le
musicien. Elle est également la plus connue et la plus jouée en récital ou en
bis de concert. Dès les premières notes qui nous interpellent, nous invitent à
tournoyer, les fameuses possibilités des pianos Erard sont mises en application.
L'ouverture pétille de petites notes agrestes. Le tempo de Jean-Marc
Luisada pourrait être considéré comme lent (5'35") et
pourtant la clarté et la pureté du jeu nous emportent dans une jolie diablerie.
Chaque note ou accord chasse gaiement le son précédent comme un cavalier entraîne
sa noble cavalière. Une grande simplicité d'écriture domine les six pages de la
partition. C'est généralement le cas dans les "danses" : valses, mazurkas
et polonaises que Jean-Marc Luisada n'a pas encore
enregistrées à ma connaissance (sauf la grande polonaise).
Patience. Jean-Marc Luisada équilibre
avec gourmandise et élégance le legato et le staccato. Le jeu est souple, sans
sécheresse. Et oui ma chère Sonia, un soupçon de sensualité dans une valse ne
nuit pas… Cette sensibilité est la marque du pianiste et le restera dans tout
l'album…
Valse opus 34 N° 2 : [11:18] elle est écrite
dans la tonalité plus élégiaque de la mineur. Par ailleurs, Chopin a indiqué
Lento comme tempo et Jean-Marc Luisada
respecte ce rythme, laisse la musique rêver dans un clair-obscur tendre et
nostalgique. Une légère retenue lors de la reprise caractérise la conception du
pianiste : la tendresse et l'élégance racée de cette musique pour salon de
l'époque romantique. Pour Jean-Marc Luisada,
il y a bien plus que des pas de danses derrière les mesures. Chopin exprime son
désir de vivre ou sa nostalgie de la terre natale, même si cette dualité de sentiments est moins explicite que dans les œuvres savantes comme les ballades
et les scherzos.
Valse opus 64 N° 1 : [23:35] finissons ce
petit tour d'horizon du disque avec l'une des plus fantasques valses du programme.
En mode majeur, elle ne dure que 2 minutes. La variation incessante des tempos
rend le jeu carrément jouissif. C'est indansable. Pour ceux qui douteraient
encore que l'image d'un Chopin languide avachi sur son piano est une pure chimère romantique,
cette page de 1846, surnommée "valse du petit
chien", est un preuve absolue ! (Chopin
aimait le sobriquet donné à sa valse. Il avait voulu illustrer le jeu d'un petit
chien courant après sa queue ! Pas sérieux Frédéric…)
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Si
Jean-Marc Luisada a bouleversé à l'ère du
numérique notre vision de Chopin
dans ce catalogue de valses, ces œuvres avaient déjà été bien servies au disque,
on s'en doute… Ces valses se prêtent aux libertés les plus étonnantes dans leur
exécution. Elles sont le miroir de l'esprit d'un pianiste, de la rigueur à la fantasmagorie.
Dinu Lipatti enregistre les valses vers 1950 juste avant d'être emporté à
seulement 33 ans par un cancer. Le jeu limpide, très articulé, les tempos
énergiques et le rubato facétieux font rapidement oublier une monophonie qui
écrase le piano. Une ivresse sonore (EMI
– 6/6).
Arthur Rubinstein se veut malicieux avec un staccato
ironique dans la grande valse brillante opus 18. Opposé à Luisada,
la mécanique éblouissante semble un peu raide (subjectif à mort). Le piano
capté au début des années 60 sonne un
rien métallique. Chopin-Rubinstein
reste une histoire d'amour de la musique (RCA
– 6/6).
Autres
enregistrements cultes : Samson François.
Une première version de 1958 explosait
les valses par des tempos survoltés et surréalistes, 4'06" pour la valse brillante opus
18. C'est cartoonesque ! Tenter de danser à ce rythme est source d'accidents et
de vertiges. Fin des années 60, le maître revient à un style plus classique tout
en délicatesse. Fini le jeu d'un chien fou, le legato se drape d'une rare élégance
(ERATO – 5/6). On peut préférer la
douce folie du jeune pianiste des années 50... si on trouve le CD…
- Mais M'sieur Claude,
je viens de lire après publication l'article "valses de Chopin" sur
Wikipédia, on retrouve les 4 disques de vos conseils discographiques !!!!
- Et alors Sonia, vous
me prenez pour une bille ? Cette discographie est incontournable depuis
l'invention du microsillon. Ils nous ont piratés ;o)
- Désolée M'sieur
Claude, j'ai encore gaffé…
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L'intégralité des valses (en espérant que cette vidéo perdure après quelques vicissitudes...
Je vais recevoir la version des valses par Dinu Lipatti...en vinyle ! Le son va être mauvais ?
RépondreSupprimerBonjour Cirimax
RépondreSupprimerDans les valses gravées en 1950 juste avant la mort bien trop jeune de Lipatti, j'aurais tendance à dire que tout dépend de l'état des disques, notamment si il s'agit de rééditions économiques en grande série avec des cires un peu fragiles ...
Cela dit le jeu est tellement vertigineux que l'on oublie assez vite la médiocrité du son...
Merci beaucoup Claude, il s'agit je crois d'une édition ancienne (très jolie pochette) avec un flambeau sur fond noir.....
RépondreSupprimerJe croise les doigts. Je l'ai acheté d'occasion et je ne connait pas sa date.
Je reviendrai sur cette page pour un petit commentaire....